La visibilité, une arme contre la sérophobie

Publié par Fred Lebreton le 02.11.2022
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Mode de vie

Juin 2022, une maison dans un quartier résidentiel de la banlieue de Lyon. Andréa nous accueille chez elle dans son intimité familiale, entourée de son mari et de ses trois enfants. La jeune femme franco-ivoirienne a soigné son look et son arrivée en descendant les escaliers qui mènent au salon, dans sa superbe robe rouge. « Est-ce que ça va mes cheveux ? » nous demande-t-elle. À 30 ans, Andréa est devenue l’une des figures les plus visibles de la lutte contre la sérophobie, que ce soit en Côte d’Ivoire ou en France. Rencontre.

Photo : Nina Zaghian

Quelles étaient vos connaissances et représentations du VIH avant d’être vous-même concernée ?

Andréa : Je connaissais les modes de transmissions, mais j’ignorais tout des traitements ou encore de la différence entre VIH et sida. En tant que jeune femme avec un accès à l’éducation et issue d’un milieu social confortable, je ne me sentais pas concernée par le VIH. Pour moi, c’était une maladie qui concernait principalement les usagers de drogue, les travailleuses du sexe, les personnes plus âgées ou la communauté gay.

Dans quelles circonstances avez-vous découvert votre séropositivité au VIH ?

En 2014, j’avais 22 ans et je venais de rencontrer un garçon avec qui les choses devenaient sérieuses. J’ai fait un dépistage VIH pour qu’on puisse arrêter le préservatif. C’était le premier dépistage de ma vie et je ne m’attendais pas du tout à un résultat positif. Ma mère et ma sœur jumelle savaient que j’allais chercher les résultats ce jour-là. En rentrant à la maison, j’ai fondu en larmes et elles ont compris direct. J’ai été dépistée en stade avancé de l’infection avec moins de 200 CD4/mm3 et une charge virale à plus d’un million de copies ; ce qui veut dire que j’étais sans doute infectée par le VIH depuis un bon moment. Ma famille m’a soutenue et, au départ, mon copain aussi. Mais je sentais bien qu’il avait peur que je lui transmette le VIH. Un jour, il a vu que ma brosse à dent était juste à côté de la sienne et il s’est mis très en colère. Il a fini par me quitter.

Qu’est-ce que le VIH a changé dans votre vie ?

Je dirais que la première année, j’ai perdu une forme d’insouciance et d’innocence. Je sortais moins. Je me suis renfermée sur moi-même et je me suis réfugiée dans la prière. Il y avait un fort sentiment de honte et de culpabilité en moi. J’ai connu aussi des effets indésirables dus aux traitements, comme une fatigue chronique, une prise de poids, une perte de mémoire ou une baisse de libido. Et puis en 2015, quelques jours après ma rupture amoureuse, j’ai rencontré Nicolas qui est devenu mon mari et le père de mes enfants. C’est son amour qui m’a sauvée et redonné confiance en moi. Nicolas était déjà informé et n’avait pas de crainte particulière liée au VIH.

Comment est venu votre projet de parentalité ?

Très vite avec Nicolas, j’ai ressenti le désir de fonder une famille. Nous avons tenté la méthode de l’insémination artisanale et c’est à ce moment que mon infectiologue m’a expliqué que, comme ma charge virale était indétectable, je pouvais concevoir un enfant de façon naturelle. Elle ne m’en avait jamais parlé avant mon désir de grossesse. Ma première fille est née en 2016 en excellente santé. C’était un vrai soulagement pour moi de ne pas transmettre le virus à mes enfants. Ce qui a été difficile à vivre, c’était de ne pas pouvoir allaiter. Mon infectiologue était contre l’allaitement pour les mères séropositives, de façon catégorique. Quand des amis ou de la famille venaient nous rendre visite, j’expliquais que je n’avais pas de montées de lait, mais c’était très frustrant pour moi.

Pourquoi avez-vous décidé de parler de votre vie avec le VIH à visage découvert sur les réseaux sociaux ?

Parce que je suis une femme séropositive heureuse, en bonne santé, en couple sérodifférent et maman d’enfants séronégatifs en bonne santé. Je voulais briser les représentations liées aux personnes séropositives. Historiquement, l’épidémie de VIH/sida a d’abord touché plus massivement les hommes gays et c’est cette communauté qui s’est mobilisée et qui a été la plus visible ; je les admire beaucoup. J’ai voulu m’inspirer de leur courage pour parler ouvertement du VIH. Chez les hétéros, le VIH est toujours un tabou, en particulier dans la communauté africaine. Il y a aussi une pression sociale et familiale, parfois et la peur du jugement et du rejet. Avant d’en parler sur mon compte Instagram [@joliespetiteschoses69, ndlr], j’ai d’abord demandé à mon mari et à ma famille si cela leur posait problème. Ils m’ont tous soutenue et encouragée même si, au départ, ma mère avait du mal à comprendre ce besoin d’en parler publiquement. Je voulais aussi montrer un visage féminin car j’ai constaté, que ce soit en France ou en Côte d’Ivoire, qu’il y avait très peu de femmes séropositives visibles. Je pense que la visibilité est une arme contre la sérophobie car on ne peut pas lutter contre quelque chose qu’on ne voit pas ! J’ai fait mon premier post sur mon compte Instagram en 2020 et je ne m’attendais pas à autant de réactions positives. J’ai reçu des centaines de messages de soutien, des questions et des témoignages d’autres personnes séropositives. Être visible, pour moi, c’est à la fois thérapeutique et libérateur.

Comment avez-vous vécu cette forte exposition médiatique et cette avalanche de messages sur les réseaux sociaux ?

Je dois avouer que tout est allé très vite. Une de mes vidéos sur Facebook a dépassé les dix millions de vues et les 7 000 commentaires ! Il y a des périodes où je recevais 50 messages privés par jour. C’est à la fois très touchant et vertigineux. La charge mentale de vouloir répondre à tout le monde est parfois lourde. À la fin de la journée, je ressens souvent une fatigue émotionnelle. J’ai conscience qu’il faut que je me préserve et d’ailleurs je viens d’annoncer que j’allais faire une coupure des réseaux sociaux, cet été, pour m’occuper de ma famille et de moi.

Quels sont vos projets ?

J'ai remporté récemment le prix de Madame entrepreneure Côte d'Ivoire 2022 avec la meilleure note du jury. J'ai également gagné dans la catégorie sociale et réseaux sociaux. Ce fut un moment très émouvant,  en présence de ma famille et de personnalités ivoiriennes influentes. Maintenant, je veux passer à l’étape suivante et monter ma propre association qui s’appellera le Mouvement contre la sérophobie. Il y aura deux axes : la sensibilisation à la sérophobie en milieu scolaire et en entreprises en Côte d’Ivoire et l’accompagnement des femmes vivant avec le VIH, notamment précaires et sans emploi. En Afrique, chaque heure, 34 jeunes femmes sont infectées par le VIH. Nous sommes en 2022 et le sida demeure la première cause de mortalité chez les femmes de 15 à 44 ans au niveau mondial. En Côte d’Ivoire, beaucoup d’entre elles refusent de prendre un traitement pour des raisons religieuses, culturelles ou par crainte d’être stigmatisées. Il y a un enjeu important aussi concernant la transmission mère-enfant du VIH en Afrique. J’ai envie d’apporter ma pierre à l’édifice et de donner de l’espoir et des outils à ces femmes pour qu’elles prennent soin d’elles et qu’elles regagnent confiance en elles. J’ai longtemps pensé que le VIH allait me fermer des portes, mais c’est tout l’inverse qui s’est produit. Aujourd’hui, tout le monde sait que je suis séropositive, cette information ne m’appartient plus et c’est à prendre ou à laisser.

 

Mouvement contre la sérophobie
Chose dite, chose faite ! Quelques semaines après notre rencontre avec Andréa, la jeune femme a annoncé le 17 août la création de son association : « J'étais tellement impatiente de le partager avec vous (…). Je vous annonce la création de mon association « Mouvement contre la sérophobie » dont les membres fondateurs sont mon époux, ma jumelle Sandra, et mes amis @sand_ylou, @top_sero , Cédric et moi-même. Nous luttons contre les discriminations et stigmatisations envers les personnes séropositives. Les grandes actions de l'association sont la sensibilisation en milieu scolaire, hospitalier et dans l'entreprise et par les médias. Lutter contre la transmission de la mère à l'enfant par un programme d'accompagnement de la grossesse au un an de l'enfant. Accompagnement psychologique (et aussi autonomisation des femmes) des personnes séropositives » a annoncé Andréa sur son compte Instagram (@andreamestre_) suivi par près de 15 000 personnes. Pour l’instant l’association n’a pas de site web mais vous pouvez suivre son actualité sur Instagram (@mcs_sida).