Légalisation des drogues : le débat

Publié par Fred Lebreton le 23.06.2021
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Produitsdrogues

Samedi 26 juin aura lieu la journée internationale Support. Don’t Punish. (Soutenir plutôt que punir) contre les politiques répressives concernant les drogues et leurs usagers-ères, un peu partout dans le monde. À cette occasion, AIDES a organisé une conférence-débat en ligne le 22 juin pour discuter de la question de la légalisation des drogues en France en présence d’une députée et de militants-es impliqués-es sur cette question. Compte-rendu.

Remise en question du tout répressif

Support. Don’t Punish. a été lancée en 2013 par IDPC (International drug policy consortium). Les revendications du collectif, dont AIDES est partenaire, sont claires : le système de contrôle des drogues ne fonctionne plus et doit être réformé et les usagers-ères de drogues ne doivent plus être criminalisés-es. Support. Don’t Punish. met la priorité sur la santé publique et les droits des personnes usagères.

En effet, la politique de réduction des risques (RDR) est une réussite chez les consommateurs-rices de produits en termes de réduction de transmission du VIH (le taux de nouveaux diagnostics dans cette population stagne à 2 % depuis 2013). Ce public reste cependant particulièrement touché par le VHC ; preuve que les politiques répressives sont encore trop prégnantes et qu’elles empêchent l’accès à l’ensemble des droits et dispositifs de réduction des risques.

À un an des élections présidentielles françaises, ce qui ressort de cette conférence-débat est que le modèle « tout répressif » si cher à la France est largement remis en question. Non seulement par les associations de santé telles que AIDES, qui militent pour la légalisation de toutes les drogues, mais également des élus-es, y compris de la majorité actuelle. Depuis 1970 et la loi du même nom qui définit l’usager-ère de drogue comme un-e malade et un-e délinquant-e, la France n’a cessé d’aller plus loin dans les logiques répressives, à contre-courant de nombreux pays, tels que le Portugal ou plus récemment la Norvège qui ont choisi pour des raisons de santé publique de s’engager dans la voie de la dépénalisation. Pour Camille Spire, administratrice de AIDES et référente réduction des risques liés à l’usage de produits psychoactifs, « le cadre juridique en France est un des plus répressifs en Europe et il ne fait pas baisser la consommation, ni les trafics ». La militante estime que l'important budget dédié à la répression devrait plutôt être investi au service de la santé de tous-tes, notamment en matière de RDR. « Ce qui remonte du terrain, c'est qu'il ne s'agit pas de dépénaliser, mais de légaliser, toutes les drogues. De plus en plus de pays, même en Europe, commencent à se tourner vers cette approche », affirme Camille Spire. Même constat pour Cédric Ruffié, salarié à AIDES Charente-Maritime en Caarud (Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers-ères de drogues) : « le cadre français considère arbitrairement les usagers-ères de drogues comme des délinquants-es ou des malades, comment parler de maîtrise de la consommation ? »

De son côté, Caroline Janvier, députée LREM du Loiret et rapporteure thématique sur le cannabis récréatif pour la mission d’information parlementaire de l’Assemblée nationale, est à contre-courant dans sa propre majorité : « Il y a une forme d'hypocrisie, voire de lâcheté au sujet notamment du cannabis, un enfermement dans l'idéologie, puisque l'on voit que le modèle répressif ne marche pas ».

Sortir du débat idéologique

Comment sortir du tout répressif ? Pour les trois intervenants-es, un des enjeux est de sortir du débat idéologique. « Dire : "La drogue c'est mal !" C'est s'enfermer dans cette idéologie répressive », déclare Caroline Janvier. Elle ne le nomme pas, mais c’est une référence évidente aux déclarations du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Interrogé le 14 septembre 2020 sur LCI, Gérald Darmanin réaffirmait une ferme opposition à tout projet de légalisation du cannabis : « La drogue, c'est de la merde, disait le spot télé. Eh bien on ne va pas légaliser cette merde ». Une prise de position qui manque cruellement d’analyse, de pédagogie et de… finesse !

« La réduction des risques, ce n’est pas idéologique ; c’est pragmatique. Les usagers-ères de drogues sont stigmatisés-es dans ce cadre de répression, pour les « drogues » non-légales du moins », déclare Cédric Ruffié. En effet, le militant dénonce une forme d’hypocrisie dans la façon de faire la guerre à certaines drogues et pas à d’autres produits. En France, certains produits psychoactifs comme l’alcool et la nicotine sont légaux et peuvent eux aussi être néfastes pour les usagers-ères, rappelle Cédric Ruffié. Et d’ajouter : « La réduction des risques est très limitée sur ces sujets, alors que leur consommation ne date pas d'hier ».

Perspectives 2022

Alors que les sujets chers à la droite comme l’insécurité semblent polariser toute la classe politique, comment faire pour dépassionner le débat sur la légalisation des drogues à dix mois du premier tour des élections présidentielles ? La députée Caroline Janvier est très investie sur ce sujet : « Les 33 députés-es membres de la mission d'information constituée en janvier 2020 sur le cannabis ont auditionné près de 150 experts-es et leur conclusion est qu’il faut mettre en place une légalisation encadrée pour reprendre la main sur la santé et la sécurité ». Mais la députée reste lucide : « On espère une approche plus rationnelle du sujet en 2022. Ce qui m'inquiète, c'est le fait que la majorité des parlementaires ne soient pas prête pour la légalisation. C'est frustrant, en tant qu'actrice de terrain, de voir que les chiffres et analyses ne sont pas pris en considération et qu’on privilégie une approche morale », se désole la parlementaire. Quel serait le calendrier d’un débat national sur la légalisation des drogues ? « Le fait que l'on n'avancera pas sur ces questions avant la fin du mandat est acté, mais il y a toute place pour en discuter et en débattre en 2022 », espère Caroline Janvier. Et la députée d’ajouter : « Il y a une méconnaissance de la part des élus-es : on n'entend pas suffisamment la parole des associations communautaires, des personnes de terrain donc c'est plus facile de camper sur la position répressive vue comme morale et sécurisante ».

Même son de cloche du côté de Camille Spire : « Nous avons effectivement besoin de ce débat sur un changement de politique des drogues, mais sans idéologie ou morale. La meilleure mesure de réduction des risques actuellement, ce serait la légalisation », affirme la militante. Dans un communiqué publié le 22 juin, AIDES réaffirme sa position en faveur de la légalisation des drogues : « Il est temps que nos décideurs-ses politiques prennent conscience que le modèle répressif imposé depuis 50 ans ne fonctionne pas et, pire, contraint et limite le déploiement d’actions de réduction des risques dont l’efficacité est régulièrement prouvée. Une obstination dans le tout répressif est un choix idéologique contre la santé publique ».

Le contexte politique français actuel semble peu propice à un débat de qualité au sujet des politiques de drogue, mais il est certain que la société civile et les associations communautaires veilleront à rappeler l’urgence de ce débat. À suivre.

Un podcast éclairant
Léa Chamboncel, qui animait cette conférence-débat, est une journaliste et créatrice des podcasts Place du palais Bourbon et Popol). Le nouvel épisode Place du palais Bourbon est justement consacré à la politique des drogues. Pourquoi est-ce que la France, dont la législation est l’une des plus répressives en Europe, maintient cette position et la renforce (amende forfaitaire instaurée en 2019) ? Quels sont les fondements (politiques, économiques et sociaux) qui poussent le législateur à maintenir cette répression systématique alors que « la guerre à la drogue » est un véritable échec ? Que peuvent faire les députés-es face à cette situation ? Dans ce podcast, la journaliste est allée à la rencontre des députés-es aux abords de l’Assemblée nationale pour leur poser ces questions. En seconde partie d’émission, Léa Chamboncel échange avec Camille Spire, référente réduction des risques liés à l’usage de produits psychoactifs chez AIDES et Cédric Ruffié, salarié à AIDES en Charente-Maritime.

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A Grenoble, un commerçant condamné pour la commercialisation de CBD obtient gain de cause auprès de la Cour de Cassation PAR AMANDINE REBOURG Mis à jour le 23/06/2021 à 15:39 Publié le 23/06/2021 à 15:27

Les magasins vendant du CBD (Cannabis Légal) fleurissent un peu partout en France, ici à Cannes au "CBD shop".

 

Les magasins vendant du CBD (Cannabis Légal) fleurissent un peu partout en France, ici à Cannes au "CBD shop". Photo Dylan Meiffret

La Cour de cassation a cassé mercredi 23 juin, un arrêt condamnant le gérant d'une boutique de Grenoble qui vendait des produits à base de cannabidiol (CBD) - la molécule non psychotrope du cannabis - et ordonné un nouveau procès à Paris. 

Une avancée majeure pour les commerçants vendant du CBD? Ce mardi 23 juin, la Cour de cassation a cassé, un arrêt condamnant le gérant d'une boutique de Grenoble qui vendait des produits à base de cannabidiol (CBD) - la molécule non psychotrope du cannabis - et ordonné un nouveau procès à Paris. 

L'INTERDICTION DE COMMERCIALISATION D'UN PRODUIT D'UN ÉTAT MEMBRE EN QUESTION

Dans son arrêt, la plus haute juridiction judiciaire explique qu'en vertu de la libre circulation des marchandises au sein de l'Union européenne (UE), on ne peut interdire la commercialisation du CBD dans un Etat membre si ce produit est produit légalement dans un autre Etat membre.

Or cette question reste en suspens car les juges de la cour d'appel de Grenoble "n'ont pas recherché, alors que cela leur était demandé, si le CBD découvert dans le magasin tenu par le prévenu était fabriqué légalement dans un autre Etat de l'UE", explique-t-elle.

La Cour de Cassation précise que dans cette affaire, elle ne tranchait pas la question de fond de savoir "si la France peut valablement ou non se prévaloir de l’objectif de protection de la santé publique pour interdire la détention et la commercialisation de CBD sur son territoire".

UN FLOU JURIDIQUE AUTOUR DU CBD

L'affaire avait démarré en janvier 2019, lorsque la police avait découvert dans un magasin de Grenoble des produits contenant du cannabis. En juin 2019, le tribunal correctionnel de Grenoble avait relaxé le gérant du magasin des chefs de complicité d’acquisition, détention, offre ou cession non autorisée de produits stupéfiants. Le parquet avait fait appel.

Un an plus tard, en juin 2020, la cour d’appel de Grenoble avait infirmé le jugement et déclaré coupable le gérant, qui a formé un pourvoi en cassation. Un flou juridique persiste autour du CBD en France, où les autorités ont fait fermer des dizaines de boutiques revendant ce "cannabis light", sans effet euphorisant et prisé pour ses vertus relaxantes. 

En novembre 2020, la justice européenne a rejeté l'interdiction du CBD en France, en soulignant l'innocuité de cette molécule non psychotrope du cannabis, une décision saluée comme un "camouflet" par les adeptes du chanvre et qui aiguise les appétits économiques autour de cette plante. Le 15 juin, la Cour de cassation avait donné raison à une boutique de Dijon qui vendait des produits à base de CBD, et contestait sa fermeture prononcée en 2018 par les autorités.