Le VIH peut gagner en s’intégrant à un ensemble

Publié par Rédacteur-seronet le 24.12.2021
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InterviewANRS

Depuis janvier 2021, le Pr Yazdan Yazdanpanah dirige la nouvelle Agence de recherche sur le sida et les hépatites virales | Maladies infectieuses émergentes. Pour Seronet, il revient sur les conséquences de la crise de la Covid-19 sur la prévention, la prise en charge du VIH et la recherche sur le sida, les raisons de la réorganisation de l’agence, ses priorités de recherche, son budget et la place qu’il entend accorder à la recherche communautaire dans le nouveau périmètre de l’ANRS.

 

Le Monde titrait récemment que la Covid-19 avait ruiné les progrès réalisés ces dernières années en matière de dépistage et de prévention du VIH, notamment en France. Partagez-vous cet avis ?

Yazdan Yazdanpanah : Ruiner, c’est un peu trop fort !

Que diriez-vous alors ?

Je pense que la crise sanitaire a eu un impact en France mais aussi à l’international, qui a engendré un recul dans un certain nombre de thématiques sur lesquelles nous n’étions déjà pas au meilleur, mais où nous avions néanmoins avancé. Je pense par exemple aux travaux menés sur le dépistage et la prévention. Il faut que l’on prenne ces sujets à bras le corps et que nous partions au combat.

De quelle façon ?

Nous avons des outils pour la prévention, dont la Prep, la stratégie Test and Treat (dépister et traiter), et également les outils pour le dépistage. Mais nous sommes toutefois confrontés aujourd’hui à un problème d’implémentation, c’est-à-dire d’offre. La survenue de la Covid-19 est malencontreuse ; personne ne va dire le contraire. Cependant, elle a donné lieu à de bonnes choses. L’une d’elles, c’est que tout ce qui est numérique, l’utilisation des nouvelles technologies ⎼ qui peuvent être très utiles en matière de dépistage et de prévention ⎼ ont fait un bond en avant.

La crise de la Covid-19 a-t-elle eu un impact sur l’accès aux soins, la qualité du suivi ?

En France, nous avons suivi le sujet avec attention. On note une baisse du dépistage, mais on a du mal à en expliquer la cause. On ne sait pas si les gens ne se dépistent pas, par exemple, parce qu’ils ont eu moins de rapports sexuels, ou bien parce qu’ils ne trouvent pas d’endroits où se faire dépister… il y a sans doute de nombreuses explications que nous devons mieux analyser et prendre en compte mais il est probable que la crise ait été à l’origine des opportunités manquées de dépistage. À un moment, cette crise a eu des conséquences sur les prescriptions de Prep, même si le rapport d’Epi-Phare donne des informations plus rassurantes. En ce qui concerne la prise en charge, il semble que, grâce aux téléconsultations, en France, nous avons tenu bon. Il est évident qu’en Afrique les confinements, la crise, la désorganisation qu’elle a pu provoquer, ont eu plus de conséquences sur le suivi.

Quel a été l’impact de la pandémie de Covid-19 en matière de recherche sur le sida et les hépatites virales au sein de votre agence et plus largement sur le plan international ? Avez-vous arrêté, annulé, reporté des projets ?

Oui, des projets ont été reportés et d’autres ont pris du retard. Les chercheurs étaient mobilisés sur la Covid-19 - et c’est encore le cas. Ils ont déposé moins de projets à nos appels d’offres, notamment en recherche clinique. La crise a eu un impact sur la recherche, c’est pour cela qu’il faut faire très attention, actuellement, à l’animation de la recherche. Par ailleurs, il faut absolument sanctuariser le financement et il faut maintenir ce que j’appelle l’animation, et c’est ce qu’on a fait. Le fait que les gens n’aillent plus dans les congrès a des conséquences. Dans ces congrès, ces chercheurs se parlent, échangent, imaginent des projets… Cela participe aussi à l’animation de la recherche. Un autre élément est le fait que ce sont les mêmes personnes qui prennent en charge la Covid-19 aujourd’hui et qui travaillent ou travaillaient sur d’autres sujets ; nous devons faire très attention à cela.

Cela veut-il dire que les outils technologiques développés durant la crise ont une utilité dans le suivi des personnes, mais qu’ils ne permettent pas d’animer la recherche de façon aussi performante que le permet le présentiel ?

En fait, tout est une question de degré, nous sommes passés dans la recherche de tout en présentiel à tout en virtuel. Il y a un  juste milieu à trouver qui permettrait de « booster » la recherche.

L’agence s’est complètement réorganisée pour devenir l’ANRS ǀ Maladies infectieuses émergentes. Pour quelles raisons, cette évolution était-elle nécessaire ?

Cela faisait un moment qu’on disait qu’il serait nécessaire de créer en France une agence des maladies infectieuses. Ce que nous faisons aujourd’hui est une première étape en ouvrant l’agence aux maladies infectieuses émergentes, car ce qui s’est passé avec le VIH est un modèle, il faut que nous l’appliquions ailleurs et que nous le fassions évoluer. Compte tenu du fait que notre société va vivre et connaître d’autres épidémies, pas forcément de la taille de celle que nous vivons aujourd’hui, il est important de réorganiser la recherche. Plutôt que de multiplier les agences, le choix a donc été fait de faire évoluer l’ANRS historique afin de créer une agence qui couvre dans son ensemble les maladies infectieuses et les émergences.

Durant la crise de la Covid-19, on a vu les difficultés à organiser la recherche avec une multiplicité de projets, parfois redondants. Avez-vous tiré les leçons de ce qui s’est passé ?

Oui. Une des leçons est la création même de cette nouvelle agence. Elle est là pour coordonner et animer la recherche dans son domaine. Un des objectifs est de ne pas laisser la recherche partir dans tous les sens, mais bien de la coordonner.

Le déroulement de la recherche sur la Covid-19 n’a pas mieux fonctionné sur le plan international, notamment en Europe. Un rôle dans la coordination internationale de la recherche fait-il partie de vos missions ?

Absolument, depuis quelques mois nous travaillons pour mettre en place une plateforme de recherche clinique en Europe afin que les équipes puissent se rencontrer et travailler ensemble, pour notamment, essayer d’améliorer les autorisations au niveau européen.

Au lancement de la nouvelle structure, des craintes vives se sont manifestées quant au financement de l’agence alors que ses missions s’élargissaient. Quel est aujourd’hui le budget total de l’agence ? Quels sont les montants dévolus à la recherche sur le VIH/sida et les hépatites virales ?

Le budget pour le VIH et les hépatites virales, la tuberculose et les IST est de l’ordre de 40 millions d’euros par an. Nous n’avons pas touché à l’enveloppe consacrée au financement de ces pathologies mise en place bien avant la création de l’agence. C’était 40 millions avant la création de la nouvelle agence, cela reste 40 millions. En revanche, nous avons trouvé de l’argent pour les maladies infectieuses émergentes et notre objectif est d’également d’atteindre la somme de 40 millions d’euros pour cette partie. Nous n’en sommes pas loin. Toutefois, à la différence de la partie VIH, ce financement-là n’est pas encore pérenne.

Combien de personnes travaillent-elles pour l’agence ?

Nous sommes passés de 60 personnes à 120.

Lors d'un récent point de presse, vous avez salué la collaboration entre la recherche académique et communautaire. Comment comptez-vous maintenir cet acquis de la lutte contre le sida avec une augmentation de la taille de l’agence et un élargissement de ses champs d’action ?

Pour le VIH et les hépatites virales, il y a tout un tissu associatif qui est en place et c’est très bien. Je pense qu’il est important d’avoir une approche populationnelle dans les maladies infectieuses. Il est essentiel d’un point de vue stratégique que les associations, en plus d’avoir une approche qui concerne telle ou telle pathologie, aient aussi une approche transversale populationnelle. J’ai beaucoup défendu cette idée, mais je n’ai pas réussi à convaincre encore. Deuxièmement, il est nécessaire que l’on travaille en collaboration avec d’autres associations, sur les autres pathologies, mais il est vrai qu’il n’y en a pas beaucoup. Nous avons toutefois été en contact avec Renaloo qui a travaillé sur plusieurs projets que l’agence a lancés. De la même façon, nous sommes en contact avec l’association AprèsJ20. Il faut donc d’une part créer des liens avec d’autres associations et pousser celles avec lesquelles nous travaillons déjà à étendre plus largement leur champ d’action afin que notre modèle de collaboration évolue.

Quelles sont aujourd’hui les priorités de recherche sur le VIH/sida et les hépatites virales. Et comment sont-elles définies ?

Si je reprends ce qui s’est passé avec la création de l’agence : nous avons fait le budget, nous avons recruté le personnel nécessaire au bon fonctionnement de celle-ci et nous sommes en train d’élaborer sa stratégie que nous avons d’ailleurs présentée au conseil stratégique de l’agence qui s’est réuni début-décembre. Sur le VIH, nos priorités sont le dépistage, l’accès aux soins, la prévention, la guérison (Cure) et le vieillissement des patients VIH. Pour les hépatites, nous allons principalement nous concentrer sur l’élimination de la maladie mais également sur le dépistage, la prévention et la vie post guérison de l’infection, avec, par exemple, le dépistage des cancers chez ces patients. On a aussi conduit cette réflexion stratégique pour la tuberculose et les IST. Sur ces priorités, nous souhaiterions davantage  travailler avec des partenaires, comme Sidaction, ou d’autres agences.

La crise de la Covid-19 a placé sur le devant de la scène le discours scientifique, mais aussi montré ses limites. Avez-vous été surpris par la teneur des échanges, voire leur violence ? Et quelle place pourrait avoir l’agence sur l’organisation des débats scientifiques dans l’espace public ?

Quand nous avons créé la nouvelle agence, J’ai proposé de mettre en place tous les quinze jours, un rendez-vous d’information qui soit un peu décalé ; c’est-à-dire pas tout le temps dans l’actualité, mais qui soit surtout dans la pédagogie. Je pense qu’il faut de plus en plus que nous intervenions dans la coordination de la parole scientifique, même si cela va demander beaucoup de travail. Dans le cas de la Covid-19, il existe le Conseil scientifique, ce qui rend notre position plus délicate. Toutefois, il est indispensable de penser à une meilleure coordination de cette parole.

Si on compare à ce qui s’est passé les premières années de l’épidémie de sida, les échanges entre les chercheurs-ses ont–ils été plus durs ces dernières années ? La parole scientifique a-t-elle été dévaluée ?

Je n’ai pas connu les débuts du VIH, mais il me semble que les échanges étaient déjà difficiles. Ce n’est donc pas une première, mais la grande différence, c’est qu’il n’y avait pas Twitter et tous les réseaux sociaux… Cependant tout ce qui s’est passé ces deux dernières années est un vrai sujet, et je pense que l’agence doit mettre cette problématique au cœur de ses préoccupations.

Un élargissement des champs de l’agence, un élargissement des recommandations d’experts-es sur le VIH et les hépatites virales à la santé sexuelle, des évolutions envisagées sur les Corevih, le renforcement de la stratégie nationale de santé sexuelle… on a le sentiment d’une perte de l’exceptionnalité VIH. Est-ce un motif de crainte pour vous ?

Je ne suis pas inquiet, c’est le sens de l’histoire. Le VIH est devenu une maladie chronique, certes avec beaucoup de questions qui persistent, mais il ne doit pas rester un sujet isolé. Le VIH peut aussi gagner en s’intégrant à un ensemble. Il y a des risques bien sûr, le principal étant celui d’une baisse des financements, mais on peut se battre pour éviter cela. L’ouverture aux autres pathologies permet de faire émerger de nouvelles idées. Ce qui est fait concernant le VIH peut aussi avoir un bénéfice sur les avancées concernant d’autres maladies, je pense qu’il faut arrêter de tout regarder et tout traiter en silos, maladie par maladie. Il est important de s’ouvrir. Cela fait partie de l’évolution dont je parlais plus tôt.

Quand vous dîtes que le VIH peut gagner aux évolutions que vous entendez conduire, à quoi pensez-vous ?

L’agence s’ouvre à de nouvelles disciplines comme la santé numérique qui est très développée dans certaines pathologies et qui pourrait également consituer un nouvel atout dans la réponse au VIH. Je vous ai cité l’exemple de la Covid-19 qui a, du fait de l’urgence, permis un bond réel dans ce domaine : surveillance dans le dépistage, dans la prévention… Les maladies sont des mondes qui doivent se parler et apprendre les unes des autres.

Si vous deviez définir l’agence que vous dirigez en trois adjectifs ?

Je choisirais des termes et expressions comme : multi-institutionnalité, multi-disciplinarité, l’ouverture vers le citoyen et la communauté. Je vais faire plus que trois. J’ajoute aussi la réactivité ; nous devons absolument la conserver. Il faut également insister sur le fait que nous ne sommes pas qu’une agence de financement, mais aussi une agence d’animation.

On parle d’une fin de l’épidémie de VIH en 2030. Y croyez-vous ?

Je pense que les échéances sont très importantes car elles font avancer ; il faut donc en avoir. Même si on n’atteint pas les cibles, cela nous donne un horizon. Il faut donc les maintenir.

Dans un ouvrage consacré aux maladies émergentes (1) publié en 2016, vous vous interrogez ainsi  : « Les grandes pandémies seraient-elles avant tout les filles de l’inégalité ? » Que répondez-vous aujourd’hui ?

Oui ! Regardez ce qui se passe avec la couverture vaccinale contre la Covid-19 entre le Nord et le Sud. Toutes les données de mortalité au Nord indiquent que les personnes qui sont les plus défavorisées sont les plus touchées, en termes d’infection, de morbidité et de mortalité.

Un des éléments de la conclusion de votre ouvrage pour mettre fin aux pandémies était d’avoir un accès universel aux soins, aux traitements, aux vaccins. On voit qu’aujourd’hui nous n’y sommes toujours pas…

Le nationalisme a gagné le 100 mètres… J’espère qu’à long terme, c’est l’internationalisme qui l’emportera sur la course de fond et qui nous permettra, si prochaine fois il y a, que la riposte mondiale soit  plus efficace. Si nous ne sommes pas tous ensemble, nous aurons encore et encore des crises.

Propos recueillis par Jean-François Laforgerie

(1) : Les maladies émergentes. Zika, Ébola, chikungunya… Comprendre ces infections et les prévenir au quotidien par Jean-Philippe Braly, Yazdan Yazdanpanah. Éditions QuÆ, 17 euros, novembre 2016.


Professeur en maladies infectieuses, chef du service de maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Bichat-Claude Bernard (AP-HP, Paris), Yazdan Yazdanpanah est, depuis janvier 2021, directeur de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes. Il dirige aussi l’institut thématique I3M de l’Inserm (immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie). Il est membre du Conseil scientifique Covid-19. Entre 2011 et 2020, le clinicien et chercheur a beaucoup travaillé avec ses équipes sur l'évaluation de l'impact clinique et économique des interventions de prévention et de prise en charge des maladies infectieuses, du VIH et des hépatites virales notamment, en France et dans les pays à ressources limitées. Il a conduit comme investigateur de nombreux essais cliniques sur le VIH et les hépatites virales. Il est un expert mondial reconnu sur les aspects cliniques et thérapeutiques de maladies infectieuses et émergentes.