Les plaisirs de la sexualité préhistorique !

Publié par Sophie-seronet le 05.05.2011
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Un chercheur en psychologie américain et une psychiatre espagnole nous invitent à nous pencher sur la sexualité de nos ancêtres préhistoriques pour mieux comprendre les origines de nos pratiques sexuelles actuelles…
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Le livre "Sex at Dawn" (1) par Christopher Ryan et Cacilda Jethà présente une synthèse ambitieuse et profondément décoiffante de recherches récentes menées sur la sexualité et la vie sociale des êtres humains à la période préhistorique. Selon les auteurs, notre espèce s’est développée pendant au moins trois millions d’années en vivant dans de petites communautés itinérantes, globalement paisibles, égalitaires et matriarcales, vivant de chasse et de cueillette dans les vastes plaines africaines. La sexualité entre les membres de ces communautés était l’un des principaux modes d’expression de la convivialité entre les membres du groupe. C’est bien la capacité à maintenir un niveau élevé d’entraide mutuelle entre membres de ces tribus humaines (par exemple pour élever collectivement les enfants) qui a permis la survie de notre espèce. La sexualité a ainsi joué un rôle central pour maintenir la cohésion dans ces communautés pendant la grande majorité de notre existence sur terre.

Ainsi, selon les auteurs, la monogamie, la répression de la sexualité, le sentiment de jalousie vis-à-vis d’autrui, la "norme hétérosexuelle", la notion de paternité comme reposant uniquement sur une personne unique (plutôt que sur l’ensemble de la communauté), la subordination des femmes et l’attribution d’un rôle dominant et violent pour les hommes...  ne sont que des inventions culturelles récentes (à l’échelle de nos millions d’années passées sur terre...) qui sont advenues suite à l’avènement de l’agriculture et la sédentarisation, il y a "seulement" quelques dizaine de milliers d’années.

Cette analyse est partagée par de nombreux chercheurs. Pour le biologiste évolutioniste Jared Diamond, le passage à l’agriculture a constitué "la pire erreur de l’histoire humaine. [...] Nous sommes toujours empêtrés dans le merdier dans lequel l’agriculture nous a plongé, et nous ne savons toujours pas comment nous allons nous en sortir". L’archéologue Thimothy Taylor résume : "La sexualité des peuples vivant de la chasse et de la cueillette était axée sur le partage et la complémentarité, tandis que la sexualité des premiers agriculteurs était (...) répressive, homophobe, et axée sur la reproduction". Avant l’agriculture et ses multiples effets sur nos normes sociales, nous étions des primates intrinsèquement pacifiques, très sexuels et multipartenaires…  

Comment réprimer nos sexualités ? Un florilège de méthodes...
Dire que notre civilisation occidentale chrétienne réprime la sexualité est un lieu commun... mais les auteurs rappellent aussi la cruauté inouïe de certaines pratiques. Par exemple, le Dr Kellogg (oui, celui des céréales...) a joué un rôle majeur en son temps (vers la fin du XIXème siècle aux Etats-Unis) pour dénoncer, stigmatiser et combattre la masturbation, qu’il considérait comme étant pire pour l’humanité que "la peste, la variole et la guerre". Il a ainsi préconisé la mutilation sexuelle précisément pour empêcher la masturbation. Pour les filles, Kellogg prescrivait l’application d’acide sur le clitoris. Pour les garçons, il recommandait la circoncision (sans anesthésie, précisément pour que l’intervention soit la plus douloureuse possible et soit vécue comme une punition...). Ce sont là les tristes origines de la popularité de la circoncision aujourd'hui encore chez les Américains.

Les bonobos, eux, ne sont pas réprimés du tout !
Ces singes d’Afrique sont connus pour leur mode de vie très sociable, paisible, égalitaire et surtout leurs pratiques sexuelles très fréquentes et multipartenariales. D’une part, les bonobos sont bien plus proches de nous génétiquement et anatomiquement que toutes les autres espèces de primates, surtout leur sexualité ressemble à bien des égards à la notre : quand ils s’accouplent, les bonobos se regardent dans les yeux et s’embrassent profondément, ils apprécient de varier les positions sexuelles et les pratiques homosexuelles sont très courantes chez eux aussi !
 
Qu’est ce que tout cela implique pour les acteurs de la prévention du VIH et des autres infections sexuellement transmissibles ?
Si nous acceptons nos désirs et besoins sexuels comme faisant partie de notre patrimoine humain, il est temps de questionner les fondements d’une partie des méthodes de "prévention du VIH" en vigueur de nos jours. L’éclairage scientifique apporté par Christopher Ryan et Cacilda Jethà peut contribuer à faciliter plus encore la parole : pour décoincer les intervenants médicaux qui sont encore si souvent prompts à nous donner des leçons de morale (ou nous faire peur, ou pathologiser nos pratiques sexuelles, ou à être complètement incapables de parler de sexualité autrement qu’en termes de risques d’infections et de maladies...) ; pour faciliter l’échange avec nos compagnes et compagnons sexuels... à la fois sur nos désirs et plaisirs, sur les accidents de la vie associés à nos sexualités contemporaine (le VIH, les IST, etc.), ce que nous pouvons faire pour éviter les transmissions et bien sur aussi, comment trouver notre pied à deux, trois ou quatre... En bref, Il s’agit de ré-inventer entre nous sereinement des pratiques sexuelles qui soient compatibles avec notre notre santé, notre épanouissement et nos origines pré-historiques !

[1] Sex at dawn : the prehistoric origins of modern sexuality de Christopher Ryan et Cacilda Jethà (416 pages) - Editions Harper - juin 2010