Le G8… touche le Fonds !

Publié par jfl-seronet le 29.08.2009
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C'est en juillet dernier que s'est tenu à L'Aquila, en Italie, le dernier sommet du G8. Un grand sommet international réunissant les dirigeants des huit premières puissances mondiales, une occasion pour deux activistes africains, Simon Kaboré du Burkina Faso et Fogué Foguito du Cameroun, et un représentant de AIDES, Antonio Manganella, de parler de l'autre crise financière, celle qui frappe les personnes touchées par le VIH/sida. Elles sont plus de 33 millions dans le monde.
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Chaque année, le G8, "LE" rendez-vous des grands de ce monde, réunit un casting de haute volée avec invités prestigieux, décideurs de premier plan et leaders d'opinion. Curieusement, cette année, Michel Kazatchkine, le directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, ne fait pas partie des invités. C'est d'autant plus surprenant que c'est lors d'un précédent G8 en Italie, à Gênes plus précisément, il y a huit ans, qu'avait été décidée la création du Fonds mondial. Cette absence a une explication : elle évite de mettre en porte à faux les leaders du G8 qui ne tiennent pas leurs promesses en matière de financement du Fonds mondial. Elle évite aussi d'avoir Michel Kazatchkine, sur place, devant des micros réclamant à ces mêmes leaders de "contribuer à hauteur de 30 millions de dollars supplémentaires chacun" au comblement du trou financier du Fonds mondial. Bref, tout semble fait pour qu'on ne parle pas de l'accès aux soins dans les pays du sud, de cette "révolution sanitaire" créée par le Fonds mondial qui pourrait aujourd'hui tourner court par manque d'argent.

C'est sans compter sur la présence de deux militants de la lutte contre le sida au Sud, deux acteurs de la société civile venus pour mettre cette question au menu du G8. Quelques jours avant leur arrivée à L'Aquila, Simon Kabore et Fogué Foguito publient une tribune sur le site Rue 89. Un texte qui tient presque lieu de lettre de mission. L'objectif est clairement défini : "Au G8, relançons le Fonds mondial contre le sida". "Pour la première fois, nous allons participer au G8 (…) Nous sommes ravis d'avoir cette opportunité de porter auprès des dirigeants les plus influents de la planète et auprès des médias internationaux les questions qui nous préoccupent quant au financement de la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme dans nos pays", écrivent-ils. Ils rappellent que le "Fonds mondial est un pot commun, abondé par les pays riches", mais aujourd'hui le compte n'y est plus parce que "les pays donateurs rechignent à honorer leurs engagements". D'ici 2010, le Fonds a besoin de cinq milliards de dollars. Sans cela, ce formidable outil est en danger. Une situation d'autant plus incompréhensible que le Fonds mondial a donné lieu à des avancées majeures en matière d'accès aux soins et sauvé bien des vies. "Au Cameroun par exemple, le Fonds mondial a permis à lui seul de mettre gratuitement sous traitement anti-sida 70 000 personnes. Au Burkina-Faso, il a notamment permis à la société civile, et aux associations de personnes concernées, d'être reconnues pour le rôle qu'elles endossent depuis longtemps, dans la prise en charge notamment psychosociale des malades.", écrivent Simon Kaboré et Fogué Foguito.

Reste que le G8 n'est pas une partie de plaisir. En effet, côté travaux pratiques, rien n'est facile. "Le G8 est une énorme machine, reconnaît Antonio Manganella, chargé du plaidoyer international à AIDES. Les conférences de presse sont nombreuses, très contrôlées. Il est très difficile de pouvoir y prendre la parole notamment si on n'appartient pas à un "grand" média et on ne peut pas relancer même lorsque la personne interviewée est approximative dans ses réponses. C'est ce qui s'est passé avec Nicolas Sarkozy. Nous avons tous les trois obtenu notre accréditation pour participer à sa première conférence de presse. Fogué qui est le président de Positive Generation, une association communautaire de personnes touchées au Cameroun, a interpellé le président français sur les difficultés du Fonds mondial, les promesses françaises non honorées… Ce dernier a répondu en avançant les chiffres, non prouvés, de ce que serait l'aide française à la santé et il est évidemment vite passé à d'autres sujets sans permettre à Fogué de réintervenir. Et dans ce type de rendez-vous, on ne peut pas du tout compter sur la solidarité des autres journalistes pour relancer. Cette unique intervention a cependant été le coup de trop puisqu'il n'a plus été possible, malgré nos efforts, d'obtenir  de nouvelles accréditations pour les autres conférences de presse de Nicolas Sarkozy. En d'autres occasions, il a même fallu batailler ferme pour avoir le micro et parfois sans succès. Ainsi, Fogué n'a jamais pu poser de questions au directeur du FMI durant sa conférence de presse."

Du coup, les militants font leur propre conférence de presse et réussissent, malgré une certaine adversité, à mettre cette question à l'agenda médiatique à défaut d'avoir plus le faire complètement sur l'agenda politique. "Nous avons tenu une conférence de presse sur la campagne "Re Mind the GAP" [l'objectif est de trouver cinq milliards de dollars pour combler le déficit du Fonds mondial] pour rappeler notre mot d'ordre et nos revendications comme l'instauration d'une micro taxe sur les transactions de change et nous avons participé à une conférence de presse sur l'Afrique. Il n'y avait pas de média africain présent à L'Aquila et Fogué et Simon étaient les deux seuls représentants africains de la société civile. Les deux conférences de presse ont débouché sur des interviews dans des medias aussi différents que RFI ou l'agence de presse Chine Nouvelle Xinhua, la télé allemande ZDF que la télé japonaise Nippon TV News ou encore France 24 ou le journal italien "Famiglia Cristiana" ("Famille chrétienne"), etc. On a obtenu des résultats malgré des contraintes majeures. Une chose est sûre, c'est qu'elle ne sont surmontables que si les militants du Sud et ceux du Nord travaillent de concert."

"Le G8 est terminé. Nous sommes déçus. Déçus parce qu'il n'y a eu aucune réaction véritable des dirigeants du G8 au regard des vies de millions de malades touchés par le VIH, la tuberculose et le paludisme, tout juste quelques miettes en rapport aux milliards dont a besoin le Fonds mondial (…) Alors qu'il manque trois milliards de dollars au Fonds mondial pour terminer l'exercice budgétaire d'ici 2010, la France est restée invisible et chiche…", dénoncent Simon Kaboré et Fogué Foguito dans un texte publié sur le site Rue 89 à l'issue du G8. Les militants se disent déçus "des chiffres avancés depuis des années, qui, à la fin, ne veulent rien dire (…) On nous promet 15 milliards pour assurer la culture vivrière (…) L'Afrique n'a pas seulement besoin d'agriculture, l'Afrique a besoin de soigner ses malades du sida, de la tuberculose et du paludisme (…) Il y a 7 millions de malades du VIH/sida qui n'ont pas de traitements, [les dirigeants du G8] n'ont rien dit là-dessus, le Fonds mondial de lutte contre le sida a besoin de 3 milliards pour se renflouer, ils n'ont rien dit non plus."

Cette colère n'habite pas seulement les militants de la lutte contre le sida, elle se manifeste aussi chez des chercheurs. Il faut un effort financier pour des médicaments. "Quatre millions de personnes sont sous traitement dans les pays "pauvres". Si on l'arrête, on les condamne à mort", dénonce ainsi le docteur Julio Montaner, président  de l'IAS (Association internationale sur le sida) dans une interview au quotidien belge Le Soir (30 juillet dernier). Et lorsqu'on lui demande ce qu'il pense de la réponse politique apportée au G8 sur ce sujet, il assène :  "C'est une tragédie ! Alors qu'en 2005, le G8 s'était engagé à implémenter le traitement universel pour 2010, le G8 de début juillet n'a même pas eu un mot sur la pandémie de sida. Pas même une promesse à ne pas tenir !"
Photos : Lomé (Togo) - AIDES