Leaders gays, qui représentez-vous ?

Publié par Rédacteur-seronet le 23.07.2012
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ConférencesAIDS 2012africagay

"Leaders gays, que représentez-vous à part vous-même ?" Pas facile la question posée par le symposium organisé par le réseau Africagay contre le sida. Ce fut un des temps forts de ce début de conférence. Céline, Georges et Olivier racontent.

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Africagay contre le sida est un réseau de 16 associations issues de huit pays d'Afrique subsaharienne et du Maghreb (Algérie, Burundi, Tunisie, Côte d'Ivoire, Cameroun, Togo, Sénégal, Burkina Faso) et qui est soutenu par AIDES. Une ouverture pleine d'émotions qui plante tout de suite le décor avec un reportage en vidéo sur la situation des homosexuels en Ouganda. Là-bas, des religieux appellent au meurtre des homosexuels en faisant référence, pour certains d’entre eux, à la Bible, notamment le Lévitique (ensemble de textes sur les règles, dont les interdits comme celui ne pas avoir de relations homosexuelles). Ces leaders religieux, chrétiens et musulmans, sont soutenus par le Parlement qui a pris des positions ouvertement répressives à l’encontre des homosexuels. L'homosexualité est interdite dans ce pays. Le témoignage d'Useen, activiste ougandais, relate le contexte difficile de son coming-out dans son pays, dévoilement qui a menacé sa vie et entrainé son départ du pays. Il est actuellement réfugié en France.
 
La parole a ensuite été donnée à Stephen Lewis, co-directeur d'AIDS Free Word et aussi ex envoyé spécial Sida des Nations-Unies. Orateur charismatique, à l'enthousiasme communicatif, qui n'a jamais hésité à s'engager sur des sujets difficiles, Stephen Lewis est revenu sur les assassinats de plusieurs leaders associatifs homosexuels ougandais et a dénoncé une homophobie hystérique de la part des institutions ougandaises, mais aussi de la société tout entière. "Il faut cesser de prendre des gants ou de discuter avec les leaders qui tuent leur peuple", a-t-il lancé. Pour lui, les lois réprimant l'homosexualité doivent être considérées comme des crimes contre l'humanité. La salle applaudit et des questions lui sont posées, en particulier sur la meilleure stratégie pour obtenir que l'homophobie soit considérée par l'ONU comme un crime contre l'humanité.

Deuxième oratrice anglo-saxonne à intervenir, Marjory Hill, directrice exécutive du Gay Men Health Crisis, l'une des plus anciennes structures de lutte contre le VIH/sida de New-York, structure qui a inspiré Daniel Defert pour la création de AIDES. "Je suis noire et lesbienne. La militance, ça commence déjà chez soi, avec sa famille et ses proches. Si l'homosexualité n'est pas réprimée aux Etats-Unis, il reste beaucoup à faire pour permettre d'évoquer en toute sécurité sa sexualité. Ici dans le cadre de la conférence, c'est possible, mais ailleurs, ce n'est pas toujours le cas. Il nous faut plus d'espace secure" (espace sécurisé), explique-t-elle. Sur le sujet même du symposium, elle rappelle qu'être leader, c'est savoir se nourrir de la communauté à laquelle on appartient, et ne pas non plus rester fermé sur soi. "Il faut s'ouvrir", recommande-t-elle. Et c'est pourquoi elle développe des partenariats au-delà du monde LGBT et dénonce d'une certaine manière la tendance de la communauté LGBT de sa ville, à se replier sur elle-même. Elle souligne l'importance des partenariats et des collaborations avec d'autres groupes.

Pour Othoman Mellouk, vivant au Maroc, et co-président du Forum mondial homosexuel (MSM Global Forum), il faut impliquer d'emblée les communautés. "C'est un point essentiel", avance le militant. Mais face à la crise du VIH/sida chez les homosexuels, les associatifs n'avaient pas le temps. Aussi l'implication de la communauté n'a pas toujours pu se faire. Cette implication n'est donc pas uniquement difficile du fait de la crainte de la stigmatisation, mais aussi pour des réalités pratico-pratiques. Il rappelle aussi que dans les communautés homosexuelles, dans tous les pays, on est dans une situation finalement identique à celle que l'on observe dans les pays occidentaux, où les communautés homosexuelles sont elles aussi très touchées. Si certains pays ont déjà mis en place des programmes à destinations des homosexuels et personnes ayant des relations entre hommes (HSH), ces hommes sont, en fait, rarement impliqués dans la construction des stratégies mises en place, notamment de prévention. L'engagement des HSH est généralement limité à de l'action de terrain (informer autour de soi). Othoman Mellouk fait le parallèle avec les personnes séropositives plus souvent impliquées, elles, dans les politiques de lutte contre le sida, mais ce n'est pas encore le cas quand il s'agit de lutter contre la stigmatisation et la répression des homosexuels. C'est donc le même modèle qu'il faut promouvoir, s'agissant des communautés LGBT. Bref, leur donner le  pouvoir.

Jeanne Gapiya, présidente de l'ANSS (Association nationale de lutte contre le sida au Burundi) a fait un parallèle intéressant avec son histoire personnelle. Elle raconte son parcours. Elle-même stigmatisée lorsqu'elle a dit publiquement sa séropositivité, elle a donc réagi avec attention quand un jeune militant homosexuel, Georges Kanuma, l'a interpelée pour évoquer la situation des gays au Burundi. Georges a été le premier à parler de son homosexualité publiquement au Burundi. Face à cette annonce, beaucoup ont posé la question de savoir qui Georges représentait. Mais il n'y avait aucun doute pour elle, Georges était le roi des sans voix comme elle l'a été pour les personnes séropositives (Georges est décédé le 24 avril 2010).

Difficile de faire une synthèse de ce symposium, devant la richesse des interventions. Tout le monde est tombé d'accord pour dire qu'il ne fallait pas séparer la lutte contre le VIH et les droits des LGBT. Plus que la question de la représentation (celle du leadership), c'est la question de l'implication, implication personnelle, qui est ressortie ; cette implication qui est un carburant essentiel dans l'avancée des droits des personnes et la lutte contre le sida. Beaucoup de chemin reste à faire, mais on est frappés par la détermination et le courage des personnes impliquées. Othoman Mellouk a évoqué la phrase de Daniel Defert à savoir que le déficit immunitaire s'installe là où il y a un déficit statutaire. Bref, la question des droits des groupes vulnérables marche conjointement avec la lutte contre le sida, ni avant, ni après.

Paroles de militants
Comme le rappelle Parfait, président d'Alternatives Cameroun, "Africagay, c est "Africagay contre le sida", c'est-à-dire un réseau qui est tout sauf isolé. C'est un mouvement qui a su s'entourer des meilleurs partenaires et faire appel à l'expertise d'autres structures pour porter plus largement ses revendications". Membre de ce réseau depuis sa création, Magatte de l'association Yeewu-Yeete (Sénégal) vit, ici à Washington, sa 3ème Conférence internationale : "En tant que militant africain, on m'a souvent dit que j'étais instrumentalisé, manipulé. Aujourd'hui, je me sens plus armé, en capacité de répondre à ces attaques et d'accompagner la relève". Magatte rappelle les raisons de la présence du réseau sur cette conférence : "Assurer la plus grande visibilité possible à Africagay contre le sida ; Elargir le champ d'action du réseau ; Faire entendre la question des droits des hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes (HSH ou MSM en anglais) en Afrique francophone". Pour Useen, militant ougandais réfugié en France, cette conférence est également l'occasion de défendre l'existence d'un activisme africain depuis l'étranger : "Pour certains, le fait d'avoir quitté mon pays m'ôterait toute légitimité à poursuivre le combat. Je ne suis pas d'accord, je vis en France parce que j'ai fui la répression, mais je continue d'agir pour l'Afrique. Chez moi, malheureusement, être gay et activiste, c'est la double peine, j'ai connu la prison pour ça". En Ouganda, les problèmes des HSH en matière d'accès aux soins et aux droits sont multiples. Le gouvernement a ainsi décrété que les budgets consacrés au VIH ne devaient pas bénéficier aux gays et lesbiennes séropositifs. C'est cette situation qu'Useen veut continuer a dénoncer depuis Washington, aux côtés d'autres militants africains.

Réseau Africagay : lutter contre l’homophobie d’Etat, c’est aussi lutter contre le sida
Soutenu par AIDES et ses partenaires depuis ses débuts, le réseau Africagay contre le sida est une initiative inédite sur un continent gangréné par des lois homophobes et les discriminations qu’elles provoquent. Ces discriminations ne viennent pas de nulle part. Elles sont renforcées par une législation notoirement homophobe. Sur les 54 pays africains, 39 pénalisent l’homosexualité. Cette homophobie d’Etat a des conséquences désastreuses sur le plan de la santé publique. Les homosexuels sont poussés à la clandestinité ou à mener "une double vie". Ils se privent de dépistage et de soins médicaux par crainte de révéler leur orientation sexuelle. Surtout, ce climat oppressif fait planer un tabou immense sur la société. Des associations comme l’APCS (Association de Protection Contre le Sida) en Algérie, l’ANSS (Association Nationale de soutien aux Séropositifs et Malades du Sida) au Burundi ou Alternatives Cameroun réalisent un important travail de prévention à destination des homosexuels et militent, non sans difficulté, pour l’abolition des législations répressives. C’est aussi le cas d’associations comme REVS+, Association African Solidarité et ALAVI (Burkina faso), de Colibri (Cameroun) de RSB, Espace Confiance ou Ruban Rouge (Côte d’Ivoire) ou encore de Yeewu-yeet (Sénégal), Espoir Vie Togo (Togo) ou de l’ATL MST-Sida Section de Tunis (Tunisie). En s’associant ensemble au travers du réseau Africagay contre le sida (qui regroupe 16 organisations issues de huit pays plus la France avec AIDES), ces associations sont plus fortes pour faire reculer la tentation répressive des gouvernements, qui font tout pour instaurer ou aggraver les peines encourues pour homosexualité. Pour combien de temps encore les homosexuels continueront à être les bouc-émissaires de sociétés en crise ?

Commentaires

Portrait de Maleewan77

Ces personnes vont preuve au quotidien d'un courage incroyable... Un combat quotidien pour que toute personne, quelle que soit son orientation sexuelle, puisse vivre normalement, être respectée... Un combat pour leur propre vie parfois... Chapeau bas... Je me demande par ailleurs pourquoi il n'est pas fait référence à Sidaction, qui fait partie de ce réseau et qui finance une grande partie de ces associations? Une petite gué-guerre de com entre deux assos françaises? Ce serait surprenant....