Lesya Pagulich, combattante de droit humain

Publié par Mathieu Brancourt le 22.12.2012
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Lesya Pagulich est militante à plein temps. Engagée sur le front des droits des femmes, des homosexuels et des personnes séropositives en Ukraine, elle revient pour Seronet sur le contexte homophobe de son pays - un projet de loi anti-gay discuté au Parlement -, son parcours, mais aussi sur sa vision panoramique de la défense des minorités.

Lesya Pagulich, activiste féministe et homosexuelle en Ukraine

Elle est en retard. Lesya Pagulich s'assied discrètement au bout du cercle formé par les activistes LGBT ukrainiens, réunis au siège de l'organisation Gay Alliance, à Kiev. Seule femme présente, elle prend vite la parole et, avec aisance, fait converger ses combats féministes et pro-homosexuels. A 34 ans, cette militante lesbienne se bat aujourd'hui contre le projet de loi anti-gay discuté au Parlement. Son engagement n'est rien d'autre que ce qu'elle est : une femme debout contre l'homophobie et l'hétérosexisme ambiant. Révoltée, elle l'est. Pudique aussi. Si ses mots sont tranchants, la voix, elle, demeure douce et posée, comme pour ne jamais laisser transparaître l'âpreté d'une vie bien plus sombre que le sourire qu'elle offre sans compter.
 
Devenir activiste pour les droits de la communauté LGBT, ce fut un long processus pour Lesya. Dans un premier temps, il a fallu comprendre, saisir sa propre orientation sexuelle. "En réalisant que j'étais lesbienne, j'ai immédiatement perçu l'image négative que cela portait et toute l'homophobie qui existait à l'extérieur de moi". Un rejet qu'elle intériorise, face à un entourage qui ne réalise pas la violence subie par Lesya. "Très vite, tu veux te battre contre ça, tu veux une justice sociale pour les minorités et des droits". C’est le point de ralliement à de multiples causes, dont celles des homosexuels ukrainiens. Elle prend ainsi part à un groupe d’action féministe et devient travailleuse sociale au sein de All-Ukrainian Network, réseau de soutien et d'accès aux traitements pour les personnes vivant avec le VIH. Un large plaidoyer qu'elle assume au quotidien à Kiev. Pourtant, le silence reste de rigueur dans sa famille : "Je fais face à un déni complet. Mes sœurs ont été choquées quand elles ont appris que j'étais lesbienne. Aujourd'hui, elles sont les seules à savoir. C'est un autre combat, étape par étape", admet-elle.

La société ukrainienne reste extrêmement fermée à la question des droits des gays et lesbiennes. En 2011, près de 75 % de la population déclarait trouver normal que la communauté LGBT n'ait pas les mêmes droits que le reste de la population. Pour Lesya, l'ignorance de ce que vivent les personnes participe à ce climat anti-égalité. "Devant le manque de compréhension sur l'orientation sexuelle, nous avons besoin d'éduquer, d'informer et de réveiller les consciences. Montrer que nous ne sommes pas des monstres ni des menaces pour la sécurité. L'orientation sexuelle, ce n'est pas un choix, ni une perversion sexuelle", insiste-t-elle. C'est dans ce "fossé de silence" que s'engouffrent les initiatives homophobes, telles que la loi contre la "propagande homosexuelle". Dans le cadre d'une modification législative générale, pour le "droit de l'enfant à une information saine" (sic), cette disposition interdirait toute diffusion d'information ou de prévention sur la question de l'homosexualité. "Pour ses partisans, cette législation vient rappeler ce que disent les conservateurs des siècles passés. A savoir qu'il n'est pas normal d'être homosexuel, que l'on ne peut pas dire à ses enfants que quelqu'un est homosexuel, que cette déviance est un mal qui peut être guéri et qui doit donc être soigné", dénonce fatalement Lesya. Promouvoir la tolérance à l'école ? "Ça serait parfait ! Mais il est impossible de parler d'éducation sexuelle tout simplement. Et avec cette loi, aucune campagne de promotion de la tolérance ou de prévention ne serait plus possible", explique-elle calmement.

Travaillant directement auprès de personnes séropositives, l'activiste mesure le danger que représente ce projet de loi pour la santé des gays, particulièrement vulnérables à l'épidémie de VIH/sida. Cette loi n'interdira certes pas l'accès aux traitements pour les personnes concernées, mais Lesya dénonce, clairvoyante, l'impact social sur une communauté montrée du doigt : "C'est une influence indirecte. Quand vous poussez dans l'ombre un groupe précis de personnes, que vous l'invisibilisez en prétendant qu'il n'existe pas, en découle toujours une stigmatisation. C’est un rejet qui vous maintient dans la honte et dans le secret, mettant davantage d'obstacles aux services de santé. Dès lors, cela impacte directement la lutte contre le VIH/sida".

Lucide sur la menace qui pèse sur les personnes, Lesya Pagulich l'est également sur les communautés auxquelles elle appartient. A l'intérieur des groupes féministes, trop peu accueillent en leur sein des lesbiennes pour porter leurs revendications. Moins nombreuses que les gays, les lesbiennes sont pourtant aux avant-postes du plaidoyer public contre la loi. "Il existe une certaine séparation entre les gays et les lesbiennes. Sur les quarante organisations LGBT enregistrées, la plupart s'engagent sur la prévention du VIH ou des IST, et moins sur la lutte politique. Lors des manifestations de rue pour demander l'annulation de cette loi homophobe, la majorité des associations étaient féministes et ou lesbiennes, avec très peu de gays présents". Elle souhaite ainsi une plus grande solidarité inter-communautaire, pour briser les barrières à l'émergence d'une communauté unie dans toute sa diversité. Pour elle, féminisme et activisme pour les droits des homos vont de pair. "Je lie ces deux combats et je pense que cela devrait toujours être ainsi : parmi la communauté LGBT, il y a  évidemment les lesbiennes. Elles subissent la double discrimination : en tant que femme et sur leur orientation sexuelle. Les deux doivent être associées, combinées. Cela permettrait une plus grande mobilisation et plus de résonance au sein de la société", résume-t-elle, comme pour couper la chique à une vision partisane de sa lutte. "Cette bataille, c'est celle des droits humains", conclut-elle. Elle doit y aller, sans retard.
 

Les chiffres du VIH : L’Ukraine est un des pays d’Europe qui connaît l’une des pires situations en matière de VIH/sida. Le Fonds mondial de lutte contre le sida estime que 230 000 personnes vivent avec le VIH pour un pays qui compte 47 millions d’habitants. Le taux de prévalence est de 0,78 % chez les personnes entre 15 et 49 ans. L’épidémie est concentrée majoritairement chez les gays, les travailleurs et travailleuses du sexe, les personnes consommatrices de drogues par injection (elles sont estimées à 323 000) et les personnes en détention. 170 000 personnes ont besoin d’un traitement anti-VIH et 28 000 personnes en reçoivent un. Autrement dit, seuls 18 % des besoins sont couverts. Le plan national de lutte contre le sida est en permanence sous financé à hauteur de  50 % des besoins.