Le brevet du sofosbuvir partiellement retoqué

Publié par jfl-seronet le 31.10.2016
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ThérapeutiquesofosbuvirVHChépatite C

Le 5 octobre dernier, l’Office européen des brevets (OEB) a, en partie, invalidé le brevet du laboratoire Gilead concernant le sofosbuvir (Sovaldi), un antiviral à action directe contre le VHC. Médecin du Monde (MdM), qui avait lancé en février 2015 cette procédure, affiche sa grande satisfaction. Curieusement, le laboratoire aussi. Explications.

Quelle procédure a été lancée par Médecins du Monde et pourquoi ?

En 2015, MdM décide de lancer une "opposition au brevet" qui est une procédure juridique permettant de contester la validité d’un brevet. L’organisation non gouvernementale estime que la molécule de Gilead, le sofosbuvir, ne remplit pas les critères de brevetabilité définis par la Convention sur le brevet européen (CBE), en particulier pour manque d’activité inventive. MdM ne remet pas en cause le fait que le médicament est une "avancée thérapeutique majeure" dans le traitement du VHC, mais avance que la "structure chimique de la molécule en elle-même dérive de l’association de composés déjà existants". Autrement dit, le sofosbuvir est le résultat de travaux scientifiques réalisés antérieurement par des chercheurs dans le privé et le public et ne constitue donc pas une innovation telle qu’elle soit brevetée. Ce qu’Olivier Maguet, responsable de la mission prix des médicaments à Médecins du Monde, résume d’une formule : "Ce n’est pas parce qu’un médicament soigne qu’il est nécessairement une invention brevetable". MdM a avancé trois autres arguments techniques à sa demande.

Quels sont tous les arguments avancés par MdM dans son mémoire d’opposition au brevet ?

Le 16 février 2015, Médecins du Monde a déposé un mémoire d’opposition concernant le brevet EP 220346 sur le sofosbuvir délivré par l’Office européen des brevets à Gilead le 21 mai 2014. Les contenus de l’opposition formée par MdM relevaient des trois motifs d’opposition prévus par l’article 100 de la Convention sur le brevet européen. Plus concrètement, lesmotifs d’opposition étaient :

1 : L’objet du brevet va au-delà du contenu de la demande telle qu’elle a été déposée. La formule du sofosbuvir n’est pas explicitement décrite en tant que telle dans la demande de brevet ;
2 : Le brevet européen n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter. Le brevet ne décrit aucune méthode spécifique pour synthétiser le sofosbuvir.
3 : L’objet du brevet n’est pas nouveau. Le sofosbuvir avait été divulgué dans l’état de la technique qui existait avant la demande.
4 : L’objet du brevet n’implique pas d’activité inventive. Le sofosbuvir découle de manière évidente de l’état de la technique.

Quelle décision a été rendue ?

L’OEB avait trois possibilités : maintenir le brevet, révoquer le brevet, le maintenir sous une forme modifiée. Au terme de deux journées d’audition des différentes parties prenantes, l’OEB décide le 5 octobre dernier de maintenir partiellement le brevet de Gilead sur le sofosbuvir sous une forme amendée. En pratique, l’OEB a annulé certaines dispositions du brevet dont celles couvrant le sofosbuvir. La contestation de l’inventivité n’a pas été retenue. C’est la raison pour laquelle le brevet n’a pas été révoqué dans son ensemble, mais juste partiellement modifié.

Comment ont réagi MdM et Gilead ?

Du côté du laboratoire, on s’est réjoui que l’OEB ait reconnu la "validité du brevet européen du sofosbuvir" et que celui-ci "a considéré que les revendications couvertes par le brevet du sofosbuvir sont valides. L’OEB a estimé que ces revendications étaient nouvelles et innovantes". Bref, le laboratoire dit ouf et affiche sa satisfaction. Du côté de MDM, on explique que le "droit a parlé et a montré que le brevet n’était pas aussi solide qu’il y paraissait". "Il a clairement démontré que la qualité du brevet était faible et qu’il était utile d’intervenir publiquement dans le système des brevets", défend l’organisation. "A partir de cette première brèche, nous attendons maintenant une action politique forte de la part des gouvernements en Europe" a expliqué Yannick Le Bihan, directeur des opérations France de MdM.

Que va-t-il se passer désormais ?

Le brevet étant maintenu, même modifié, le sofosbuvir peut toujours être commercialisé. Mais pour MDM, le brevet est désormais plus fragile en Europe. "C’est donc un brevet bancal qui a permis au laboratoire d’exercer une pression phénoménale sur les Etats, qui ont accepté ces prix exorbitants conduisant à un rationnement des traitements", a d’ailleurs expliqué le Dr Françoise Sivignon, présidente de MDM. Pour l’ONG, cette nouvelle donne devrait inciter les pays à renégocier fermement les prix à la baisse. Mais cela ne suffit pas. Médecins du Monde demande aux Etats d’utiliser la licence d’office qui autorise la commercialisation des génériques efficaces d’un médicament, même protégé par un brevet.