Les PVVIH admises dans l’armée

Publié par jfl-seronet le 10.05.2023
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Droit et socialarmée sygicop

Enfin ! Les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) vont bientôt pouvoir intégrer l’armée, la gendarmerie, a annoncé Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, lundi 8 mai. La fin d’une longue bataille menée par les associations de défense des droits des PVVIH. Explications et réactions.

Sigycop, Acte I

Petit retour en arrière. Le dispositif Sigycop faisait l’objet d’un recours devant le Conseil d’État depuis décembre 2020 au nom de six organisations : Adheos, ELCS (Élus locaux contre le sida), Familles LGBT, Flag !, Mousse et Les Séropotes. Cette annonce était alors accompagnée d’une tribune publiée dansLibération signée par maître Etienne Deshoulières (avocat), Jean-Luc Romero-Michel (président d’Élus locaux contre le sida et adjoint à la maire de Paris en charge des Droits humains, de l’Intégration et de la Lutte contre les discriminations), Terrence Katchadourian (secrétaire général de Stop Homophobie), Johan Cavirot (président de Flag !), Frédéric Hay (président d’Adheos), Damien Sartran (président de Mousse) et Arnaud Boisseau (président de Familles-LGBT). « Actuellement, les personnes vivant avec le VIH sont exclues du recrutement ou renvoyées de la police, de la gendarmerie, de l’armée et des pompiers, si l’État apprend leur statut sérologique, et cela même si ces personnes sont traitées et qu’elles ont une charge virale indétectable. Il s’agit d’une discrimination en raison de leur état de santé, totalement inacceptable ! », dénonçait alors la tribune. « Nous, associations et militants-es avons demandé officiellement au ministre de l’Intérieur et à la ministre des Armées [il s’agissait alors de Florence Parly, ndlr] d’abroger la réglementation qui instaure cette discrimination. Nous n’avons obtenu aucune réponse. Ce silence est inadmissible. Il est également incompréhensible », déploraient les signataires. AIDES s’est joint à ce recours en septembre 2021.

Première victoire, le 9 décembre 2022, la loi du 6 décembre 2021 relative aux restrictions d’accès à certaines professions en raison de l’état de santé entre en vigueur avec la fin de l’exclusion systématique des personnes vivant avec le VIH de la police nationale. « Le référentiel Sigycop, en total décalage avec les réalités scientifiques et médicales actuelles et qui empêchait jusqu’alors les personnes vivant avec le VIH d’intégrer la Police nationale ne s’applique plus. Une avancée significative avant la suppression totale de ce référentiel pour laquelle nous restons mobilisés », expliquaient alors les associations dans un communiqué. Une avancée importantes certes, mais incomplète. En effet, il restait à appliquer la même mesure pour l’armée, la gendarmerie et les sapeurs-pompiers.

Gérald Darmanin intervient

Acte sincère ou choix de stratégie politique ? Jeudi 4 mai, le site têtu fait cette annonce : « Selon nos informations, le ministère de l'Intérieur a écrit ce 2 mai à celui des Armées lui enjoignant de faire cesser « à très brève échéance » cette discrimination, anticipant de quelques mois une décision du Conseil d'État. « Les critères médicaux d’aptitude à l’intégration au sein de la gendarmerie nationale ou des corps militaires de sapeurs-pompiers ne permettent pas aujourd’hui aux personnes séropositives d’accéder à ces professions », a écrit Gérald Darmanin dans un courrier à son collègue Sébastien Lecornu, consulté par l’AFP. « Cet état de fait lié au statut militaire et aux contraintes qu’il impose, semble devoir évoluer », a ajouté le ministère de l'Intérieur. Une annonce qui a suscité de nombreuses réactions à commencer par celle de têtu· : « Tandis qu'Élisabeth Borne travers une mauvaise passe et que lui n'a jamais caché ses ambitions, Gérald Darmanin se souvient peut-être du sort d'une certaine Catherine Vautrin, qu'Emmanuel Macron avait d'abord choisie pour être sa Première ministre après sa réélection, avant que le rappel de ses positions homophobes passées ne [lui] coûte Matignon… », ironise le média LGBT+. Sur Twitter, les militants-es investis sur le sujet ne cachent pas leur réserves : « C’est une récupération grossière d’un ministre en campagne pour chiper le poste de Premier ministre. Le ministère des Armées a déjà retravaillé le nouveau Sigycop (qui doit être publié en juin) avec une cotation du VIH passant à G2 (donc non bloquante). Cela fait plusieurs années que les associations se mobilisent avec le secteur médical, des juristes et des parlementaires. Ce n’est pas aussi simple qu’un courrier du ministre de l’intérieur « enjoignant » à son collègue des armées de mettre fin à une discrimination », tacle Bruno Lamothe, référent accès aux droits et lutte contre la sérophobie chez les Séropotes. Et le militant de préciser : « À ce sujet, le député Raphaël Gérard [député Renaissance de la 4ème circonscription de Charente-Maritime, ndlr], a déposé deux amendements au projet de loi de programmation militaire, dont l’un vise à mettre fin aux discriminations visant les PVVIH dans l’examen de l’aptitude médicale et l’autre vise à individualiser l’examen de celle-ci ».

De son côté, AIDES a réagi sur Twitter : « Si nous appuyons cette proposition, nous demandons à ce que les personnes séropositives au VIH puissent accéder à L’ENSEMBLE des métiers des forces de l’ordre, y compris l’armée. Rien ne justifie d’un point de vue médical la perpétuation d’une telle exclusion et discrimination (…) ». Et AIDES de conclure : « Pour pouvoir mettre fin à toute forme de discrimination, cette loi doit trouver à s’appliquer à tous-tes, pour l’ensemble des maladies chroniques, et dans TOUS les métiers demandant une aptitude médicale particulière. Si cette proposition est plus que souhaitable, il est temps de passer des belles paroles aux actes. Et surtout, en concertation directe avec les personnes concernées, les assos' et les chercheurs défendant les droits des personnes vivant avec le VIH. Rien pour nous sans nous ! »

Sigycop, Acte II

Et pourtant, il semble bien que l’intervention du locataire de la place Beauvau ait fait bouger les choses. Nouveau rebondissement, lundi 8 mai. Invité des « Quatre vérités » de France 2, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, annonce avoir pris un arrêté « qui va revoir l’ensemble des critères d’aptitudes pour rentrer dans les forces armées ». Désormais, les personnes vivant avec le VIH pourront intégrer « la gendarmerie, les sapeurs-pompiers de Paris et de Marseille, et l’ensemble des forces armées » ; ce qu’une loi de 1980, instaurant une nécessité de remplir certaines « conditions d’aptitude physique » ne leur permettait pas. « Ce n’était pas forcément discriminatoire, le service de santé des armées avait parfois quelques peurs pour nos militaires qui servaient en opération extérieure. Ils ont fait un boulot remarquable avec les associations et notamment AIDES grâce auquel ils ont fait évoluer les protocoles thérapeutiques qui permettent désormais nous assurer qu’avoir le VIH ne soit pas un critère discriminant pour entrer dans les forces armées», a-t-il développé. L’arrêté doit être publié dans les prochains jours.

« Pas forcément discriminatoire » ? Ça n’est pas l’avis des personnes concernées et des associations qui les défendent. Lors d’une audience début 2023 devant le Conseil d’État, dans le cadre d’un recours déposé fin 2020 par sept associations, les magistrats « laissaient sous-entendre par leurs questions qu’il y avait bien une discrimination », selon leur avocat Me Etienne Deshoulières. « Les représentants des ministères l’ont senti, je pense », ajoutait-il.

De nombreuses réactions

Comme on pouvait le supposer, cette annonce a suscité de nombreuses réactions. « Un pas de plus dans la lutte contre les discriminations ! Comme le rappelle le ministre, n’oublions pas que, tout comme la levée de l’interdiction des soins funéraires en 2018, ceci est le fruit de longues années de travail des associations, comme AIDES sur ce dossier. Il va falloir maintenant continuer à lutter contre les discriminations  qui perdurent chez une partie des personnes qui, comme le montrent certains commentaires, ne sont pas encore au fait des avancées scientifiques sur le VIH ou qui confondent VIH et Covid », a tweeté Florence Thune, la directrice générale de Sidaction. Même constat pour le Dr. Pascal Pugliese, le président du Corevih Paca Est : « Une avancée importante contre toutes formes de sérodiscrimination et de stigmatisation. Le chemin est encore long, mais c’est aussi avec ça que nous mettrons fin à l’épidémie ». De son côté, la SFLS (Société française de lutte contre le sida) a fait un court commentaire sur Twitter : « Enfin : la fin du dispositif qui n’avait plus aucun fondement scientifique ». Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, a également acté l’annonce sur son compte twitter : « Être séropositif ne sera plus une barrière à l’entrée des forces armées. Nous avons fait évoluer les critères d’aptitudes afin de mettre fin à cette discrimination ». « Nous saluons l’annonce du ministre des Armées @SebLecornu de mettre fin aux critères discriminatoires d’accès des personnes vivant avec le VIH aux métiers de l’armée. Ces critères injustifiés entretenaient les idées reçues et la sérophobie » a déclaré SOS Homophobie. De son côté, Anne Souyris, adjointe santé publique et environnementale à la Maire de Paris, a pointé l’aspect tardif de cette annonce : « Enfin ! … la preuve que derrière le VIH se cache toujours une kyrielle de discriminations — de l’homophobie au racisme — pour  que cette décision tarde tant à corriger cette discrimination à l’emploi manifeste et sans aucune justification scientifique ». Son collègue, Jean-Luc Romero-Michel, également adjoint à la Maire de Paris, salue cette avancée : « Les personnes séropositives peuvent enfin entrer dans l’armée. Après la police, une discrimination fondée sur aucune raison médicale tombe. Il était temps ! C’est contre le sida qu’il faut se battre. Pas contre les malades ! »

Enfin, un communiqué inter associatif revient plus longuement sur cette annonce : « Nos associations se félicitent de l’avancée majeure que représente l’annonce, par Sébastien Lecornu, de la fin de l’exclusion systématique des personnes vivant avec le VIH ». Les associations en question (Adheos, AIDES, ELCS, Familles LGBT, FLAG !, Mousse, Séropotes, Stop Homophobie) soulignent toutefois le besoin d’aller encore plus loin : « Nous appelons de nos vœux, dans le même sens,  à l’évolution des textes réglementaires régissant l’aptitude physique des pompiers professionnels et volontaires au sein des services d’incendie et de secours, afin que ces derniers connaissent la même issue positive ». Et les signataires de conclure : « Les associations de personnes concernées restent mobilisées pour une évolution normative mettant fin à toute forme de discrimination en raison de l’état de santé dans l’ensemble des emplois des armées, sur le modèle de ce qui a été fait pour les métiers de la police nationale ».

 

Sigycop et instructions VIH
« L’interdiction d’intégrer de nombreux corps de l’armée par des personnes vivant avec le VIH a été identifiée en juillet 2015, après qu’une personne contacte AIDES alors qu’elle se voit refuser l’accès à la marine nationale », rappelle l’édition 2015 du rapport VIH, hépatites, la face cachée des discriminations, réalisé par AIDES. L’association choisit alors de s’intéresser dans le détail à un référentiel appliqué pour « déterminer l’aptitude médicale à servir » des candidats-es, et méconnu du grand public : le Sigycop ; un référentiel daté qui écarte, de fait, les personnes vivant avec le VIH et qui ne tient aucunement compte des avancées majeures dans la prise en charge du VIH. Qu’est-ce qui est appliqué concernant le VIH actuellement ? Un arrêté (20 décembre 2012, modifié en janvier 2018) relatif à la détermination du profil médical d’aptitude en cas de pathologie médicale ou chirurgicale établit une cotation pour de nombreuses pathologies dont le VIH. Concernant cette maladie, c’est quasiment, critère pour critère, l’instruction de 2003 (!) qui s’applique. C’est dire si cela date. Le VIH est considéré dans le critère « G » (état général). Il est côté par des coefficients allant de 3 à 5. Voici ce que cela donne : infection à VIH asymptomatique, sans traitement, avec une immunité cellulaire satisfaisante et selon avis spécialisé : G 3 ; infection à VIH asymptomatique, sans traitement, avec une immunité perturbée (inférieur 500 CD4/mm3) : G 4 ; infection à VIH asymptomatique, traitée, charge virale indétectable et immunité cellulaire satisfaisante (supérieur à 500 CD4/mm3) : G 3 à 4 ; infection à VIH traitée avec charge virale détectable ou immunité cellulaire perturbée (inférieur à 500 CD4/mm3) : G 4 ; infection à VIH symptomatique : G 5.