L'inaptitude au travail : on en fait quoi ?

Publié par Emy-seronet le 21.03.2011
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Aujourd'hui, les salariés français souffrant de problèmes de santé, victimes d'un accident du travail, ou atteints d'une maladie professionnelle, sont protégés par loi. Ils ont des droits, des recours pour continuer à percevoir une rémunération ou accéder à un poste adapté. Cela pourrait changer si la proposition de loi relative à la médecine du travail adoptée le 27 janvier 2011 par le Sénat est confirmée par l'Assemblée Nationale...
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Lors d'une visite chez le médecin du travail, y compris si cette visite a lieu à la demande du salarié (après un congé maternité, après un arrêt maladie ou après une autre absence), celui-ci peut être déclaré inapte au poste pour lequel il a été embauché. Selon le code de santé publique, la seule personne habilitée avec l’accord du salarié à déclarer cette inaptitude est le médecin du travail, qui doit effectuer 2 visites à 15 jours d’intervalle. Il peut aussi consulter le médecin inspecteur régional, ce qui est rarement fait. "si le maintien du salarié entraîne un danger immédiat pour la santé ou la sécurité de l'intéressé ou celles de tiers" (Ministère du travail, de l'emploi et de la santé) une seule visite est faite.

Les salariés déclarés "inaptes" sont protégés : rappel
Comme le rappelle le Ministère du travail, "l'inaptitude ne peut justifier un licenciement. Aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de son état de santé ou de son handicap." Mutation, transformation du poste de travail, aménagement du temps de travail... L'employeur a un mois pour rechercher dans l'entreprise, ou dans le groupe auquel elle appartient, un poste adapté aux capacités du salarié, si ce dernier est en contrat à durée indéterminée. Pour les contrats à durée déterminée, l’employeur est tenu de payer le salarié jusqu’à la fin de son contrat de travail. L'employeur doit prendre en compte les conclusions du médecin du travail et les nouvelles tâches du salarié doivent être le plus proche possible de celles qui composaient son emploi précédent. A cette occasion, l’employeur doit consulter les délégués du personnel s’il y en a. De son côté, le médecin du travail doit proposer au salarié une formation qui le préparera à son nouveau poste. Le contrat de travail peut être suspendu pour lui permettre de suivre ce stage de reclassement professionnel si besoin via une reconnaissance du statut de travailleur Handicapé. Le salarié est alors rémunéré à hauteur de 90% de son ancien salaire.
Si le salarié n’est ni reclassé ni licencié un mois après la déclaration d'inaptitude, l'employeur est tenu de reprendre le versement de son salaire. Si l’employeur est dans l’incapacité de proposer un reclassement, il doit l’attester par écrit et justifier cette impossibilité auprès du salarié.

Nouvelles mesures, condamnations : c'était pourtant bien parti
La protection des salariés aux capacités diminuées semblait en très net progrès. En 2008, la Cour de cassation a décidé que l'employeur devait procéder à la recherche d'un poste adapté même si le salarié à été déclaré "inapte à tout emploi dans l'entreprise". Un arrêt du 30 novembre 2010 a condamné le licenciement d'un maçon qui avait refusé une proposition de reclassement adapté ; un poste de manutentionnaire "à temps partiel, trois heures par jour maximum, sans contrainte physique, en poste semi-assis ou semi-debout", conformément aux recommandations de son médecin de travail.
Motif de la condamnation : avant de licencier ce salarié, l'employeur aurait dû prouver qu'il ne disposait d'aucun autre poste compatible avec l'inaptitude du salarié et établir, par écrit, les motifs qui s'opposaient à son reclassement. Par ailleurs, la Cour a considéré que ce salarié était en droit de refuser ce poste car il, entraînait, entre autres, une "modification du contrat de travail avec passage d'un temps plein à un temps partiel." Paiement d'indemnités spéciales de rupture d'au moins un an de salaire en sus des indemnités de licenciement "classiques" : ce jugement a fait date. Aujourd'hui, la situation pourrait s'inverser...

Les médecins du travail bientôt sélectionneurs ?
La réforme de la médecine du travail qui se prépare privilégierait en effet la sélection à la protection des salariés. Approuvé par le Sénat en première lecture le 27 janvier dernier, ce texte est, à première vue, favorable aux travailleurs vulnérables. Cependant, il diminue les missions des médecins du travail, il prévoit la création d'équipes pluridisciplinaires patronales (l’employeur pourra choisir des salariés et les "former" en santé et sécurité au travail), et ouvre la possibilité de recruter des médecins non spécialisés et des internes pour faire face au manque d'effectif. Dans le détail, c'est l'accès à l'emploi et le maintien dans l'emploi des personnes souffrantes et handicapées – donc jugées moins productives – qui est menacé, comme le dénoncent certaines associations.
"Avec cette réforme, une nouvelle mission de "conseil aux employeurs sur la diminution des risques" est confiée aux services de santé du travail," expliquent Catherine Collombet et Sylvie Touzet, militantes PS spécialistes de la question dans un récent article. "Or, l'optique de l'employeur sur la diminution des risques n'est pas forcément celle du primat de la protection des salariés : l'employeur est porté à faire des arbitrages entre les risques qu'il supporte en termes de responsabilité et le coût des mesures de prévention. Et, si la proposition de loi prévoit désormais que les services interentreprises soient administrés par un conseil composé à parité de représentants des entreprises et des salariés, les employeurs conserveraient une présidence avec voix prépondérante et donc une majorité effective." Dans une société où le souci de rentabilité laisse peu de place à l'humain, la fonction de "sélectionneur" des médecins du travail pourrait donc gagner des libertés et en faire perdre aux travailleurs. Gardiens de la vie ou futurs flics de la performance, l'Assemblée Nationale réfléchit.