L’enquête Parcours : des récits de vie pour comprendre

Publié par jfl-seronet le 17.08.2015
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Recherche complexe et ambitieuse, l’enquête Parcours porte sur le "Parcours de vie, VIH et hépatite B chez les migrants subsahariens vivant en Ile de France". A l’occasion du séminaire du Raac-sida de Lyon (20 et 21 juin derniers) une présentation a été faite conjointement par Annabel Desgrées du Loû, chercheure au Ceped (Centre population et développement) et Nathalie Lydié, responsable du département Maladies infectieuses et Santé sexuelle de l’Inpes (Institut national de la prévention et de l'éducation à la santé). Voici quelques points de cette présentation.

L’enquête Parcours est une étude auprès de migrants nés dans un pays d’Afrique subsaharienne et vivant en Ile-de-France. Elle a pour objectif de comprendre dans ce groupe de population : ce qui peut augmenter les risques d’infection par le VIH/sida et le virus de l’hépatite B, ce qui peut retarder l’arrivée dans le système de soins, ce qui peut compliquer la vie avec l’infection. Pour ce faire, les chercheur-e-s ont pris en compte l’ensemble de la trajectoire de la personne (migratoire, sociale et professionnelle) pour comprendre ses besoins, ses contraintes et ses choix.

L’enquête a connu deux phases : une enquête qualitative en 2011 auprès de trente-trois personnes vivant avec le VHB et dix soignants, une quantitative en 2012-2013 dans 74 services de santé auprès de 2 500 personnes. Les personnes migrantes étaient réparties en trois groupes : un groupe de personnes vivant avec le VIH, un groupe de personnes vivant avec le VHB, un groupe de personnes qui n’avaient ni le VIH, ni l’hépatite B consultant pour de la médecine générale.

L’outil utilisé par les chercheur-e-s étaient le questionnaire biographique. C’est un outil efficace qui permet aux personnes de se remémorer et de dater les événements sur l’ensemble de leur vie. Il permet une collecte de données concernant l’ensemble de la vie pour une analyse quantitative et d’analyser l’articulation entre diverses trajectoires : la santé, les logements, les activités, les ressources, les relations affectives et sexuelles, etc. L’enquête qualitative s’est déroulée en 2011. Elle a porté sur les connaissances et représentations de la maladie, les rapports soignants/soignés. De février 2012 à juin 2013 : c’était l’enquête quantitative avec la collecte des données. De juillet 2013 à janvier 2014, il y a eu la préparation de la base de données. Puis entre janvier 2014 et aujourd’hui : des analyses, des présentations à des colloques scientifiques, dont Afravih 2014 (1), IAS Melbourne 2014 (2), le congrès Afef 2014 (3).

Sans tout, ni trop détailler la présentation faite à Lyon — il faut pour cela se reporter au site Internet du projet, voici quelques données et pistes présentées.

Une des chercheures, Dolorès Pourette (anthropologue, Ceped) a plus spécifiquement travaillé sur l’enquête qualitative sur les connaissances et représentations. Si on s’intéresse aux connaissances et attitudes face aux hépatites chez les migrants porteurs d’une hépatite chronique B, on retient que la plupart des patients n’avaient pas entendu parler de l’hépatite B avant d’être dépistés ; que ceux qui avaient entendu parler de l’hépatite B l’associaient à la mort et à une maladie grave ; que les personnes font un lien avec le sida (idée de virus, sexuellement transmissible) et l’assimilent à une maladie taboue, honteuse… ce qui a pour conséquence des difficultés à informer l’entourage (en foyers en particulier). Le lien est aussi fait avec d’autres maladies connues en Afrique (fièvre jaune, malaria). Les personnes comprennent mal : la maladie, les modes et voies de transmission, le mode de protection de l’entourage, les possibilités de traitement et de guérison. Difficiles aussi à comprendre, les notions de : "porteurs inactifs"(les personnes se perçoivent comme malades, alors pourquoi refuse t’on de les traiter ?) et de "porteurs actifs" (pourquoi prendre un traitement à vie si on ne peut pas guérir ?). Dolorès Pourette s’est aussi intéressée aux médecins. L’enquête Parcours a permis d’avoir des données sur les professionnels de santé face aux représentations des patients. Entre les deux, c’est la "difficile communication" a-t-elle été expliqué à Lyon. Il y a la difficulté  à expliquer la notion de "virus avec un portage inactif". La difficulté à expliquer le traitement : la durée indéterminée du traitement, la guérison incertaine. A cela s’ajoute le fait que des médecins sont mal à l’aise pour parler de la prévention de la transmission à l’entourage pour plusieurs raisons : un risque de confusion avec le sida, une difficulté à aborder la notion de sexualité protégée, surtout lorsque le conjoint ou la conjointe est dans un autre pays… Les messages délivrés aux patients sur la transmission peuvent paraitre contradictoires : infection dans la petite enfance, risque de transmission sexuelle.

Par ailleurs, des médecins qui se disent "démunis au niveau des outils de communication". Les conclusions de l’enquête qualitative sont claires : un manque d’information dans la population sur les modes de transmission, la maladie, les moyens de prévention, les traitements ; chez les patients : de nombreuses incompréhensions et confusions qui compliquent la vie avec l’infection ; pour les personnes dites "porteurs inactifs" : un écart entre les représentations et le ressenti des patients (maladie grave) et les discours des médecins ; une dimension honteuse de la maladie et ses retentissements sur la vie sociale et intime insuffisamment pris en compte.

Sur la partie quantitative de l’enquête Parcours, les éléments présentés à Lyon portant sur les trois groupes mentionnés plus haut peuvent se résumer ainsi : quel que soit le groupe de recrutement (VIH, VH ou médecin générale), la majorité des migrants subsahariens ont connu une expérience de précarité de plus d’un an depuis leur arrivée en France : absence de papiers, de logement stable ; c’est au cours des premières années après l’arrivée en France que se concentrent les expériences de précarité ; le diagnostic VIH accélère l’accès à des papiers. Le diagnostic de l’hépatite B aussi, mais dans une moindre mesure.

Dans la conclusion de leur présentation, Annabel Desgrées du Loû et Nathalie Lydié ont insisté sur la nécessité d’élargir l’offre de dépistage du VHB  afin de mieux atteindre : les migrants ayant peu de contact avec les services socio-sanitaires ; les jeunes ; les migrants arrivés en France depuis longtemps. Elles ont également rappelé l’intérêt du dépistage communautaire basé sur les tests rapides d’orientation diagnostique (Trod).

(1) Conférence internationale de l’Alliance francophone des acteurs de santé contre le VIH.
(2) Conférence internationale sur le sida de Melbourne en 2014
(3) Congrès de l’association française pour l’étude du foie, Paris.

L’enquête Parcours, un site pour tout savoir
L’enquête Parcours est une étude sur le parcours de vie et de santé. Elle s’intéresse à la santé des migrants. Elle "vise particulièrement à améliorer la prévention et la prise en charge de l’infection à VIH et de l’hépatite B chez les migrants d’Afrique subsaharienne vivant en France. Elle concerne chacun d’entre nous, que nous vivions ou non avec l’une ou l’autre de ces infections". Ce projet, vaste et complexe, qui se déroule sur plusieurs années (les analyses des résultats se poursuivent) mobilise différentes équipes : celle du Ceped (Centre population et développement) dont Annabel Desgrées du Loû, investigatrice principale, celle du Cesp (Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations), celle de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) dont France Lert, Nathalie Bajos, l’Iplesp (Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique) dont Rosemary Dray-Spira, la direction des affaires scientifiques de l’Inpes (Institut national de prévention et d’éducation à la santé) dont Nathalie Lydié, l’Ined (Institut national des études démographiques), etc.Le site comporte une rubrique résultats et publications, qui présente l’ensemble des publications et des présentations publiques liées à l’enquête Parcours dont certaines sont disponibles en téléchargement.