Les Réservoirs du VIH : un enjeu d’avenir majeur contre le virus et la maladie

Publié par Franck-seronet le 22.07.2010
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Transmission, complications, inflammation, séroconversion, sérodéconversion, activation, régulation, infection, transcription, intégration, variation, protection, intensification, éradication, réplication, primo-infection, compartimentalisation. Un séminaire sur les réservoirs, présidé par Françoise Barré-Sinoussi, pendant la conférence de Vienne.

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Le séminaire sur les réservoirs, présidé par Françoise Barré-Sinoussi, a établi ce fait que nous sommes probablement à un tournant de la lutte contre le VIH de ce point de vue. On connaît de mieux en mieux les réservoirs du VIH, ces endroits où le virus est à l’abri des traitements actuels, et surtout leurs implications dans le développement de la maladie à VIH. On en voit aussi de plus en plus les enjeux, qui sont énormes puisque cela va de la question de complications en augmentation avec le vieillissement  (l’inflammation, et par exemple les troubles neuro-cognitifs ou démences), aux questions de transmission puisque les organes génitaux ou la muqueuse intestinale sont deux  réservoirs anatomiques. Cela touche enfin l’espoir d’éradication du VIH de l’organisme, ou dit autrement le fait de pouvoir de se débarrasser totalement du virus. Nous savons désormais que cette situation est possible avec les résultats récents et confirmations venant  du "patient de Berlin", vu dans un article récent.

Qu’est-ce que les réservoirs ?

Il y a deux sortes de réservoirs du VIH, peu ou pas accessibles aux traitements actuels. Il y a des cellules (cells), comme certains T4 (que l’on appelle "latents"), les macrophages, les monocytes, cellules souches du sang, astrocytes (cellules du cerveau). Il y a aussi des compartiments anatomiques, appelés parfois "sanctuaires" : le cerveau (central nervous system), la muqueuse intestinale (gastro intestinal tract), des parties des organes génitaux (genital tract).

Leur rôle dans la maladie

Certains réservoirs comme l’intestin ont un rôle essentiel dans la persistance de la maladie à VIH.  Il y a une suractivation des cellules T4. Par ailleurs dès les tout débuts de l’infection la réplication du virus abîme cette muqueuse, la rend plus "poreuse" ce qui facilite le passage des microbes qui peuvent provoquer des infections supplémentaires et qui vont aussi activer encore plus le système immunitaire du corps, facilitant ainsi la multiplication du VIH. C’est un véritable cercle vicieux qui se met en place.  Il y a des parties de l’intestin (l’ileum, qui est au dessus du rectum) qui favorisent la réplication du VIH, et le nombre de T4 y est plus faible.

Une voie intéressante de la recherche : trouver des moyens de réparer cette paroi intestinale

Le rôle des réservoirs cellulaires est de garder l’ADN du VIH en mémoire dans des cellules qui vivent des années sans être activées. Le VIH, sous forme d’ADN, y est totalement à l’abri. Ces cellules relarguent régulièrement un peu de virus (sous forme d’ARN). C’est une des raisons majeures de réplication résiduelle persistante malgré des traitements hautement efficaces. Même pris pendant des années et des années, il y a toujours ce relargage qui permet au VIH de reprendre rapidement sa multiplication quand on arrête les traitements (c’est pourquoi ce n’est pas recommandé). Les premiers virus du tout début de l’infection sont comme archivés dans les cellules de l’intestin ou du cerveau et peuvent "ressortir" des années après. Il faudrait 70 ans de traitement anti VIH continu pour purger les réservoirs et se débarrasser du virus, ce qui n’est bien sûr pas une voie très réaliste.

On a essayé d’intensifier les traitements anti VIH, c’est à dire ajouter des médicaments spécifiques supplémentaires appartenant à certaines classes nouvelles, pour voir si on pouvait mieux agir, avec les médicaments actuels, sur les réservoirs et l’immunité.

Plusieurs médicaments ont été présentés. Le changement pour un régime contenant du raltégravir (Isentress) permet un gain de T4 appréciable en général, mais ne fait pas baisser encore plus la charge virale habituelle. Il faut savoir que désormais on dispose d’une technique de comptage de plus en plus fine. Ainsi la limite actuelle est de 0,2 copies/ml. Pour rappel, en routine, le seuil d’indétectabilité est de 50 copies/ml et en France beaucoup de bilans sanguins sont faits avec une limite de 20 copies/ml.

On a aussi essayé avec un anti-CCR5. Là encore le résultat n’a pas été totalement concluant. Le réservoir du VIH a semblé baisser chez certaines personnes, et il y aurait donc une action potentiellement intéressante dans certains cas, mais pour autant qu’on en sache aujourd’hui, l’intensification n’est pas la voie suffisante pour l’éradication du VIH du corps.

La recherche fondamentale s’intéresse à de multiples points de vue pour agir sur le VIH présent dans les réservoirs. On investigue donc des techniques que certains appellent du sabotage : il faut pouvoir activer ces cellules latentes pour les purger, certains facteurs chimiques peuvent réguler la transcrition entre ADN (virus "dormant", archivé) et ARN (virus VIH mature qui se reproduit), on peut imaginer créer des mutations létales de cellules, activer les provirus et provoquer un suicide de la cellule infectée par le VIH, etc.

Les complications actuelles, leurs relations avec les réservoirs

Une de nos principales préoccupations est ce qui se passe dans le cerveau avec les troubles neurologiques et cognitifs, en augmentation avec le temps qui passe.

Une présentation a bien montré que les astrocytes, ces cellules qui vivent en proximité des neurones et les aident à fonctionner, pouvaient être infectées, jusqu’à 1 astrocyte sur 5 (20 %). Ce sont des cellules très présentes dans le cerveau et qui sont essentielles à son bon fonctionnement. Une fois infectées, elles peuvent ne plus fonctionner normalement et ne plus remplir ce rôle de soutien aux neurones proches d’elles. Les astrocytes seraient par elles-mêmes des réservoirs dans la mesure où ce sont des cellules qui vivent normalement très longtemps et ne se régénèrent que peu.

Etant donné qu’un certain nombre d’antirétroviraux pénètrent mal dans le cerveau, qui est protégé par une sorte de barrière, on ne sait pas si même un traitement précoce permettrait d’empêcher l’infection des astrocytes. Il faudrait probablement qu’il contienne des antirétroviraux spécifiques. On ne sait pas non plus comment "purger" les astrocytes et il faut là encore que les recherches continuent car le sujet est d’importance !

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