Labos et politiques : peu à déclarer !

Publié par jfl-seronet le 23.10.2011
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A l'occasion des discussions à l'Assemblée nationale autour de la loi sur le médicament (votée en première lecture, il y a quelques jours), Act Up-Paris avait envoyé un questionnaire aux députés sur leurs relations avec l'industrie pharmaceutique. Une quarantaine de parlementaires a répondu. Ce sont majoritairement des élus n'ayant pas déclaré de relations avec les entreprises du médicament. Explications.
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Chiches. Les réponses des députés au questionnaire d’Act Up-Paris sur leurs relations avec l'industrie pharmaceutique sont chiches. En effet, une petite quarantaine d’élus a répondu. Cela signifie que c’est silence radio pour plus de 540 députés. Pour Act Up-Paris (30 septembre), c’est "révélateur" et "guère surprenant (…) tant les liens entre de nombreux élus et l'industrie sont forts, et ne semblent pas poser problème aux intéressés". Pour l’association, ces "réponses et ces non-réponses permettent de mieux comprendre pourquoi certaines dispositions contraignantes pour l'industrie et indispensables au système de santé, ont été combattues par l'UMP" lors des débats parlementaires sur le projet de loi sur le médicament. Au 30 septembre, 39 députés avaient répondu sur 585 contactés. Parmi eux, on comptait 6 GDR (Gauche démocrate et républicaine), 23 SRC (socialistes et apparentés, 8 UMP et apparentés, 2 Nouveau Centre. Ces chiffres sont évidemment à comparer à la proportion de chaque groupe à l'Assemblée. Quatre députés indiquent des liens avec l'industrie. C’est le cas de Michèle Delaunay (députée PS de Gironde) qui indique avoir "réalisé des essais thérapeutiques pluricentriques et contrôlés dont les résultats ont été publiés dans des revues internationales à comité de lecture" ; elle n'a eu aucune relation professionnelle avec l'industrie depuis qu'elle est élue. Elle a participé à une réunion avec l'industrie, en début de mandat, sur le cancer qui est sa spécialité. Autre élu concerné, le député PS Gérard Bapt. Il a "assisté, au cours de la dernière mandature, à une vingtaine de réunions avec les représentants de l'industrie pharmaceutique, soit, sous forme d'entretiens de travail à l'Assemblée Nationale, soit, sous forme de débats au cours de petits déjeuners et de déjeuners" ; il a été membre d'un club d'économistes de la santé fondé en 2010, dont il s'est retiré quand il a été nommé président de la mission d'information sur le Mediator et la pharmacovigilance. Bref, pas grand chose du côté de la transparence. Act Up-Paris annonce dans un communiqué de presse qu’il maintient son questionnaire et qu’il l’adressera aux sénateurs qui débattront bientôt du texte.
Comment interpréter cette faible transparence des élus ? Act Up-Paris a sa lecture politique. "Le silence de nombreux députés et nombreuses députées, notamment à l'UMP, explique peut-être que la majorité ait refusé de voter des amendements pourtant indispensables à la santé publique". Et l’association de citer des "amendements permettant plus de transparence sur la fixation du prix du médicament, dont on sait que son caractère exorbitant est une des premières causes des déficits de l'Assurance maladie", un "amendement qui empêcherait l'industrie d'opposer aux requêtes de la nouvelle agence le secret commercial", un "amendement permettant de mieux prendre en compte les populations négligées par la recherche clinique, les femmes, les personnes âgées, les enfants, et des minorités. Cette prise en compte permettrait de mieux connaître les spécificités des médicaments, notamment les effets indésirables, sur toutes les personnes amenées à prendre le traitement". L’association estime que ce blocage de la majorité n’avait pour objet que de "ménager l’industrie" pharmaceutique. Du coup, elle doute de la probité des élus puisqu’elle avance que leur silence (sur d’éventuelles relations avec les labos) "ne permet pas de savoir si des liens d'intérêt éventuels expliquent cette décision. Faudra-t-il, d'ici 2012, rendre cette information publique sans que les personnes intéressées ne fassent elles-mêmes la démarche ? Voilà qui ne risque pas de redonner confiance dans la sécurité du médicament, ni en celles et ceux qui font les lois".

Commentaires

Portrait de jean-rene

La quasi non-réponse des députés au questionnaire d'Act-Up démontre le poids considérable qu'a l'industrie pharmaceutique sur les parlementaires que nous élisons. Ce qui m'a toujours étonné, c'est que la gauche, pendant les 14 années (de 1981 à 1995) qu'elle a eu la Présidence de la République, et pendant les 5 années (de 1997 à 2002) où elle a gouverné la France, n'a jamais envisagé la nationalisation de l'industrie pharmaceutique alors qu'on sait que "le caractère exorbitant du prix du médicament est une des premières causes des déficits de l'Assurance maladie". Mieux, je me souviens d'un sous-Ministre du gouvernement Jospin qui déclara un jour à la radio, après avoir reçu une délégation de l'industrie pharmaceutique, "qu'on ne pouvait pas demander aux labos de baisser leurs prix car cela nuirait à l'emploi"; il répétait bêtement ce que les lobbyistes de l'industrie pharmaceutique venaient de lui seriner. Aussi, il me paraît évident qu'il nous faut faire pression, dans le cadre de la campagne pour les présidentielles, sur les partis de gauche, et principalement sur le PS, pour qu'ils mettent enfin dans leurs programmes la nationalisation de l'industrie pharmaceutique. Les scandales ont assez duré. Il faut que ceux qui vivent de la santé soient à notre service.
Portrait de frabro

Les plus grands labos ne sont pas français et ne peuvent être nationalisés. Et aussi qu'avec une France super endettée je me demande où l'on va trouver les moyens de nationaliser les labos français existants. Peut-être aussi que les parlementaires ne jugent pas utile de répondre à un groupe activiste qu'ils jugent non représentatif...
Portrait de romainparis

et il n'est pas petit. Nationaliser ? Non, pas obligatoirement, mais on peut les taxer en leur faisant payer les franchises médicales par exemple ou réduire leurs subventions publiques qui servent à payer la recherche privée. Quand au lien public/labo, le groupe Servier est l'exemple et non l'exception. Quant à une éthique des grands groupe industriels, je n'y crois pas une demi-seconde : l'argent n'a pas de morale et peut encore moins moralisé.
Portrait de romainparis

"...réduire leurs subventions publiques qui servent à payer la recherche privée." Ou si l'Etat verse de l'argent public qui sert au labo à financer ses recherches, alors l'Etat doit toucher, en proportion des subventions versées, une part des ressources tirées des découvertes. Cela se nomme un retour sur investissement. Notre Etat endetté trouve de l'argent pour les banques, alors il peut en trouver pour le reste. De plus, je trouve qu'il est inacceptable, pour une soi-disant démocratie, qu'il n'y ait pas de transparence, effective et non théorique, concernant les conflits d’intérêts. Ceci quel que soit le parti au pouvoir.
Portrait de frabro

Voici le classement en chiffre d'affaire des dix principaux laboratoire :

1 Pfizer États-Unis 67 800 M$

2 Johnson & Johnson États-Unis 61 600 M$

3 Novartis Suisse 50 600 M$

4 Roche Group Suisse 50 268 M$

5 Merck États-Unis 46 000M$

6 Sanofi France 41 000 M$

7 GlaxoSmithKline Royaume-Uni 38 654 M$

8 Abbott États-Unis 35 000 M$

9 AstraZeneca Royaume-Uni 33 300 M$

10 Eli Lilly États-Unis 23 000 M$

Je suis d'accord pour faire participer les labos de quelque façon que ce soit à l'effort de santé publique, mais je ne vois pas comment le faire en pratique en partant du constat que "l'argent n'a pas de morale" et encore moins dans une économie mondialisée.

Portrait de romainparis

Si l'on se dit que l'on ne peut rien faire de pratique contre le "monstre" (finance mondialisée), laissons-le continuer à nous digérer. Il faut seulement une décision politique, qui ne viendra pas du gouvernement actuel, totalement assujetti au monstre. Un cas pratique par exemple : un gouvernement décide que les franchises payées par le patient sur chaque boite de médocs remboursée par la sécu seront désormais payées par les labo. Bien sûr, ceux-ci font se rebeller et menacer d'augmenter les prix des médocs par exemple. Dans ce cas-là, menacer à son tour de ne plus vendre leur médocs et de les copier* en parfaite violation du droit des brevets et les labos viendront négocier. C'est exactement ce que le Brésil a fait pour faire baisser les prix des antiviraux. C'est malheureux à dire, mais le monstre ne connait que la force et la seule façon de le faire plier sont les menaces économiques. Touchez à son argent et vous atteindrez son coeur. Quant aux fameuses règles économiques des traités comme celle du libre-échange, elles ne sont respectées que par ces cons d'européens. *Ce qui implique un gouvernement préparé à cette possibilité. Copier une molécule chimique est enfantin, il suffit de l'analyser.
Portrait de ouhlala

cumul des mandats... il y a du ménage à faire dans la classe politique. Sinon, mettre l'industrie pharmaceutique au pas, comme les banques, je suis pour. Il y a sûrement une bonne part d’enfumage dans leurs arguments ("y toucher c'est mettre l'emploi en péril", "si on continue de chercher, c'est qu'il y a du profit à la clé","les chercheurs s'expatrient déjà en grand nombre, mais comment qu'on va faire" etc.). Qu'ils se fassent des couilles en or dans les pays chantres du libéralisme comme les états-unis d'amérique, si leur population n'y voient pas de problèmes. Sinon, copions allégrement. Respecter les règles, mais quelles règles : piller allègrement les états et les consommateurs ? Les choses changent. Ce qui n'était pas possible hier le devient aujourd'hui. Hier, devenir trader était le nec plus ultra, aujourd'hui ça devient une profession honnie qui n'a plus la côte chez les jeunes. L'argent désirable devient l'argent haïssable. Avec tout cet argent qui n'ira pas dans la poche des actionnaires, il devrait être possible d'investir dans la recherche publique. Cela dit, pour les franchises, les faire payer aux labos, revient en fait à diminuer leur bénéfices (n'oublions pas que la mesure, outre rapporter un peu à l'Etat, a été pondue soi-disant pour responsabiliser les consommateurs...). Simplifions les allers-retours en leur faisant baisser les prix, ce qui se fait parfois, je crois bien que le gouvernement a négocié récemment une baisse des prix des antiretroviraux par exemple, et que les labos ont consentis, mais c'est après s'en être mis pleins les poches pendant 15 ans. Et ça ne concerne sans doute pas certaines autres molécules récentes hors de prix, anticancers par exemple.

Après, c'est sûrement encore plus compliqué. Copier une molécule de Pfizer en France, c'est des rétorsions à la clé pour les exportations françaises. A la guerre comme à la guerre.