Les PVVIH dans la presse écrite

Publié par Fred Lebreton le 22.10.2021
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Comment sont représentées les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) dans la presse écrite ? C’est la question que ce sont posés des chercheurs-ses irlandais-es. Les résultats de leur analyse publiés sur le site aidsmap montrent le décalage entre les avancées biomédicales dans le VIH et les représentations parfois sérophobes de la presse.

Un discours moralisateur

L’analyse menée par la docteure Elena Vaughan et le docteur Martin Power de l’Université nationale d'Irlande à Galway a été publiée dans la revue médicale Health. Les chercheurs-ses ont passé en revue le traitement médiatique des personnes vivant avec le VIH dans la presse écrite irlandaise entre 2006 et 2016. Il faut savoir que l’épidémie de VIH en Irlande est un sujet de santé publique important et que les découvertes de séropositivité au VIH dans ce pays sont en hausse par rapport à la moyenne européenne. Cette hausse coïncide avec des coupes budgétaires significatives dans le budget de la santé dans le pays depuis 2008. Dans ce pays, comme ailleurs, les PVVIH continuent de se sentir stigmatisées et les médias jouent un rôle important dans la diffusion et la vulgarisation de l’information médicale, notamment en ce qui concerne le VIH. La façon dont on présente et parle des personnes vivant avec les VIH dans les médias influence l’opinion de la population générale. Elle a, de ce fait, un impact sur la vie des personnes concernées.

Pour analyser ce traitement médiatique, les chercheurs-ses ont isolé 103 articles de la presse écrite irlandaise publiés entre 2006 et 2016. Cette période a été choisie car elle correspond à celle d’avancées biomédicales majeures comme l’arrivée du Tasp (Indétectable = Intransmissible) ou de la Prep. Les articles sélectionnés étaient issus de la presse nationale  (lue régulièrement par 80 % de la population pendant cette période). Ils devaient comprendre au moins 500 mots et contenir les termes « VIH » et « sida » dans leur titre. Sur les 103 articles, 73 étaient liés au VIH au Royaume-Uni et 30 concernaient le VIH dans le monde (dont 14 en Afrique). Les chercheurs-ses ont utilisé une technique d’analyse du discours qui prend non seulement en compte les mots utilisés, mais aussi la façon dont la langue est utilisée pour créer et renforcer des rapports de force.

Le discours dominant qui est ressorti de ces articles était lié au risque et aux responsabilités avec près de la moitié des articles qui faisait référence aux « risques ». Extrait d’un titre d’article publié dans le journal Irish Independent : « Un des spécialistes irlandais des IST dépeint une image effrayante de la culture des coups d’un soir où beaucoup de personnes s’adonnent à des comportements sexuels à risque ». Souvent dans ces articles, les personnes jeunes et les hommes gays sont pointés du doigt comme étant des personnes avec un comportement « imprudent ». Ces articles avaient tendance à dépeindre une image anxiogène de la sexualité centrée autour du risque et de l’augmentation des IST et du VIH. Extrait du Irish Times : « La récente résurgence des IST en Irlande indique que les gens prennent plus de risques, en particulier chez les jeunes (…). Ils ont grandi dans un monde avec le VIH/sida et, soit ils se croient invincibles, soit ils pensent que le jeu en vaut la chandelle ».

Un discours moralisateur transpire dans beaucoup d’articles. Extrait : « Le développement efficace des traitements antirétroviraux semble avoir encouragé beaucoup de jeunes hommes à prendre des risques qu’ils n’auraient pas pris il y a encore quatre ou cinq ans ».  Ce discours tend à placer la responsabilité de l’infection à VIH chez l’individu, et lui seul, et ne prend pas en compte des facteurs sociétaux et structurels comme le fait d’appartenir à un groupe très exposé au VIH. « Nous devons tous assumer les conséquences des choix que nous faisons », écrit un médecin dans un article. Comme si le fait de contracter le VIH était un choix…  La voix des experts-es médicaux-les du VIH est souvent relatée dans ces articles (plus d’un tiers) tandis que celle des personnes vivant avec le VIH est moins courante (environ 10 %). Constat intéressant, alors que le traitement de l’épidémie de VIH en Irlande se concentrait sur des comportements individuels, les articles qui traitaient du VIH en Afrique avaient plus tendance à prendre en compte des facteurs structurels comme le manque de fonds alloués à l’épidémie ou les problèmes d’accès aux traitements et à la prévention. Par ailleurs, le haut niveau d’infections à VIH était imputé à un manque de volonté politique à l’étranger, mais pas en Irlande.

Une condamnation à mort

Dans les articles analysés, les personnes vivant avec le VIH étaient souvent désignées comme étant « malades » et une distinction était clairement établie entre les personnes infectées et les autres. Par exemple, un article décrivait une femme vivant avec le VIH enceinte comme « ressemblant à n’importe quelle mère en bonne santé » avant d’ajouter qu’elle portait « un virus potentiellement mortel qui pourrait être transmis à son nouveau-né ». Le sous-entendu est que les personnes vivant avec le VIH sont forcément malades sans prendre en compte leur état de santé réel et le fait qu’une personne dépistée tôt et traitée efficacement est en bonne santé et ne transmet pas le VIH.

Dans un article du Irish Times, un journaliste, basé en Afrique, racontait son expérience d’un faux résultat positif à un test VIH. Sa première réaction était d’accuser sa petite amie africaine (« C’est forcément elle. Elle m’a contaminé »). Puis après confirmation que son test était négatif, le journaliste exprimait son soulagement : « Pendant trois jours, j’étais séropositif et maintenant je ne suis plus malade. Je suis libéré ».

Une autre tendance qui revenait souvent était le fait d’utiliser un vocabulaire daté des années 80/90 pour parler du VIH. Plutôt que de mettre en valeur les avancées thérapeutiques du Tasp et le fait que le VIH, une fois dépisté et traité, devient une infection chronique, les articles utilisaient des expressions comme « une condamnation à mort » ou « une maladie mortelle ». Extrait d’un article du Irish Times : « Les gens se disent : je vais juste le faire une fois, mais ce risque pourrait être le dernier ». Ce genre de discours appuie la fausse notion qu’une personne diagnostiquée séropositive au VIH est condamnée à une vie espérance de vie fortement réduite et à sexualité conditionnée au seul usage du préservatif.

Sur 103 articles en dix ans, les chercheurs-ses n’ont trouvé que quatre références au Tasp et une seule à la Prep. Deux outils qui ont pourtant révolutionné la prévention du VIH et qui contribuent grandement à faire changer la perception du risque de transmission du VIH, mais qui étaient quasi invisibles dans la presse irlandaise au moment même où ils étaient déployés à l’échelle mondiale.

Cette étude souligne le rôle important que jouent les médias dans la propagation de représentations datées et stigmatisantes des personnes vivant avec le VIH et la nécessité de donner la parole aux personnes concernées et d’utiliser un vocabulaire adapté aux avancées biomédicales.

En France, l’association des journalistes LGBT+ (AJL) a conçu une page destinée à l’ensemble des journalistes : « VIH/sida, comment en parler ? » À ce sujet, la professeure Françoise Barré-Sinoussi, co-découvreuse du VIH a déclaré : « Les journalistes ont une grande responsabilité lorsqu’ils ou elles traitent d’une infection si particulière comme le VIH. L’information qu’ils ou elles donnent doit être juste et mesurée quant à l’avancement des connaissances scientifiques sur cette infection virale et les moyens de s’en protéger et/ou de la traiter ». À bon entendeur.

Commentaires

Portrait de Superpoussin

« Nous devons tous assumer les conséquences des choix que nous faisons », écrit un médecin dans un article. Comme si le fait de contracter le VIH était un choix…

Dans la phrase citée dans l'article, contrairement à ce que laisse supposer votre commentaire, le VIH n'est pas un choix mais une conséquence. Ici les choix sont les prises de risque citées juste 3 lignes avant dans votre article.

 

Dans les articles analysés, les personnes vivant avec le VIH étaient souvent désignées comme étant « malades »

Je ne vois pas de grande différence entre ces articles qui semblent vous offusquer et les discours propagés par les grandes associations VIH durant la même période, associations qui ont exploité à outrance la peur du VIH.

 

Par exemple, un article décrivait une femme vivant avec le VIH enceinte comme « ressemblant à n’importe quelle mère en bonne santé » avant d’ajouter qu’elle portait « un virus potentiellement mortel qui pourrait être transmis à son nouveau-né ».

N'était-ce pas AIDES qui à peu près à la même période avait financé des affiches où le fait de faire l'amour avec un séropositif était comparé avec le fait de le faire avec un scorpion?

Une autre tendance qui revenait souvent était le fait d’utiliser un vocabulaire daté des années 80/90 pour parler du VIH. Plutôt que de mettre en valeur les avancées thérapeutiques du Tasp...

Un peu comme il n'y a pas si longtemps le VIH-business de Solidays qui en était resté à la capote comme unique moyen de prévention.

Cette étude souligne le rôle important que jouent les médias dans la propagation de représentations datées et stigmatisantes des personnes vivant avec le VIH et la nécessité de donner la parole aux personnes concernées...

Oui mais ce sont bien les grosses associations VIH qui en 2008 et les années qui ont suivi qui ont pesé de tout leur poids médiatique pour qu'on ne parle pas du rapport Hirschel en France. Oui il faut donner la parole aux personnes concernées mais beaucoup moins à qui prétend les représenter.

la professeure Françoise Barré-Sinoussi, co-découvreuse du VIH a déclaré : « Les journalistes ont une grande responsabilité lorsqu’ils ou elles traitent d’une infection si particulière comme le VIH....

C'est sans doute votre copine mais de mémoire il y a moins de deux ans cette même Barré-Sinoussi sortait des propos contribuant à une peur excessive du VIH, et donc des séropositifs. Elle n'est pas ma copine, mais bon il faut dire que je suis une personne concernée...

Pourriez-vous être aussi sévères avec vous-même que vous semblez l'être envers ces médias?

Pour en revenir à la France j'en remercie les grands médias qui ont été les premiers à évoquer la non transmissibilité du VIH en cas de charge virale indétectable contrôlée, et c'est suite à ces mêmes médias que des associations comme AIDES ont été obligées d'en parler d'une façon moins confidentielle.