Les femmes veulent tomber le masque

Publié par jfl-seronet le 21.10.2009
4 170 lectures
Notez l'article : 
0
 
"Comment faire tomber les masques ?" C'est autour de cette question que s'est déroulée, le 3 octobre dernier à Paris, la deuxième rencontre Femmes et VIH. Il s'agissait pour l'interassociatif Femmes & VIH, organisateur de la rencontre, de traiter de l'invisibilité et des discriminations dont sont victimes les femmes, mais aussi d'identifier les moyens de résoudre ces deux problèmes. Les participantes ont travaillé une journée, puis elles ont présenté leurs revendications. Seronet y était.
femmes_et_vih.jpg

Elles sont près de 80, principalement des femmes touchées par le VIH, mais aussi des actrices de la lutte contre le sida, des professionnelles de santé ou du médico-social, venues d'un peu partout en France pour échanger, partager leurs expériences et surtout trouver les réponses à une question : "Comment faire tomber les masques ?" Durant une bonne partie de la journée, les participantes réparties dans cinq ateliers ont travaillé autour d'une piste commune : "Qu'est-ce qui doit changer pour que l'on puisse en parler…" Chacun des groupes traitant d'un aspect de la vie des femmes : la vie avec le partenaire, la vie professionnelle, la vie familiale, la vie avec le milieu médical et le rapport aux médias. Des femmes ont ainsi échangé et proposé autour de ""Qu'est-ce qui doit changer pour que l'on puisse en parler à son partenaire ?", tandis qu'un autre groupe de femmes travaillait sur "Qu'est-ce qui doit changer pour que l'on puisse en parler à son entourage familial ?", etc.

Au terme de la journée, les participantes ont présenté, atelier par atelier, leurs constats et ont aussi fait part de leurs besoins et de leurs revendications. L'enjeu n'est pas moindre puisqu'il s'agissait que voir ce qu'on peut et ce qu'on doit changer dans la société pour que la visibilité des femmes séropositives soit possible. Même si chacun des groupes a fait des demandes spécifiques selon son champ de discussion, il est vite apparu que le moyen le plus évident de faire tomber les masques était de modifier le regard des autres sur le sida et donc l'image même du sida dans la société. Pour le groupe qui a travaillé sur les relations avec le partenaire, cela consiste à faire comprendre qu'on "n'a pas le sida, mais qu'on vit avec le VIH". Un point de vue qui n'est d'ailleurs pas partagé par l'ensemble des participantes. Cela passe aussi par le fait de se définir "positivement". Une façon pour elles de dire qu'elles sont des "femmes, belles, vivantes qui doivent se battre pour [leur] visibilité. Il s'agit donc de se valoriser comme femme séropositive pour compenser la dépréciation que peut renvoyer la société.

 Le groupe qui a travaillé sur la vie à deux a d'ailleurs eu l'idée de proposer la publication d'un manifeste où 343 femmes affirmeraient leur séropositivité et le fait qu'elles n'en ont pas honte. Un manifeste qui montre aussi que les femmes séropositives sont "vivantes". Un manifeste qui rappellerait dans son audace celui des "343 salopes" (publié en 1971 dans le Nouvel Observateur) qui avaient affirmé avoir avorté alors que la loi Veil n'était pas encore adoptée. Elles s'exposaient alors à des poursuites devant les tribunaux. Autre piste proposée pour le couple, une affirmation du droit au plaisir. Une femme séropositive peut et doit avoir une sexualité et son droit au plaisir est légitime. Les participantes à l'atelier ont insisté sur l'éducation sensuelle ("Il n'y a pas que la pénétration dans la vie !") des partenaires, la connaissance par les femmes de leur corps. Elles demandent aussi à ce que les associations de lutte contre le sida se bougent pour un accès gratuit à des préservatifs plus variés et même fantaisie.
En matière professionnelle, il s'agit, là encore en priorité, de changer le regard des autres. "Il faut que chacune se sente dans un chemin de vie et pas de survie", ont rappelé les participantes de ce groupe. Cela passe, entre autres, par une meilleure information et même une meilleure formation du milieu professionnel aux questions de VIH/sida, mais aussi à des questions plus large comme la confidentialité ou la prise en compte des personnes en ALD. Ce travail peut être le fait de la médecine du travail, mais d'autres acteurs, associatifs notamment, ont leur rôle à jouer. Pour les participantes, l'enjeu est bien, lorsqu'on le souhaite, de pouvoir dire qu'on est séropositive ou "malade" au travail. En fait, il y a une balance entre le bénéfice individuel qu'il peut y avoir à pouvoir parler librement et la prise de risque à s'exposer dans un cadre pas suffisamment sécurisé ou mal préparé. Pour les participantes, le choix doit rester libre et l'essentiel des efforts doit porter sur un changement des mentalités dans le milieu professionnel pour que ce dernier devienne plus propice à l'affirmation de la séropositivité pour celles qui le veulent.
C'est "l'énergie qui s'est dégagée du groupe" qui a marqué les participantes de l'atelier consacré à l'entourage familial. Une façon, de dire : "Je porte un virus. Je ne suis pas malade". Pourtant, le paradoxe, c'est que dans ce groupe presque aucune femme n'a parlé de sa séropositivité à sa famille par crainte des réactions. Une participante a d'ailleurs affirmé : "Ce n'est pas le sida qui me tuera, c'est le silence !"  Les seuls exemples positifs sont ceux des femmes qui l'ont déjà dit à leurs enfants. Là, les choses se font faites naturellement. Pour le groupe, le principal travail à faire est de changer les mentalités en luttant contre l'ignorance. "Mieux on comprend, mieux on accepte", avance le groupe qui estime qu'un des moyens pourrait être la création d'un personnage récurrent dans une série télévisée grand public.

Du côté médical, il y a aussi beaucoup à faire. Des participantes ont évoqué des discriminations de la part de professionnels de santé (dentistes, gynécologues, etc.) souvent du fait d'un défaut d'information. Elles préconisent d'ailleurs dans tous les cas de se faire aider par une association pour connaître ses droits et saisir, par exemple, la Haute autorité de lutte contre les discriminations. Mais les difficultés ne sont pas que le rejet lui-même, il y a aussi la crainte de parler aux médecins de certains sujets, du VIH par exemple. Les participantes ont aussi pointé chez certains médecins "le refus d'entendre la parole des femmes", le refus de "croire aux spécificités des femmes en matière de VIH" et une grande facilité à prescrire des anti-dépresseurs plutôt que d'être à l'écoute des femmes lorsque ces dernières vont mal.

Par rapport aux médias, la situation est à la fois différente et plus complexe. Contrairement aux autres domaines traités, personne n'est obligé d'être en contact avec un média. En fait, le groupe qui a travaillé sur cette question estime que le préalable à toute démarche de témoignage dans la presse est un "travail sur soi". Un travail qui permet de réfléchir à ce qu'on attend d'un témoignage, aux raisons qu'on a de le faire et aux suites qu'il peut y avoir". Le retour a été très dur pour certaines participantes qui avaient témoigné dans des journaux ou à la télévision. Certaines femmes avaient le sentiment d'avoir été dépossédées de leur image, d'avoir été limitées dans leur expression. En fait, les participantes de ce groupe ont affirmé leur souhait de pouvoir témoigner de leurs difficultés dans les termes qu'elles voulaient et surtout pas cantonnées au rôle de victime. La solution serait alors de construire des "outils qui ressemblent aux femmes concernées". Les participantes préconisent d'ailleurs d'utiliser des moyens nouveaux pour informer et faire réfléchir comme le slam (des joutes poétiques) les pièces de théâtre, Internet, les jeux vidéos, etc.. C'est aussi aux associations de lutte contre le VIH d'aider à renforcer les prises de paroles collectives mieux à même de modifier le regard de la société et de la famille.
L'Interassociatif Femmes et VIH publiera dans quelques temps un compte rendu de cette rencontre.
Plus d'infos sur www.femmesetvih.org , le site ouvrira d'ici quelques jours.

Commentaires

Portrait de maya

N'est-ce pas un peu facile de toujours attendre des autres qu'ils soient: meilleurs, plus humains, mieux informés patati et patata pour assumer ce qu'on est ? (je parle la des femmes françaises, car il est des pays où le silence est vraiment une obligation de survie. De plus en quoi cela touche-t-il spécifiquement plus les femmes que les hommes ?

Bien à vous,

Pluvieusement,  

Portrait de concordes

Parles pour toi Maya, toi qui t'assumes si bien. Moi j'ai eu un mal fou à sortir de mon stigma. Bien à toi, pluvieusement
Portrait de maya

C'est quoi ton" stigma" ?
Portrait de concordes

C'est la peur d'en parler, c'est la peur d'être découvert, c'est la peur de la médecine du travail, c'est la peur de faire mal à sa famille en parlant de cette maladie, c'est l'angoisse de son propre sang, c'est le fait de se renfermer sur soi et de continuer à vivre tout en étant deux personnes à la fois. C'est très long à s'en défaire et à en parler. Et c'est dur de mentir toute une vie car tu n'as pas d'enfants puisque "tu es stérile", et que tu es hospitalisé "parce que tu as un cancer". C'est dur d'annoncer à tes parents qu'ils n'auront pas de petits enfants, c'est dur d'être ménopausé à 39 ans.Et puisqu'on y est, c'est dur de mentir à sa famille oui, je crois que c'est le plus dur.Voilà j'espère que tu comprendras.
Portrait de maya

Je comprends concordes, même si c'est loin de moi je peux entendre ces souffrances la. Je crois que toi et moi sommes contaminées depuis la même période, qu'est-ce qui diffère dans notre façon de voir ou plutot pourquoi... Je pense sincèrement qu'à vouloir toujours épargner les autres , C'est toi qui paie l'ardoise tu ne t'épargnes pas, toi et pourtant c'est toi qui es dans cette souffrance, pas ceux que tu essaies de protéger mais de quoi au juste ?? Ils ne seraient pas capables d'entendre que tu as une maladie ceux qui t'aiment ? J'ai délibérément pris une autre option au départ qui était celle d'en parler comme je parlerais d'un cancer. Je partage certaines choses avec toi comme d'avoir été "castrée" alors qu'il n'y avait pas de raison à ces interdictions mais c'est l'époque qui a voulu ça.Et pourtant oui aujourd'hui ya des jours ou je le regrette vraiment.Je ne suis pas sure que ce soit le VIH qui provoque ces ménopauses prématurées, je pense plus aux traitements (moi pas de traitements = pas de ménopause). En revanche le sang pollué, le corps dangereux sont des ressentis bien vivants chez moi aussi, (je n'ai pas toutes les forces psychiques tu sais :) il y a des choses sur lesquelles j'ai abdiqué, comme la sexualité et pour ce que j'en lis ici et ailleurs ca semble rare . donc oui je te comprends même si ca me fout en rage de voir les gens malheureux se cacher. Je t'embrasse
Portrait de romainparis

ne seraient-elles pas d'abord victime de l'hétérosexisme avant même de l'être de leur séropositivité ?
Portrait de concordes

Tu pourras expliquer s.t.p. victime d'hétérosexisme, parce que là ça me dépasse. J'ai pas choisi de naître ici et maintenant tu veux que je devienne lesbienne parce que je suis vih ????
Portrait de romainparis

Je voulais dire que ces femmes sont d'abord victime de la misogynie ( qui découle d'après moi de l'hétérosexisme). Elles sont d'abord attaquées sur leur statut de femme avant de l'être pour leur séropositivité.
Portrait de maya

les femmes n'ont pas le 'droit' d'être séropo, pour les hommes hétéros ce sont des salopes...comme tout homme avec le vih est homo (c le reflet de la rue pas celui des milieux autorisés) ...On avance à grand pas..;-) Comme avec la syphillis au siècle dernier...et le masque dont elles parlent, elles se le sont aussi collé sur la tête. ca n'a rien de critique mais un état de faits : il aurait fallu se lever en même temps que les gays à cette époque, mais on ne nous apprend pas à être combattive, on nous apprend à souffrir en silence, et on voit le résultat aujourd'hui ... Yes we can !! ;-) j'ose espérer que les filles de demain seront d'une autre trempe. zoubis