La Prep en ville… retoquée !

Publié par Fred Lebreton le 29.01.2021
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SexualitéPrEP

Prévue pour mars 2020, la primo-prescription de la Prep par les médecins généralistes a finalement été annoncée le 1er décembre dernier par le ministre de la Santé, Olivier Véran. Il ne manquait plus qu’une formalité administrative, plusieurs fois différée, la validation du décret d’application par le Conseil d’État et puis, coup de théâtre, le 26 janvier, le décret est retoqué en Conseil d’État. Une décision liée à des points juridiques non anticipés par le ministère des Solidarités et de la Santé qui freine ainsi le déploiement d’un des outils les plus efficaces dans la lutte contre le VIH. Retour sur une occasion manquée (provisoire ?) que certains-es qualifient « d’échec en santé publique ».

Tout était prêt !

À ce jour, le seul moyen d’initier un traitement de Prep est de prendre rendez-vous avec un médecin qui exerce soit dans un Cegidd (centre gratuit d'information, de dépistage et de diagnostic des infections par le VIH et les hépatites virales et les infections sexuellement transmissibles), soit à l’hôpital dans un Smit (service des maladies infectieuses et tropicales). Cette limitation constitue un réel frein pour de nombreuses personnes en fonction des horaires, de la distance et des services souvent saturés. Le-la médecin traitant ne pouvait que renouveler l'ordonnance et pas effectuer la prescription initiale (primo prescription).

« Ces modalités de prescription doivent donc évoluer pour que tous les médecins, en ville comme à l’hôpital, puissent prescrire et initier la Prep. C’est l’assurance d’un maillage territorial efficace, d’une plus grande diffusion auprès des professionnels-les de santé d’une approche en santé sexuelle globale », indiquait le ministre de la Santé dans un communiqué publié le 1er décembre dernier. « Pour cela, le Conseil d’État a été saisi d’un projet de décret permettant la primo-prescription de la Prep par les médecins de ville, et qui devrait la rendre effective dès le début d’année 2021 ».

Tout était prêt pour accompagner cette mesure. La SFLS (Société française de lutte contre le sida) a conçu, notamment en partenariat avec AIDES, une plateforme de e-learning destinée à aider les médecins de ville à se former et s’informer sur la Prep. Interrogé par Seronet, le Dr Pascal Pugliese, président de la SFLS, réagit à ce refus du Conseil d’État : « La SFLS regrette bien sûr la décision du Conseil d’État. Dans une période où la crise sanitaire de la Covid-19 déstabilise profondément et durablement l’activité de dépistage de VIH et l’utilisation de la Prep, faisant craindre un recul de plusieurs années dans les acquis de la lutte contre le VIH, la primo-prescription de la Prep par les médecins de soins primaires est une priorité pour toucher plus largement les populations les plus exposées ».

Le point d’achoppement pour le Conseil d'État est que l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des produits utilisés pour la Prep évoque des « prescripteurs expérimentés » et le Conseil d'État aurait considéré que même avec le e-learning de la SFLS pour former les médecins prescripteurs, les médecins de ville ne correspondraient pas à ce critère. Pour le Dr Michel Ohayon, directeur médical du centre de santé sexuelle Le 190 à Paris, cette décision est « vraiment regrettable ». Il ajoute : « C'est de la bureaucratie à la française, les médecins de Cegidd n'étaient pas expérimentés lorsqu'ils ont eu la possibilité d'initier la Prep en 2016, et ils n'ont eu aucune formation. Dans le cas présent, nous travaillons tous justement pour accompagner et former les médecins généralistes », explique le Dr Ohayon. Et d’ajouter : « Il y a deux poids, deux mesures dans cette décision. Si les médecins en Cegidd ont pu prescrire la Prep sans formation particulière, pourquoi les médecins généralistes ne le pourraient-ils pas avec une formation ? ».

Le Dr Pascal Pugliese espère que la Direction générale de la Santé (DGS) sera facilitante pour remettre la primo prescription Prep à l’ordre du jour rapidement : « La SFLS a mis tout en œuvre avec ses partenaires pour que la plateforme de e-learning accompagnant le décret soit opérationnelle dès février, et elle le sera : au-delà de la primo-prescription, cette formation à distance permet de former les professionnels-les de santé aux indications de la Prep, aux modalités du suivi des usagers, aux stratégies de prévention diversifiée et à la connaissance des réseaux de soins en santé sexuelle. Nous allons donc mettre à disposition cette formation à distance dès février, afin que le plus grand nombre de professionnels-les de santé puisse en bénéficier dès à présent, tout en œuvrant avec la DGS pour aider à trouver une solution réglementaire autorisant la primo-prescription de la Prep par les médecins généralistes dans les meilleurs délais ».

Un échec en santé publique

Depuis plus de deux ans, AIDES a été en tête de pont pour construire un consensus inédit entre associations, autorités sanitaires, sociétés savantes afin de déployer l’accès à la Prep à travers la primo-prescription. L’association, réagit dans un communiqué dès le lendemain de la décision du Conseil d’État, et exprime « son incompréhension face à cet échec sur cet enjeu de santé publique ».

« Alors que le décret d’autorisation de prescription de la Prep par les médecins généralistes - mais aussi d’autres médecins de ville tels que les gynécologues - devait être adopté en ce début d’année, son refus, annoncé hier, est une véritable aberration pour la lutte contre le VIH/sida », écrit l’association. Pour AIDES, cette décision est due « à un manque de vigilance et de rigueur de la DGS – et donc du ministère des Solidarités et de la Santé - qui n’a pas su anticiper des éléments de forme qui « justifient » aujourd’hui le refus de ce décret ».

L’association ne veut plus perdre de temps pour déployer la Prep en ville : « Nous ne pouvons tolérer que ces considérations juridiques prennent le pas sur des enjeux de santé publique, d’autant plus dans un contexte de crise sanitaire où l’accès à la Prep est encore plus restreint. Sur la période de mars à septembre 2020, par rapport à la même période en 2019, une baisse de 27 435 prescriptions a d’ailleurs été constatée : un chiffre qui s’explique en partie par la crise sanitaire et la saturation des hôpitaux. Il faut rattraper ce retard, la prescription en ville pouvait le permettre ». Et de conclure : « Nous exigeons que ce décret soit rapidement révisé et adopté : sans cela, la responsabilité du ministère sur de futures contaminations est engagée ».

Frustration et colère

Suite à l’annonce du refus du Conseil d’État de valider le décret sur la primo prescription de la Prep par les médecins généralistes, les réactions des militants-es de la lutte contre le VIH ne tardent pas et vont de la frustration à la colère. « Pour mettre fin au VIH et empêcher toute future infection au virus, la large mise à disposition de la Prep est essentielle. Nous ne pouvons plus attendre un décret prévu déjà de plus près d’un an ! », écrit Aurélien Beaucamp, président de AIDES, sur Twitter. De son côté, Florence Thune, directrice générale de Sidaction, exprime sa déception dans un tweet ironique : « Le @Conseil_Etat a retoqué hier la prescription par les médecins généralistes de la Prep, ce traitement préventif contre le VIH. Il est vrai que ce serait dommage de voir baisser la courbe des contaminations en France. On vit tellement bien avec un virus ». De son côté, Caroline Izambert, directrice du plaidoyer chez AIDES, parle de « défaite de la santé publique en France » sur son compte Twitter : « Parce que la Prep, un traitement efficace et sûr pour la prévention du VIH, ne pourra être initiée par un médecin de ville ; alors même que l’on sait que certaines personnes n’iront jamais se faire prescrire [la Prep, ndlr] à l’hôpital - encore plus par temps de Covid », déclare la militante. Et d’ajouter « À chaque fois, des arguments juridiques, des blocages administratifs, des freins réglementaires ! À chaque fois, des vies de gays, de femmes migrantes, d’usagers-ères de drogue abîmées ».

En France, le nombre total de personnes de 15 ans et plus ayant initié un traitement Prep atteignait 32 000 au 30 juin 2020. Tous-tes les experts-es s’accordent à dire que c’est trop peu pour avoir un réel impact sur l’épidémie de VIH. De plus, l’accès à la Prep reste concentré sur une seule région : l’Île-de-France (41 % des utilisateurs-rices) et, en particulier, Paris (25 %) et en très grande majorité sur un seul public, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) qui représentent 97 % des personnes usagères de la Prep.

La crise sanitaire liée à la Covid-19 a démontré qu’en cas d’urgence, la volonté politique permettait de faire accélérer grandement certaines procédures administratives liées au parcours de validation des traitements et des vaccins. Pour avoir un impact sur l’épidémie non diagnostiquée de VIH, c’est-à-dire les personnes qui ignorent leur séropositivité, la Prep doit être déployée sur tout le territoire et chez toutes les populations. La primo prescription par les médecins de ville est un point essentiel de cette stratégie, mais pour y parvenir, il faudra plus de volonté politique et moins de barrières administratives.