Le Conseil constitutionnel saisi de la loi prostitution

Publié par Rédacteur-seronet le 20.11.2018
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Politiqueprostitutiontravail du sexe

La disposition de la loi d'avril 2016 pénalisant les clients des travailleuses-eurs du sexe est-elle contraire au droit au respect à la vie privée et à la liberté d'entreprendre ? C’est à cette question que devra répondre le Conseil constitutionnel dans un délai de trois mois (1). Des associations (Médecins du Monde, la Fédération Parapluie rouge, le Strass, les Amis du Bus des femmes, Cabiria, Griselidis, Paloma, AIDES, Acceptess-t) et des militants-es, travailleuses-eurs du sexe ont obtenu, au terme d’une procédure devant le Conseil d’État, la saisine du Conseil constitutionnel.

Le 12 novembre, le Conseil d’État a accepté de transmettre aux Sages une question prioritaire de Constitutionnalité (QPC) déposée par neuf associations et cinq militants-es, travailleuses-eurs du sexe portant sur la pénalisation des clients-es, une des mesures prévues par la loi, entrée en vigueur en avril 2016, visant à mettre fin au « système prostitutionnel» en France. Les associations et travailleuses-eurs du sexe avaient d’abord demandé au Premier ministre d’abroger l’un des actes d’application de la loi. Il s’agissait, en l’occurrence, d’un décret du 12 décembre 2016 portant sur le « stage de responsabilisation du client ». La loi d’avril 2016 prévoit une amende de 1 500 euros pour « recours à l’achat d’un acte sexuel ». L’infraction devient délit en cas de récidive avec, cette fois, une amende de 3 750 euros. À cette amende, s’ajoute une « peine de stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels ». Les services du Premier ministre n’ont pas répondu à cette demande. Ce silence a valu comme un rejet de la demande d’abrogation. Ce qui a, de fait, permis d’ouvrir de nouveau la voie à un recours. Les parties requérantes ne pouvaient, dès lors, qu’utiliser la QPC via la saisine du Conseil d’État pour faire avancer leur demande. Un mémoire, enregistré le 5 juin 2017 au Conseil d’État, a été déposé par les associations et travailleuses-eurs du sexe concernés. En lançant cette procédure, les requérants-es entendent « faire constater que cette loi porte gravement atteinte aux droits et libertés que la constitution garantit ».

« C'est une vraie victoire d'étape, puisque le Conseil constitutionnel devra se prononcer sur la constitutionnalité de la loi de 2016, qui reste très controversée », a souligné auprès de l'AFP maître Patrice Spinosi, l'avocat des requérants-es, qui souhaitent l'abrogation du texte. Pour ces derniers-ères, cette loi, qui réprime « même entre adultes consentants » le recours au travail du sexe, « méconnaît les droits constitutionnels à l'autonomie personnelle et à la liberté sexuelle, le droit au respect de la vie privée, la liberté contractuelle, la liberté d'entreprendre ainsi que le principe de nécessité et de proportionnalité des peines ».

Lors de l'audience devant le Conseil d’État, le 5 novembre, maître Patrice Spinosi avait critiqué « le caractère schizophrénique » de la situation actuelle, les travailleuses-eurs du sexe payant des impôts alors que leurs clients sont pénalisés. Anne Iljic, rapporteur public, s'était prononcée pour la transmission de la QPC aux Sages, mettant notamment en avant que la pénalisation des clients avait « tari l'activité » des travailleuses-eurs du sexe, ce qui est susceptible de représenter une atteinte à la liberté d'entreprendre, rappelle l’AFP.

Le Conseil d’État a estimé que la question soulevée par les requérants-es présentait « un caractère sérieux » et qu'il y avait bien lieu de saisir le Conseil constitutionnel. Le mouvement du nid (structure abolitionniste) était intervenu auprès du Conseil d’État pour que la QPC ne soit pas transmise au Conseil constitutionnel : cette intervention n’a pas été retenue par l’institution, pour des motifs de droit.

C'est « un premier pas vers la censure de la loi », se sont félicité les associations requérantes dans un communiqué. L'ONG rappelle que l’enquête conduite par des chercheuses-eurs en lien avec des associations de terrain et communautaires (2) publiée en avril dernier, avait révélé : « les conséquences néfastes de cette loi sur la santé, l'intégrité physique, les droits et les conditions de vie des travailleuses du sexe en France ». « Les membres du Conseil constitutionnel auront donc à trancher une question fondamentale de société : ils devront dire pour l’ensemble de la société, si la liberté de commerce prime sur les droits humains que sont le droit à la dignité, à l’intégrité des êtres, au respect du bien-être des personnes et à l’égalité entre les femmes et les hommes. Pénaliser le client, c’est poser un interdit sociétal sur l’achat des êtres humains pour du sexe, sur la destruction de la santé des personnes les plus discriminées », explique le Mouvement du Nid dans un communiqué (12 novembre).

« Abroger la pénalisation du client, ce serait favoriser la loi du plus fort (…) Pénaliser est indispensable pour abolir la violence, car sans acheteur il n'y a pas de prostitution », conclut l’association.

Remerciements à Chloé Le Gouez (AIDES, plaidoyer)

(1) : À compter du 12 novembre 2018.
(2) : Une enquête sur l’impact de la loi du 13 avril 2016 contre le « système prostitutionnel » a été réalisée par des chercheuses-eurs : Hélène Le Bail, Calogero Giametta et Noémie Rassouw, en lien avec onze associations de santé et des associations de défense des travailleuses-eurs du sexe. Elle a fait l’objet d’un rapport publié en avril 2018.