La TTF : un avenir en questions

Publié par jfl-seronet le 05.08.2012
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TTFtaxe sur les transactions financières
On le sait l’instauration de la taxe sur les transactions financières (TTF) et l’attribution de son produit au développement est une des principales revendications des associations de lutte contre le sida dont AIDES, Coalition PLUS, Sidaction, etc. Dans une récente interview, Pascal Canfin, ministre chargé du Développement, l’aborde… tout comme trois tribunes importantes récemment publiées sur le Huffington Post.
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Lors de la campagne présidentielle, puis après son élection, François Hollande a expliqué à plusieurs reprises qu’il voulait affecter la taxe sur les transactions financières au développement. "Dans quelle proportion ?", c’est la question qu’a posé Mediapart au ministre chargé du Développement, Pascal Canfin, dans une interview publiée par le site d’informations le 16 juillet dernier. Réponse du ministre : "Il est impossible de répondre précisément à cette question aujourd’hui, car cela dépend d’une négociation européenne, explique-t-il. La France est sans doute l’Etat en Europe qui pousse le plus pour qu’une partie de la taxe sur les transactions financières reste affectée au développement, alors que d’autres pays n’y voient qu’une ressource pour leur propre compte. Quel sera le compromis final : 10 %, 15 %, 30 % ? Je n’en sais rien", explique le ministre. Mediapart fait remarquer que : "10 %, 15 %, 30 % : cela reste faible par rapport à l’ambition de départ". Réponse du ministre : "Dans l’absolu, je suis d’accord avec vous. Sauf qu’aujourd’hui, pour que cette taxe voie le jour, il faut une coalition politique. Il faut agréger à cette coalition des gens qui pensent que cette taxe peut être utile pour diminuer leur déficit, ou contribuer au budget européen. C’est la réalité du monde ! Soit on dit : "On ne fera une taxe sur les transactions financières que si elle est affectée à 100% au développement", et il ne se passera rien. Soit nous faisons cette taxe avec trois objectifs : le budget européen, les budgets nationaux, et le développement. La répartition entre les trois émergera de la négociation".

Mediapart note qu’au sein du gouvernement français, notamment à Bercy, il semble que l’on veuille affecter cette taxe à la résorption des déficits. "Quel est l’état des débats au gouvernement ?" demande le site d’informations. "La priorité de Bercy est de réduire les déficits, mais ce n’est pas Bercy qui fait toute la politique du gouvernement français, avance Pascal Canfin. Il faut attendre la fin de la discussion budgétaire. Je suis assez optimiste".
 
Ce sujet de la taxe sur les transactions financières (TTF) et plus spécifiquement l’utilisation de son produit ont suscité pas mal de réflexions. Cela a donné lieu, mi juillet, à la publication de trois tribunes sur le site du Huffington Post. Dans l’une de ces tribunes ("Taxe sur les transactions financières: ne pas oublier le Sud !", par Arielle Malard de Rothschild, spécialiste des marchés émergents à la banque Rothschild et Jean-Manuel Rozan, président de l’ONG The LIFE Organization), les deux auteurs avancent que pour les organisations non gouvernementales "la création de la taxe sur les transactions financières constitue une très bonne nouvelle", mais qu’au-delà de l'aspect financier, il convient de "définir les causes bénéficiaires de ce nouveau financement". Les deux auteurs préconisent de "trouver de nouvelles sources de financement pour la résolution des grandes urgences mondiales, qu'il s'agisse de la lutte contre la pauvreté, les grandes épidémies ou l'éducation dans les pays en développement. Les représentants de la finance ne doivent pas s'arc-bouter contre l'avènement de cette TTF (…) Au moment où les banques souffrent d'un déficit d'image, nous aimerions leur suggérer qu'être des acteurs de la solidarité globale, en proposant les modalités qui leur semblent acceptables de la TTF, plutôt qu'en la combattant sur la scène et en coulisses, serait de bonne politique. Aussi si nos économies ont pu lever 18 000 milliards de dollars pour sauver le système bancaire mondial en 2008, nous pouvons être ambitieux pour éradiquer l'extrême pauvreté et il semble juste que le secteur de la finance y participe", avancent Arielle Malard de Rothschild et Jean-Manuel Rozan. Tous deux notent que : "Si cette crise de la dette a établi le consensus pour la TTF, la bataille pour une solidarité globale n'est pas pour autant gagnée : une part de la TTF à venir a d'ores et déjà été confisquée pour le désendettement". Ils critiquent aussi le dimensionnement étriqué de la taxe à la française : "Le projet actuel de TTF française ne rapportera, conçue telle qu'elle l'est, qu'environ 1 milliard d'euros par an. Il revient maintenant au nouveau président de la République d'écrire l'Histoire. Au moment où les pays donateurs de l'OCDE, rudement touchés par la crise financière, diminuent leur aide publique aux pays pauvres, il peut en effet redéfinir totalement l'architecture mondiale du Développement. Pour cela il a la chance d'avoir deux outils qui existent déjà : d'une part la TTF Française et d'autre part le Fonds Mondial de Solidarité abondé par la taxe sur les billets d'avion (Unitaid). En exigeant d'attribuer une part significative de la TTF française à ce Fonds, la France montrerait l'exemple aux autres pays qui mettront en place à leur tour leur TTF", affirment Arielle Malard de Rothschild et Jean-Manuel Rozan. Et tous deux de lancer un appel : "Oui Monsieur le Président, vous pouvez exiger, pour l'exemple, pour la justice, pour la France et pour le monde que la moitié de ce milliard soit affectée à ce Fonds pour le Sud, au développement, à ceux qui partout sur notre planète souffrent et meurent, simplement parce qu'ils sont pauvres".
 
Secrétaire général adjoint des Nations unies, Conseiller spécial en charge des financements innovants pour le développement, président d'UNITAID, Philippe Douste-Blazy a adressé (Huffington Post, 10 juillet) une lettre ouverte au président de la République sur la TTF.
"Si vous voulez travailler pour les Français, il vous faut construire un autre monde, une autre mondialisation. Or, vous en aurez bientôt la possibilité. Un exemple aussi vital que symbolique est la construction de la mondialisation de la solidarité par l'intermédiaire de la création d'une taxe mondiale sur les transactions financières (…) Un premier projet de taxe a été décidé et voté par la majorité précédente. Il s'agit d'une formidable occasion pour mettre la finance au service de la solidarité, après des années d'atermoiements. Vous pouvez être le premier chef d'Etat à le décider, montrant ainsi l'exemple. Les bases de la taxe et ses modalités pourront être discutées, car avec un faible taux, la taxe sur les transactions financières permettrait une recette annuelle de 104 milliards d'euros dans l'Union Européenne, dont 10 en France", explique le président d'UNITAID. Mais pour lui, l’enjeu est d’abord que ces "fonds permettent de faire avancer sensiblement le développement et la solidarité internationale". Il estime que ce serait une "erreur" que les sommes récoltées via la TTF servent à combler la dette publique, au détriment de la croissance mondiale. "C'est bien sûr une erreur qui va à l'encontre du bon sens, comme l'ont affirmé en 2011 les 1 000 économistes de tous les pays demandant une taxe finançant l'aide au développement", rappelle l’ancien ministre. Ce dernier a d’ailleurs une demande pour François Hollande : "Je vous demande que la France s'engage à consacrer directement au moins 50 % des fonds collectés par la taxe sur les transactions financières qui vient d'être votée en mars dernier pour le financement du développement, pour la lutte contre les grandes pandémies, pour donner accès à l'eau potable et la lutte contre la faim par le développement de l'agriculture. Faites-le en abondant ce fonds, créé en 2006 à partir de la taxe sur les billets d'avion (UNITAID), permettant ainsi à la France d'afficher son leadership dans les "Financements Innovants au Développement".
 
Présidente de Médecins sans frontières, Marie-Pierre Allié est sur la même ligne. Dans sa tribune (toujours sur le Huffington Post), elle explique que la taxe sur les transactions financières est une occasion "unique" de se procurer des "fonds pour la santé". "Conflits, catastrophes naturelles, épidémies, défaillances des systèmes sanitaires... Chaque jour, les équipes médicales de Médecins Sans Frontières s'efforcent d'apporter leurs soins à des populations oubliées, explique Marie-Pierre Allié. Ce faisant, elles sont régulièrement confrontées aux limites du système de financement international des politiques de santé publique, tant en termes de montant que de pérennité des fonds disponibles". Une des solutions réside dans l’instauration de la TTF. La présidente de MSF y voit un "formidable levier dans plusieurs domaines de la santé publique, qu'il s'agisse d'investissement visant à stimuler la recherche et le développement pour les maladies affectant les populations du Sud ou de financement de priorités de santé comme la lutte contre la malnutrition ou les programmes de prise en charge du VIH/sida. Sur nos terrains d'intervention, les médicaments, les outils diagnostiques et les vaccins dont nous avons besoin pour traiter les patients sont souvent indisponibles, inadaptés ou hors de prix".
Plus précisément, Marie-Pierre Allié a choisi de prendre un exemple avec le VIH/sida. "Après plusieurs années d'une mobilisation politique ayant permis l'accès aux traitements de 6,6 millions de personnes, la tendance s'est inversée, note-t-elle. Le Fonds Mondial de lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme n'a pas reçu les fonds nécessaires à l'extension de ses programmes de prise en charge, alors même que les traitements sont désormais unanimement reconnus comme primordiaux dans le contrôle de la transmission du virus. Quand 9 millions de personnes attendent encore d'être traitées, le désengagement des bailleurs de fonds compromet les efforts déjà fournis dans les pays les plus affectés. La taxe sur les transactions financières constitue donc une occasion unique de disposer de fonds pérennes, suffisants et prévisibles pour répondre efficacement aux principaux enjeux de santé publique dans les pays en développement. Il s'agit là d'une opportunité sans précédent". Elle indique que "depuis plus de dix ans, les organisations de la société civile se battent pour faire accepter l'idée d'une telle taxe (…) Dans le contexte de crise économique mondiale, sa faisabilité n'est plus débattue, elle est même devenue souhaitable. C'est l'affectation des revenus de cette taxe qui est aujourd'hui au centre des discussions, et la tentation de l'utiliser uniquement pour réduire les déficits publics est présente à tous les esprits". Et la présidente de MSF de conclure : "En allouant une partie de la taxe nationale aux principaux enjeux de solidarité internationale et de santé, le président de la République jetterait les bases d'une affectation similaire de la future version européenne de cette taxe. L'ébauche d'une véritable politique de redistribution pionnière et ambitieuse à l'échelle internationale. Le gouvernement français nouvellement élu est à présent face à une occasion historique : celle de pouvoir enclencher une dynamique de lutte efficace et durable contre des maladies responsables de plusieurs millions de morts".