"Les études centrées sur les femmes séropositives sont rares"

Publié par Anne Courvoisier le 22.08.2014
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InterviewFemme migrante

Laura Mellini est docteur en sciences sociales à l'université de Fribourg (Suisse). Elle s’intéresse aux processus d’exclusion, de stigmatisation et de construction identitaire des populations en situation de vulnérabilité, comme les malades, les homosexuel-le-s et les migrant-e-s. Privilégiant une approche en terme de rapports de pouvoir, elle articule plusieurs domaines de la sociologie : la santé, la maladie, l’homosexualité et la migration autour du thème central du VIH.

Votre équipe de recherche s’intéresse aux femmes migrantes subsahariennes vivant avec le VIH/sida. Pouvez-vousnous en dire un peu plus ?

Notre équipe de recherche composée de sociologues et sociolinguistes des Universités de Fribourg et de Lausanne mène actuellement une recherche sur les femmes migrantes d’origine subsaharienne et séropositives vivant en Suisse romande. Financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, cette étude s’intéresse à la manière dont ces femmes gèrent l’information relative à leur séropositivité. Concrètement, nous visons à savoir à qui les femmes concernées disent leur séropositivité, à qui elles la taisent et pour quelles raisons, quelles stratégies elles utilisent pour préserver le secret ou pour faire des confidences. A partir de là, il s’agit aussi d’explorer l’impact des secrets et des confidences sur le rapport que les femmes concernées entretiennent avec leur santé. Pour pouvoir répondre à ces questionnements, nous avons conduit trente entretiens avec des femmes séropositives, originaires de différents pays d’Afrique subsaharienne et vivant en Suisse romande. Les résultats de notre étude, qui se termine en août 2014, seront publiés prochainement.

Pourquoi se limiter à cibler les femmes migrantes d'origine subsaharienne et séropositives ?

Les études centrées sur les femmes séropositives sont rares et encore plus celles qui s’intéressent à des groupes spécifiques de femmes comme c’est le cas des migrantes subsahariennes. Nous assistons actuellement à une féminisation de l’épidémie au niveau mondial et le mode de contamination le plus répandu est par voie hétérosexuelle. Dans ce contexte, les femmes d’origine subsaharienne sont l’un des groupes les plus touchés par le VIH/sida et notre étude vise à combler un vide de connaissances en Suisse. Pendant les entretiens, nous les invitons à s’exprimer sur la gestion de l’information autour de leur séropositivité et sur d’autres aspects en lien avec la migration, la maladie et les représentations sur la santé, la sexualité et le VIH/sida.

Pourquoi le secret reste-t-il toujours omniprésent quand on parle de VIH/sida ?

Les progrès des trithérapies ont amélioré sensiblement la santé et la qualité de vie des personnes séropositives et ont contribué à rendre le VIH/sida similaire à une maladie chronique, pourtant sa "normalisation sociale" peine à suivre. L’infection au VIH continue d’être caractérisée comme une maladie du secret et ceci en raison de la stigmatisation qui lui est associée. Les témoignages des femmes rencontrées montrent que le contrôle de l’information sur la séropositivité est un élément central de leur vie. La peur d’être stigmatisées et rejetées par l’entourage et la communauté mène la plupart d’entre elles à un isolement social. En dehors du milieu médical et associatif, les confidences sur la séropositivité deviennent rares.

Ces femmes, comme vous le dites, vivent dans le secret et j’imagine qu’il n’a pas été facile de les trouver ?

Nous avons enquêté sur un terrain considéré comme difficile à atteindre, ce qui était en même temps l’un des défis de notre étude. Si nous avons pu effectuer le nombre d’entretiens prévus, c’est grâce à la collaboration avec les divers partenaires du terrain. Les femmes qui ont accepté de témoigner ont été recrutées par l’intermédiaire des antennes romandes de lutte contre le VIH/sida, des services hospitaliers et des médiateurs et médiatrices communautaires. D’autres dispositifs méthodologiques que nous avions prévus afin d’accéder aux femmes intéressées se sont révélés inefficaces et même le "bouche à oreille" espéré ne s’est pas produit, témoignant ainsi du fait que les femmes rencontrées connaissaient peu ou pas du tout des compatriotes atteintes du VIH, ou alors souhaitent maintenir strictement le secret face à leur communauté.

Peut-on dire que les femmes cachent plus leur séropositivité que les hommes ?

Cette question est très intéressante, mais notre étude ne permet pas d’y répondre de façon approfondie car elle cible une population féminine. Néanmoins, nos résultats montrent que le fait d’être femme séropositive originaire d’Afrique expose à davantage de situations où la question de la préservation du secret se pose. Avec l’arrivée des traitements, il ne s’agit pas uniquement de dissimuler les médicaments et leurs effets secondaires, mais également tout autre signe susceptible de rendre visible le VIH/sida. Par exemple, plusieurs mères rencontrées évoquent leur souci de cacher le recours à l’allaitement artificiel face aux questionnements de leur entourage. Elles disent recourir à des stratégies de justification pour éviter de susciter des doutes sur leur statut sérologique. J’ajoute que pour pouvoir répondre à cette question, la recherche a tout intérêt à continuer dans ce domaine, en s’intéressant aux représentations et attitudes des femmes et des hommes d’origine subsaharienne face au VIH/sida.