Les droits de l'homme face à Poutine

Le lieu est symbolique. Sur l'esplanade marbrée du Trocadéro, les manifestations pour les droits humains à travers le monde sont nombreuses. Ce vendredi 13 septembre, des citoyens égyptiens sont là pour dénoncer la reprise du pays par les militaires. Entre les touristes qui tentent de faire tenir la tour Eiffel entre leurs doigts, un autre rassemblement contre les violences à l'égard des minorités en Russie s'est formé, à l'initiative des l'association de défense des personnes transgenres, Acceptess-T. La présence de Roman Sorokine a permis de lever un peu plus le voile sur la violence quotidienne envers la société civile. "Les représentants de la communauté LGBT sont dans une situation de non-droit. Confrontés aux agressions physiques et aux moqueries, sans que personne ne juge nécessaire d'intervenir" a raconté devant la foule cet homme trans russe ayant fui la répression homophobe. Pour Giovanna Ricon, porte-parole d'Acceptess-T, l'histoire de Roman est "la réalité de la tranphobie existante en Russie". "Etre ici" ajoute-elle, "dans ce lieu au nom rempli de sens, c'est dénoncer les persécutions homophobes, quand des ados gays sont frappés ou forcés de boire leur propre urine par des groupes extrémistes".

"Propagande"

C'est la promulgation de la loi, le 1er juillet dernier, contre la "propagande homosexuelle", pénalisant toute communication ou publication sur le sujet, qui a mobilisé les militants de l'égalité des droits. Ces derniers veulent profiter de la vitrine mondiale qu’offrira les jeux olympiques de Sochi au printemps prochain. Aucune des organisations présentes ne se prononcent sur un éventuel boycott, mais pour Nicolas Gougain, porte-parole de l'inter-LGBT, il est nécessaire de s'inscrire dans un mouvement à long terme, afin de pousser les politiques à inscrire cette question à l'agenda politique. Didier, présent au rassemblement pense lui qu'après les arrêtés municipaux pris à Moscou et à Saint Petersbourg, cette "nationalisation du discours homophobe" doit être sanctionnée : "pourquoi ne pas exclure la Russie de ses propres jeux" propose-t-il comme solution à ses positions contraires aux valeurs de l'Olympisme.

Problèmes de société

La question homosexuelle cristallise les enjeux de la défense des libertés dans le plus grand pays d'Europe. Car les atteintes aux droits touchent aussi artistes, journalistes et acteurs associatifs. Comme l'a rappelé la représentante de AIDES, cette disposition fait suite à d'autres qui ont légalisé un contrôle étatique du travail des ONG, avec l'interdiction du plaidoyer "contraire aux intérêts russes", tout comme celles considérées comme "agents étrangers". L'étau se resserre sur la société civile, qui ne peut plus agir pour défendre les populations les plus vulnérables. Selon Mathilde Chevalier du bureau exécutif d'Amnesty International France, la Russie est responsable de violations graves des traités dont elle est signataire, "notamment sur la liberté de rassemblement, le droit à l'information, à la prévention et à la sexualité". L'organisation dénonce cette censure institutionnalisée, et demande aux autorités l'abrogation de ces lois et la sécurité pour les groupes visés. Une enquête sur cette question sera lancée à l'horizon 2014 annonce encore Mathilde Chevalier.

La répression tue

Dans ce climat social délétère, les conséquences sur la santé ne se sont pas faites attendre. En 10 ans d'ère Poutine, le nombre de personnes séropositives a été multiplié par 10, atteignant le million. Seulement un quart des personnes vivant avec le virus ont accès aux traitements, un score inférieur aux pays africains. "Il y a évidemment un lien entre homophobie, qui cause mésestime de soi et prise de risque accrue, et la hausse des contaminations au VIH", explique Cécile Lhuilier d'Act- Up Paris. Les politiques répressives ont mis à mal les programmes de prévention, notamment à l'égard des usagers de drogues et des travailleurs du sexe et ont rendu la dynamique de l'épidémie explosive. 78 % des consommateurs de produits ont une hépatite C. Une situation catastrophique, qui rend nécessaire une mobilisation internationale pour la protection des minorités indispensable. "On se doit d'être solidaire, encore plus après avoir traversé l'épisode du mariage pour tous. Cela a été long et l'égalité n'est pas encore complète, en attendant la PMA et les droits des personnes trans. Cela prouve que rien n'est acquis et qu'il faudra se battre ici pour la conserver et là-bas pour qu'elle devienne réalité", défend encore l'activiste. Avant de se disperser, les personnes rassemblées scandent leur rêve de voir la Russie "libre". Ils devront le revendiquer encore, ici et ailleurs, pour qu'il devienne réalité.