"Les avancées semblent bloquées"

Publié par Costa le 28.11.2008
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Présidente de l'Association française pour la réduction des risques (AFR) et du Bus 31/32 pour les usagers de drogues en grande précarité, Béatrice Stambul revient pour Seronet sur les enjeux actuels de la réduction des risques. Un constat notamment marqué par la crainte de voir l'institutionnalisation du dispositif sonner le glas des innovations.
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Les deuxièmes Rencontres nationales de la réduction des risques (RdR) liés à l’usage de drogues se sont tenues mi-octobre à Bobigny. Quels sont les enjeux actuels de la RdR ?


Je voudrais d’abord souligner ce qui va : le mouvement RdR reprend du poil de la bête et, grâce à un important travail de réseau et de lien comme celui fait en amont de ces Rencontres, l’AFR y est un peu pour quelque chose. Les gens sont mobilisés, désireux de réfléchir et d’échanger, et ces Rencontres répondaient à un vrai besoin des acteurs d’évoquer l’ensemble des problèmes politiques et techniques qu’ils rencontrent actuellement.

Quels problèmes ?


La création des Caarud (Centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues) et l’institutionnalisation des dispositifs RdR (voir encadré) est quelque chose d’exceptionnel, qu’on attendait. On est sorti d’une situation où il fallait aller tous les ans à la pêche aux subventions, demander des budgets à la Direction générale de la santé, aux DDASS, aux collectivités locales… Et on ne peut que s’en réjouir, même si les budgets ne sont pas géniaux. Mais seuls 140 programmes RdR sont devenus Caarud dans toute la France. Les associations qui n’interviennent que dans le festif n’ont, par exemple, pas pu le devenir et de plus, dans certaines régions ou départements, il n’y a rien. Il y a donc un vrai problème d’inégalités territoriales. Si elle ouvre plein de possibilités, l’institutionnalisation du dispositif crée aussi des tas de besoins dont il faut s’occuper. Peut-être aussi a-t-on perdu un peu de notre âme en devenant gérants d’institutions médicosociales.

C’est-à-dire ?


Quid des possibilités d’innover dans les années à venir ? Les militants de la première heure sont devenus des directeurs d’établissements, des gérants de programmes, et le climat actuel est plus à la défensive : protéger nos acquis plutôt qu’innover, alors qu’il reste nombre de choses importantes et nécessaires pour compléter le dispositif. Mais le système même fait que si on veut faire quelque chose, dans les Caarud, il faut maintenant attendre 3 ans pour pouvoir le faire. Éducation aux risques liés à l’injection, substitution injectable, héroïne médicalisée, élargissement de la palette des traitements de substitution des opiacés… les avancées semblent bloquées. On ne se demande pas comment faire de l’éducation aux risques liés à l’injection mais si c’est faisable, et on reproche au testing – qui représente pourtant un outil de contact et d’information des consommateurs, un moyen d’aller vers eux comme l’a permis l’échange de seringues – de ne pas être scientifique et d’inciter à l’usage…. Les Caarud et les Csapa (Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) risquent de s’orienter vers la gestion de la RdR et du soin, pas vers l’innovation.

Qu’entendez-vous par « climat actuel » ?


Bien que politique officielle française, la RdR fait toujours l’objet d’attaques importantes, dans un contexte qui se caractérise par le tout sécuritaire et la politique de tolérance zéro. La loi de 70 n’a pas bougé et reste très appliquée. Dans beaucoup de régions, la présence policière est très forte, avec chasse au faciès, interpellations et incarcérations en hausse. Les usagers de rue très précarisés passaient déjà une bonne partie de leur temps en prison. Avec les peines planchers, ils se retrouvent incarcérés pour plusieurs années pour des délits qui ne sont parfois pas plus graves que d’habitude. Plusieurs milliers de personnes sont actuellement en prison pour simple consommation, et c’est un problème très important. Beaucoup d’entre eux, particulièrement précaires, tombent également sous le coup d’autres lois : chasse aux sans papiers s’ils sont étrangers, racolage passif s’ils se prostituent... De vrais obstacles à la réduction des risques.

La répression exercée en milieu festif rend également les choses très difficiles pour les acteurs de RdR, qui sont poursuivis en justice pour des flyers de prévention et d’information ou bombardés d’amendes pour avoir emprunté des chemins forestiers pour accéder aux raves… C’est l’argent de la Santé qui paye le ministère de l’Intérieur ! Ailleurs, ce sont les flics qui montent dans les bus bas seuil (destinés aux usagers les plus marginalisés) pour vérifier les papiers des soignants qui donnent de la méthadone. Un harcèlement quotidien, et ce tout sécuritaire est pour nous un véritable point noir qui montre le paradoxe et les limites du genre : implanter des actions RdR alors que la loi n’a pas évolué.

Un paradoxe franco-français ?


Pourquoi la France ne trouve-t-elle pas de politiques capables d’articuler au niveau national quelque chose de cohérent sur la RdR comme il y en a dans plein d’autres pays du monde ? C’est pourtant une vraie politique, efficace et pas chère, qui permet de diminuer les contaminations, les overdoses, mais aussi les délits. Il n’y a actuellement aucun député pour développer un argumentaire en faveur de la RdR, qui est toujours considérée comme une incitation à l’usage et pas vraiment du soin. L’opinion publique reste du coup complètement ignorante (« ils n’ont qu’à pas se droguer », « il n’y a qu’à les punir »), et une partie non négligeable des politiques reste farouchement opposée à la réduction des risques. Il y a toujours cette pétition de 120 députés réclamant une commission d’enquête parlementaire sur la RdR ! Un problème qui n’est d’ailleurs pas totalement réglé non plus au sein des professionnels, et qui nécessite pour notre association, l’AFR, et l’ensemble des acteurs un vrai travail de réflexion. Pourquoi ce débat est-il si difficile et irrationnel en France alors que plein d’autres pays l’ont déjà fait ?

Plutôt pessimiste ou optimiste ?


Je n’ai pas plus peur que lorsqu’on descendait dans la rue donner des seringues en se faisant vilipender par nos collègues et arrêter par les flics. Il ne faut pas être hors la loi mais avant la loi, et on ne va pas rester 107 ans sans toucher à la loi. En plus, on n’invente rien puisque beaucoup l’ont déjà fait. Même l’Iran fait de l’échange de seringues en prison, et la substitution aux sulfates de morphine est déjà homologuée en Belgique, en Allemagne ou en Autriche…

On est dans un vent portant, les gens sont mobilisés, se sont saisis des problèmes. Il y a une vraie volonté commune. Reste maintenant à l’inscrire au niveau international où les Français sont pour l’instant peu présents. L’AFR se rapproche actuellement de l’International Harm Reduction Association  pour créer avec d’autres associations un réseau européen de réduction des risques, l’Europe étant désormais la seule région du monde où il n’y en a pas.

Créés en 2005, un an après la loi officialisant les activités de réduction des risque en direction des consommateurs de stupéfiants, les Caarud répondent à la volonté des pouvoirs publics de pérenniser le financement des structures existantes en les dotant d'un référentiel commun de missions et d'objectifs (accueil, accès aux soins, mise à disposition de matériel pour prévenir les infections…). Une fois agréés, ils sont financés sur plusieurs années par l'Assurance maladie.

 Pour en savoir plus sur le BUS 31/32 : http://www.addictologie.org/dist/telecharges/FFA07_Stambul.pdf

 Crédit illlustration : Damien Roudeau/Les Yeux dans le Monde