Le meilleur du VIH en 2011 : retour sur un an de prévention(s) (3/4)

Publié par Renaud Persiaux le 05.01.2012
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Sexualitéprévention

Suite de notre série de rétrospectives 2011. Le troisième épisode concerne les stratégies de prévention. OK, pour un site comme Seronet destiné aux séropos, ça semble un peu en décalage… mais en fait pas tant que ça… Par Renaud Persiaux

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D’abord, parce qu’il faut bien qu’on soit au courant des nouveautés pour informer nos amis et les aider ainsi à rester séronégatifs. Et parce que la nouveauté, c’est que le traitement, c’est aussi de la prévention.

1. Le traitement, c’est de la prévention…
C’est sans doute "LA" nouvelle de 2011, l’essai HPTN 052 : le traitement comme moyen de prévention, ça marche. Pour celles et ceux qui suivent un peu l’actualité depuis l’avis suisse (rapport Hirschel), le scoop paraitra un peu éventé… Mais il semble qu’il a fallu en passer par le label "prouvé scientifiquement par les Américains" pour que tout le monde s’empare du concept… et de la bonne nouvelle saluée par le magazine Science comme la percée scientifique de l'année !

96% de réduction du risque de transmission du simple fait de la mise sous traitement, et aucune transmission observée en cas de charge virale indétectable. L’ONUSIDA et l’Organisation mondiale de la santé estiment qu’il faut s’"assurer que les couples ont la possibilité de choisir le traitement comme prévention et qu’ils y ont accès". Les deux organismes voient dans le TASP (treatment as prevention, traitement comme prévention) une incitation au dépistage, à la discussion autour du statut sérologique et des options de préventions avec les partenaires, un encouragement à être suivi médicament et un levier pour réduire les stigmatisations et les discriminations qui entourent le VIH. Au passage, en cas de charge virale indétectable et de traitement efficace, tout le monde s’accorde à dire que le risque de sur-contamination par une autre souche de VIH est nul ou quasi nul.


2. ... Mais personne ne le sait !
C’est ce que montre l’enquête "VIH, hépatites et vous", réalisée par AIDES fin 2010 (1000 personnes vivant avec le VIH et/ou le VHC y ont participé). Seules 57% de ces personnes, pourtant proches du milieu associatif, connaissaient en 2010 le "rapport Hirschel" (l’avis suisse). Presque les deux tiers l’ont appris par une association et seulement un tiers par leur médecin. 43% des répondants, bien que séropositifs, n’en avaient jamais entendu parler ! Et pourtant, comme le montre l’enquête "VIH, hépatites et vous", donner l’information du TASP, c’est tout bénéf ! 68% des personnes connaissant l’avis suisse ont moins peur de transmettre le virus et 60% ont moins peur de parler du VIH avec leurs partenaires. 15% jugent leur vie sexuelle meilleure qu’avant, alors que la peur de transmettre conduit certains à abandonner toute sexualité. 18% des personnes ont une meilleure observance, un point-clé pour leur santé et un argument-choc pour les médecins. Enfin, il n’y a pas d’abandon de la capote. 76% utilisaient le préservatif ni plus ni moins qu’avant avec leurs partenaires séronégatifs et 11% plus qu’avant ! Même dans des campagnes alsaciennes et franc-comtoises, les séropos ont envie de savoir… et aussi que ça se sache !


3. Le TASP, ça marche aussi chez les gays !
Beaucoup de discussions à ce sujet. Pas de preuve aussi formelle que dans HPTN 052 (cela ne sera sans doute jamais possible), mais de nombreuses données convergentes suggèrent que le TASP est une méthode efficace chez les gays. Et une information-clé est apparue début septembre : une étude des Centres américains de contrôle des maladies montre que les charges virales (CV) du sang et du rectum sont très fortement reliées. Si la CV est indétectable dans le sang, elle l’est aussi dans le rectum. Et cela reste vrai même en cas d’IST. De plus, on sait depuis 2010 qu’en cas de CV indétectable dans le sang et en prenant correctement les traitements actuels, il n’y a pas de VIH dans le sperme en l’absence d’IST. De quoi faire dire à de nombreux médecins et chercheurs que l’enquête "il n’y a pas de raison biologique que l’effet préventif ne s’applique pas" (le docteur Michel Ohayon, directeur du 190, premier centre de santé sexuelle français) et que "homo couple stable, c’est comme hétéro couple stable" (le professeur Christine Rouzioux, virologue à l’hôpital Necker (Paris).

4. La charge virale communautaire
Ce nouveau concept fait sont entrée, en lien avec le "test and treat" ("dépister et traiter") et avec un chiffre qui fait rêver de ce coté de l’Atlantique : à San Francisco, en quelques années, le nombre de nouvelles contaminations chez les gays a drastiquement chuté : de 820 en 2004 à 500 en 2009. Soit 36% ! Une baisse spectaculaire qui suit celle de la "charge virale communautaire", 25 000 copies/ml en 2004 et… 10 000/ml copies en 2009 ! Mais c’est quoi ? pour faire simple, la quantité de virus qui circule dans une communauté donnée. Elle dépend de trois critères :
1) le nombre de personnes qui connaissent leur statut ;
2) le nombre de personnes sous traitement ;
3) l’efficacité de ce traitement et la qualité du suivi.
A la base de ce succès "san-franciscain" ? Une politique volontariste de proposition de dépistage et de proposition de mise sous traitement précoce, le tout intégré dans une offre globale de prévention avec promotion du préservatif, du traitement et des autres techniques de réductions de risques. Sans oublier… une forte mobilisation des communautés. La charge virale communautaire, à AIDES, on en parle dans une brochure, PREVS, à télécharger ici.


5. L’épidémie baisse en Suisse, MAIS stagne (voire grimpe) en France et en Belgique
Ça baisse donc, précisément, dans le pays où l’avis suisse a été le plus diffusé. De quoi calmer, on l’espère, les Cassandre. En Suisse, les derniers chiffres de surveillance de l’épidémie ne montrent en aucune façon l’explosion épidémique que certains annonçaient, encore récemment. Au contraire, le nombre de cas diagnostiqués chez les homosexuels ne fait que baisser : passant de 330 cas en 2008 à 250 cas fin 2011, selon les calculs de l’Office fédéral de la santé publique. En Belgique, c’est "record depuis l’apparition de l’épidémie", si l’on en croit le journal "Le Soir". "1196 nouveaux cas de contaminations par le virus VIH ont été diagnostiqués en Belgique en 2010, selon les chiffres de l’Institut de santé publique. Plus de trois contaminations chaque jour […] Le nombre de personnes contaminées par le virus du sida ne cesse d’augmenter depuis une dizaine d’années, alors qu’en 1997, on était arrivé à le faire baisser sous 750 contaminations par an… Le taux de contamination chez les homosexuels masculins a doublé en moins de dix ans, laissant entendre qu’on s’y protège moins bien que dans un passé récent". Nulle trace de grandes campagnes sur l’intérêt préventif du traitement. Ni en France, d’ailleurs, où l’épidémie stagne autour de 6300 découvertes de séropositivités depuis 2008. Ce qui cache des disparités : ça augmente chez les gays et autres HSH, ça baisse chez les hétéros.

6. La circoncision marche dans la vraie vie
Aussi une méthode qui avait eu ses détracteurs. Et pourtant ça marche, a révélé la conférence de Rome (IAS) en juillet. L’importante campagne de circoncision d’Orange Farm (étude ANRS 12126) a démontré son efficacité à grande échelle. Après 25 000 circoncisions et trois ans d’étude, la réduction de la prévalence (55%) et de l'incidence du VIH (76%) est importante chez les circoncis, explique Bertran Auvert, un des coordinateurs de l’étude. Le coût a été réduit à 40 euros par circoncision, pour 20 minutes d’intervention. Selon lui, on devrait assister à une accélération des programmes de généralisation de la circoncision en Afrique australe et de l'Est. Et voir rapidement l'incidence et la prévalence du VIH diminuer dans ces régions. On espère un effet rebond chez les femmes. Chez les gays, on ne sait toujours pas si ça marche, les méta-analyses (analyses des résultats d’autres études scientifiques) ne dissociant pas les gays actifs des gays passifs (si tant est que ces catégories bien tranchées existent).

7. "Prép"… arez-vous !
La prise d’antirétroviraux par des séronégatifs, dans un but préventif, il y a ceux que ça énerve...  Et ceux que ça rassure parce que cela veut dire que malgré le TASP, on ne se dirige pas vers une prévention reposant uniquement sur les épaules des personnes séropositives, ce qui nous laissera plus libres de commencer ou pas le traitement. En un an, se sont accumulés les résultats, spectaculaires ou décevants. L’essai Iprex, sur 2 499 hommes ayant des rapports avec d’autres hommes, avec une protection moyenne de 42%, allant jusqu’à 73% chez les personnes prenant Truvada 9 fois sur 10, et jusqu’à 87% chez les personnes ayant un taux de médicament détectable dans le sang.  Partners Prep qui a inclus 4 758 couples hétérosexuels sérodifférents, chez qui, dans le cadre de l’essai, c’était la personne séronégative qui prenait Truvada, pour une protection moyenne de 73% (83% chez les hommes et 62% chez les femmes). TDF2, sur 1 200 femmes et hommes hétérosexuels suggérait une efficacité de 63%, mais la taille de l’essai était insuffisante pour une conclusion valide sur le plan statistique. En revanche, l’essai Fem-Prep, sur 1 951 femmes très exposées au risque d’être contaminées par le VIH, a été arrêté en avril, faute d’efficacité (même nombre de contaminations dans les groupes prenant Truvada et le placebo).

8. LE puzzle de la PreP ET IPERGAY
Des résultats discordants qui pourraient s’expliquer, entre autres, par une pénétration meilleure du médicament dans les muqueuses du rectum que dans les muqueuses du vagin et du cerveau, ainsi que l’a montré une étude dont les résultats ont été publiés le 7 décembre 2011. Autre hypothèse, d’ailleurs compatible : la Prep serait moyennement efficace chez les femmes exposées à des quantités de virus faibles (partenaire stable séropositif en phase chronique non traité) mais plus du tout chez les femmes exposées à des quantités de virus fortes (partenaire occasionnel en primo-infection). Une explication qui reste à confirmer… Au final, une demande d’extension d’indication de Truvada a été déposée aux Etats-Unis le 15 décembre 2011. Les résultats discordants de ces essais ne vont sans doute pas faciliter la décision de l’Agence américaine du médicament, la FDA. Tous ces essais évaluaient l’efficacité de Truvada en prise quotidienne. Un schéma différent de celui évalué dans l’essai ANRS-Ipergay, qui débute le 4 janvier 2012 (lire le CP de l'ANRS) à Paris (Hôpitaux Saint-Louis et Tenon) et à Lyon (Hôpital de la Croix-Rousse). La prise de Truvada aura lieu avant et après les rapports sexuels. Evaluée contre placebo, elle sera intégrée dans un package de prévention complet, correspondant au meilleur standard disponible en France, avec l’implication de AIDES.

9. Vaccin muqueuse de Morgane Bomsel : ça marche !
100% de protection au niveau de la muqueuse vaginale, chez le macaque. C’est peu dire que le vaccin conçu par Morgane Bomsel et son équipe de l’Institut Cochin (Paris) est prometteur. Avec un spray nasal et une injection, il induit la fabrication d’anticorps protégeant du VIH dans les muqueuses du vagin. Les cinq femelles macaques vaccinées ont été protégées d’expositions répétées (13 fois) au VIH ; les cinq ayant reçu un placebo ont étés infectées. La protection au niveau du rectum est évaluée chez le macaque, résultats attendus en 2013. Chez la femme, la tolérance est bonne et des anticorps sont produits ; reste à savoir s’ils sont aussi protecteurs que chez le macaque. Problème : la chercheuse court depuis près d’un an pour le financement. Sans succès pour l’instant. Dommage !

10. Vaxprep

Changement d’échelle : combiner carrément une vaccination plus une PrEP , avec des vaccinations répétées pour soutenir la réponse immunitaire contre le VIH (dans l’essai américano-thaï, la protection tourne autour de 60% la première année, puis diminue). Il fallait y penser, Robin Shattock, immunologue à Londres, l’a fait : c’est VaxPrEP. Des études sont en cours pour voir comment introduire un élément vaccinal dans un gel ou dans des anneaux contenant des antirétroviraux. Cela permettrait, à la fois, de freiner la transmission immédiate (par l’effet de la PrEP "locale") tout en stimulant suffisamment l’immunité locale de la muqueuse pour soutenir la réaction défensive naturelle du corps contre le virus. Car, on ne le sait pas assez, l’efficacité du vaccin dépend aussi de la quantité de virus au contact des muqueuses. Si on additionne l’effet d’une PrEP (tournant, à la louche, entre 40 et 60%) et d’un vaccin (tournant aussi autour de 40 à 60%), les niveaux de protection atteints sont pour le moins intéressants. Avec des premiers résultats  encourageants. La prévention n’a pas fini d’être combinée !

11. le Pape autorise le préservatif
Enfin… dans certains cas "exceptionnels" ! C’est dans son livre "Lumières du monde". Mais si le Saint Père admet que les préservatifs peuvent réduire le risque de contamination par le virus du sida, par exemple "chez les prostitués masculins", pour lui la meilleure façon de combattre l’épidémie reste une "attitude plus humaine par rapport au sexe". Extraits : "L’Eglise ne considère pas le préservatif comme une solution morale" et le préservatif n’est "pas le meilleur moyen de combattre l’infection au VIH" et "une fixation sur le préservatif dénote une banalisation de la sexualité", dans un monde où la sexualité n’est plus l’expression de l’amour, mais simplement "une drogue que les gens s’administrent". Cela fait cependant longtemps que certains groupes catholiques militent pour la capote. Leur slogan : "Les bons catholiques utilisent des préservatifs". Notre proposition pour 2012 : juste changer la fin "utilisent la prévention combinée" ! COM-BI-BEE, on vous dit !

Le malus : MOINS d’argent pour le sidA EN 2011
Résumons : on sait donc comment arrêter l’épidémie et au niveau individuel, on a désormais plus d’outils pour s’adapter aux besoins des personnes en fonction des envies, des possibilités, des situations, de leurs stratégies individuelles. Mais il y a moins de fric. Les promesses des pays riches n’ayant pas été tenues, le Fonds Mondial a été obligé d’annuler son round 11. Si on traduit cette novlangue très techno en langage concret, ça veut dire plus une seule nouvelle personne séropo mise sous traitement au Sud grâce au Fonds Mondial… avant 2014. Après des progrès considérables - 1,3 millions de personnes mises sous traitement en 2010 - c’est un coup d’arrêt brutal à l’accès universel aux traitements.

L'intégralité de notre dossier sur le meilleur du VIH et de l'hépatite C en 2011 :

1 - les molécules anti-VIH ;

2 - les stratégies anti-VIH ;

3 - la prévention du VIH;

4 - les résulats contre le VHC.

Commentaires

Portrait de flamme

Merci pour ces 3 pages de bilan très complet . Dommage, j'ai un peu du mal à suivre entre les sigles et les jeux de mots...!!! chaleureusement Flamme