L'engagement communautaire fonctionne avec le plaisir

7 076 lectures
Notez l'article : 
0
 
Mode de vieapproche communautaire

Créée en 1984, AIDES est l’une des plus importantes associations européennes de lutte contre le VIH/sida et les hépatites, reconnue d’utilité publique depuis 1990. Dimension communautaire, transformation sociale, action non gouvernementale et respect de la personne dans son identité, intégrité et droits, sont au cœur de ses valeurs et principes. Dans une interview inédite pour aides.org, Bruno Spire revient en détail sur ces valeurs et principes dont la démarche communautaire menée par l’association qu’il préside.

Santé communautaire, méthode communautaire, approche communautaire, les termes comme les définitions varient beaucoup d’une structure à une autre. Qu’est-ce qui est fait à AIDES et comment le définissez-vous ?

Bruno Spire : Tout ce qu'il y a de commun  dans ces termes-là, c’est que cela passe par la mobilisation des personnes. Il s ‘agit d’une démarche ascendante, qui ne peut fonctionner que si on va vers les gens, si on les mobilise. Là où il peut y avoir des divergences sur la santé communautaire entre différentes organisations, c’est sur les objectifs de transformation sociale, associés ou non au projet de l'association. Il existe des structures de santé communautaire sans aucun objectif de transformation sociale. On peut gérer une maison d’accueil de façon communautaire pour des usagers de drogues, sans que personne ne profite de la présence de ces personnes pour analyser ce qui manque, essayer de faire bouger les choses, revendiquer des changements, obtenir des autorités des modifications de la législation, etc. Ce que nous faisons à AIDES en associant le communautaire et la transformation sociale a un côté "subversif". Le communautaire, c’est bien parce que cela nous paraît efficace pour gagner un certain nombre de progrès pour la santé de chacun, mais que c’est bien aussi parce que cela permet d'améliorer la société… et pas uniquement pour les groupes qui constituent les communautés qui se mobilisent, mais pour l’ensemble des citoyens. Nous avons obtenu la démocratie sanitaire, qui est la représentation des usagers dans les instances de santé, grâce à la mobilisation communautaire dans le domaine du VIH. La démocratie sanitaire …cela profite  à  l’ensemble des personnes. C’est cela, la transformation sociale.

L’emploi du mot volontaire plutôt que celui de bénévole concernant les militants de AIDES a un sens. Sur quels principes et objectifs repose cet engagement militant ?

Derrière le mot bénévole, je vois des personnes  qui vont donner de leur temps à une structure existante. Le terme de volontaire implique une adhésion à une démarche, un accord avec des principes et valeurs… Il y a un engagement presque politique. On se bat pour des progrès, au travers de cette notion de transformation sociale qu’il n’y a pas chez un bénévole. Le bénévolat est associé aux associations caritatives qui font un travail remarquable, notre projet est autre. Il est notamment de faire bouger les lignes, et d’un volontaire nous attendons qu’il partage nos valeurs, participe au débat d’idées, contribue à ce qu’elles passent auprès des décideurs et dans la population. Le volontariat se construit   également à partir de l’indignation face à certaines injustices. Nous sommes indignés du sort des étrangers malades, des lois qui pénalisent les usagers de drogues, par l’homophobie, etc. Cela fait qu’on s’engage, qu’on devient volontaire pour changer cela. Le volontaire est d’accord avec nos principes d’action communautaire, avec le fait que nous nous battons avec l’ensemble des groupes et personnes concernées par le VIH et les hépatites, d’accord avec l’universalité des droits, des droits pour la santé. C’est aussi être d’accord sur un engagement dans un parcours. On s’engage à suivre une formation initiale pour pouvoir partager son vécu avec celui des autres, partager et travailler collectivement, participer régulièrement à la vie associative.

L’engagement militant à AIDES exige d’avoir une capacité à modifier ses a priori. En quoi est-ce important et comment y arrive-t-on ?

On voudrait que dans la population générale, il n’y ait plus d’a priori vis-à-vis des groupes qui nous constituent et qu’on représente ; on doit donc se l’appliquer à nous-mêmes. C’est très important qu’en interne il n’y ait pas des gays qui aient de fausses représentations sur les usagers de drogues ou des usagers de drogues qui soient racistes. Une force de AIDES pour arriver à cet objectif est de ne pas être une association identitaire centrée sur un unique groupe. C’est en travaillant avec les autres en transversalité que les gens changent. C’est notre force de réussir à faire se côtoyer des gens aux histoires complètement différentes. En tant qu’homo, je n’aurais jamais côtoyé d’usagers de drogues injecteurs si je n’avais pas été à AIDES. Je n’étais pas "toxicophobe", mais à côté de la plaque, imaginant des trucs faux. Côtoyer des personnes usagères de drogue m’a mis plus à l’aise, a permis de modifier mon regard. Nous travaillons ensemble parce que notre projet politique est commun.

L’expertise du vécu est une composante déterminante des actions à AIDES. Est-ce cela qu’on appelle la "rienologie" ?

La "rienologie" est un terme un peu provocateur pour dire que l’expertise communautaire ne vient pas d’un savoir académique. On peut n’avoir aucun savoir universitaire, aucun diplôme et avoir une légitimité et une expertise reconnues selon ce que l’on vit et ce que l’on partage : le vécu individuel et le vécu collectif. On pourrait choisir un autre terme : "l’expériencesologie". C’est-à-dire qu’on est expert de notre vécu ou d’un autre vécu plus large… par le fait, par exemple, que l’on se confronte à d’autres vécus quand on est dans une association communautaire. Je connais bien le vécu des  usagers de drogues alors que je n’ai pas d’expérience personnelle de l’usage de drogues, parce que j’ai beaucoup partagé avec des personnes qui m’ont raconté leur vécu. C’est cela notre expertise communautaire : du vécu personnel, du vécu collectif. Et de ce fait d’avoir une expertise légitime et différente de celle de chercheurs académiques.

Cette expertise-là est-elle reconnue aujourd’hui à sa juste valeur ?

Il y a une évolution, elle est reconnue au moins d’un point de vue théorique. Conceptuellement, les décideurs pensent que c’est intéressant. Maintenant lorsqu’il s’agit de passer à l’acte, de trouver les financements, de trouver sa place dans les instances, cela devient plus difficile d’être considéré comme des pairs. Je vois dans la recherche, y compris de la part de collègues en sciences sociales très ouverts, lorsqu’il faut qu’un militant associatif soit là comme évaluateur de projet, on explique qu’il n’a pas la même formation… alors que les mêmes accepteront dans un comité d’évaluation un médecin qui n’a pas davantage la formation requise. Mais son statut de médecin fait qu’on l’accepte… au nom du terrain. Notre terrain n'est pas considéré… bien qu'il soit politiquement correct de déclarer que c’est très intéressant de travailler avec les associations. Il y a encore des progrès à faire.

Les réticences viennent du fait que l’expérience et le savoir profane ne semblent pas avoir plus de valeur ou d’intérêt qu’un témoignage ?

Etre "rienologue", ce n’est pas seulement avoir eu une histoire personnelle, c’est se nourrir de cela pour faire avancer les choses. Il ne suffit pas de dire : "Je suis séropo donc je connais la maladie". C’est aussi être capable de pouvoir tirer des leçons de son expérience individuelle comme collective et de s’en servir. C’est bien d’expériences associatives qu’il s’agit là, qui vont au-delà d’expériences individuelles. Le problème, c’est que ce n’est pas toujours compris. L’écueil à éviter est de se retrouver avec des personnes qui, certes, ont vécu quelque chose, mais qui ne savent pas l’analyser. Les associations, la nôtre, travaillent cela.

Cela veut dire qu’on doit obligatoirement passer par du collectif…

Oui ! On doit passer par du collectif pour pouvoir utiliser cette expérience et construire des actions. Il ne s’agit pas de faire de la figuration. Parlons des progrès à faire, on constate souvent qu’au niveau international on limite encore les associations "communautaires" à  la représentation sans tâche réelle à assurer, et donc avec peu de financements. Dans certains cas, les institutions délèguent à ces acteurs des taches de santé, du soutien, de l’éducation thérapeutique comme de la prévention avec le dépistage… C’est là où il y a énormément de progrès à faire : c’est de comprendre que les "rienologues" peuvent être des acteurs et pas uniquement des représentants. Cela passe nécessairement par du collectif pour que les personnes prennent conscience que leurs capacités individuelles ont intérêt à être mises et travaillées ensemble. C’est ce que nous faisons à AIDES avec la formation des volontaires.

Si elle se fonde sur l’expérience individuelle, la démarche de AIDES incite à dépasser l’individuel pour le collectif afin d’avoir plus de poids dans l’objectif de transformation sociale. Cette démarche se situe aussi dans une approche personnalisée de renforcement des capacités individuelles en matière de santé. Comment fait-on pour concilier les deux ?

Les militants ne font pas tout. Ils font en fonction de leurs envies, de leurs affinités… Le choix des actions est libre. Le travail se fait collectivement dans l’action qu’ils ont choisie… Le volontaire qui veut faire de l’éducation thérapeutique, ne va évidemment pas le faire tout seul, il va le faire avec une équipe. Par ailleurs, lorsqu’on est dans un groupe de parole, lorsqu’on participe à des Universités des personnes séropositives (UPS), quand on vit ces actions collectives, c’est aussi pour se renforcer individuellement. Quand j’ai commencé mes traitements, lorsque j’ai appris ma séropositivité, j’étais volontaire à AIDES, j’ai échangé avec d’autres personnes prenant un traitement. Cet échange m’a aidé au niveau individuel avant de commencer le traitement. C’est cela la force du collectif : j’ai vu que d’autres y arrivaient… pourquoi pas moi.

Quand l’engagement fonctionne bien, c’est parce que cela fait plaisir aux militants d’être là. Une bonne mobilisation communautaire, c’est là où les acteurs ont du plaisir à être parce que cela leur fait du bien, parce qu’ils ont un rôle social… Ce n’est pas tellement le registre du donnant/donnant, ni celui de la contrepartie qui ne fonctionne pas. Le travail de mobilisation : c'est faire que les personnes aient envie de travailler collectivement et que cet engagement soit un plaisir.

Commentaires

Portrait de Spooky

Et bla & bla & blablabla......................... J'appelle ça de l'autocongratulation

Affligeant

Portrait de alsaco

deux pontes d 'AIDES  interviewent  leur Directeur      -  CA   c 'est du scoup  ...............   BONNE JOURNEE

Portrait de Dallan

C'est très utile de le dire/rappeller.

Et de le vivre, au quotidien !

Rien à voir avec de l'autocongratulation, ou un scoop : juste se rappeller qui nous sommes !

Alors que nous célébrons les trentes ans d'existance de cette association, il est important de se souvenir du pourquoi et du comment !!!

Pensées solidaires à touTEs les militantEs !


ps : Bruno n'est pas directeur de Aides, il en est le Président : un volontaire élu par les volontaires !