Licencié parce que séropositif, un Grec obtient gain de cause

Publié par jfl-seronet le 24.10.2013
8 911 lectures
Notez l'article : 
5
 
0
Droit et socialdiscrimination au travailsérophobie

Un employé grec, licencié à cause de sa séropositivité, a obtenu gain de cause (3 octobre) devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui a condamné Athènes pour discrimination.

En 2005, le requérant, alors âgé de 25 ans, avait été licencié par l'entreprise de fabrication de bijoux qui l'employait depuis quatre ans, après que 33 de ses collègues eurent demandé par écrit son renvoi à la direction, afin de "sauvegarder leur santé et leur droit au travail", rappelle l’AFP. La séropositivité du jeune homme était connue au sein de l'entreprise depuis quelques jours : il s'en était ouvert à trois collègues, qui en avaient aussitôt informé la direction et demandé son renvoi. "Un médecin du travail, invité par l'employeur, avait tenté de rassurer les employés en leur expliquant quelles étaient les précautions à prendre", mais en vain, selon le récit des événements livré par la Cour. Le requérant avait ensuite fait reconnaître par la justice le caractère illégal de ce licenciement, mais la Cour de cassation grecque l'avait finalement débouté en mars 2009, en estimant que son renvoi était nécessaire pour préserver une collaboration harmonieuse entre les employés (sic !). Autrement dit, la cohésion d’un groupe peut fonder sur la discrimination, c’est du moins l’avis de la justice grecque.

Un raisonnement invalidé

Les juges européens ont invalidé ce raisonnement : pour évaluer si le fonctionnement de l'entreprise pouvait être perturbé, la Cour de cassation n'aurait pas dû se fonder sur "la perception subjective et erronée qu'en avaient les employés", ont-ils estimé. Les hauts magistrats grecs ont fondé leur décision "sur une donnée manifestement inexacte, à savoir le caractère contagieux du requérant", a ajouté la Cour de Strasbourg, qui a condamné Athènes pour "discrimination fondée sur l'état de santé". Les autorités devront verser au jeune homme plus de 14 000 euros de dédommagement matériel et moral. Cet arrêt n'est pas définitif : les parties disposent de trois mois pour demander éventuellement un nouvel examen du dossier par l'instance suprême de la CEDH, la Grande Chambre, ce que la Cour n'est cependant pas tenue d'accepter.

Une analyse des décisions de justice grecques

Dans la jurisprudence européenne, une discrimination consiste à traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations analogues ou comparables. Dans son jugement, la Cour estime qu’en "comparant la situation du requérant à celle des autres employés, il est certain que le requérant a été traité de manière moins favorable qu’un autre de ses collègues l’aurait été en raison de sa séropositivité."

Pour la Cour européenne : "l’origine du problème réside dans l’attitude de rejet des collègues du requérant face à sa séropositivité. La cour d’appel a considéré que la menace de perturbation de l’entreprise était fondée sur des réactions scientifiquement injustifiées et que si la maladie d’un salarié n’avait pas d’effet défavorable sur la relation de travail ou le bon fonctionnement de l’entreprise, elle ne pouvait pas servir de justification objective pour la dénonciation du contrat. Elle a reconnu expressément que la séropositivité du requérant n’avait pas d’effet sur sa capacité à exécuter son travail ni ne laissait présager une incidence défavorable sur son contrat qui eût justifié la dénonciation de celui-ci. L’existence même de l’entreprise n’était pas menacée par les pressions exercées par les salariés. Le préjugé des salariés ne saurait être invoqué comme prétexte pour mettre fin au contrat d’un employé séropositif. Le besoin de protéger les intérêts de l’employeur doit faire l’objet d’une mise en balance minutieuse avec le besoin de protéger les intérêts de l’employé, qui est la partie la plus faible au contrat, d’autant plus lorsque l’employé est séropositif."

Et la CEDH de développer : "En revanche, la Cour de cassation [dernière instance grecque à s’être prononcée, ndlr] n’a pas procédé à une mise en balance de tous les intérêts en jeu d’une manière aussi circonstanciée et approfondie que l’avait fait la Cour d’appel. Si la Cour de cassation n’a pas contesté non plus le fait que l’infection du requérant n’avait pas d’effet préjudiciable sur l’exécution de son contrat de travail, elle a cependant fondé sa décision sur une donnée manifestement inexacte, à savoir le caractère contagieux du requérant. Ce faisant, la Cour de cassation a attribué au bon fonctionnement de l’entreprise une signification et un sens que souhaitaient lui attribuer les salariés, identifiant la définition de ce bon fonctionnement de l’entreprise à la perception subjective et erronée qu’en avaient les employés. La Cour considère que la Cour de cassation n’a pas suffisamment exposé en quoi les intérêts de l’employeur l’emportaient sur ceux du requérant et n’a pas suffisamment mis en balance les droits des deux parties". En conséquence, pour la justice européenne : "Le requérant a été victime d’une discrimination fondée sur son état de santé, au mépris de l’article 8 combiné avec l’article 14" d’où la condamnation.