État d’urgence sanitaire et droit des étrangers-ères

Publié par jfl-seronet le 20.03.2020
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Politiqueétat d’urgence sanitaire

Un projet de loi d'urgence sanitaire a été présenté en Conseil des ministres le 18 mars, puis examiné et voté par le Sénat le 19 mars. Il doit être voté vendredi 20 mars par l'Assemblée nationale. Le texte comporte diverses mesures dont la prolongation des titres de séjour. Sur ce sujet, plusieurs ONG ont fait des propositions à l'exécutif. De son côté, l'ODSE (Observatoire du droit à la santé des étrangers) a travaillé à des pistes d'amélioration des dispositifs actuels concernant les personnes étrangères, notamment celles qui sont malades.

L'état d'urgence sanitaire « donne pouvoir au Premier ministre de prendre par décret, pris sur le rapport du ministre chargé de la Santé, les mesures générales limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion et permettant de procéder aux réquisitions de tous biens et services nécessaires afin de lutter contre la catastrophe sanitaire. Ces mesures sont proportionnées aux risques encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu, et il est mis fin sans délai aux mesures (…) dès lors qu’elles ne sont plus nécessaires. » Par ailleurs le projet de loi d'urgence prévoit aussi la possibilité pour le gouvernement de prolonger par ordonnance, pour une durée de six mois, la validité des titres de séjour des personnes étrangères en situation régulière. Sont concernés les « visas de long séjour, titres de séjour, autorisations provisoires de séjour, récépissés de demande de titre de séjour » ainsi que les « attestations de demande d’asile qui ont expiré entre le 16 mars et le 15 mai 2020 ».

À l'occasion de l'examen de ce projet de loi d'urgence sanitaire, des organisations non gouvernementales, AIDES et la Cimade, ont fait des propositions d'amendements. Les deux structures ont souhaité attirer l'attention des parlementaires sur les droits aux séjours et à la protection maladie des personnes étrangères les plus précaires dans le contexte de l'épidémie du virus Covid-19.

Concernant le droit au séjour des personnes étrangères, les deux ONG se réjouissent de la proposition du gouvernement de prolonger pour un maximum de 180 jours les documents de séjour échus entre le 16 mars et le 15 mai 2020. Pour autant, pour une pleine effectivité à cette mesure, la Cimade et AIDES proposent de l'étendre aux documents échus avant le 16 mars et qui n'ont pu être renouvelés en dépit des diligences menées en ce sens par leurs titulaires et de « prévoir une autorisation provisoire de séjour pour les personnes qui devaient déposer une première demande de titre de séjour dans la période, en particulier pour les jeunes majeurs-es ». Les deux associations notent qu'il est fréquent que des personnes étrangères ne soient pas en mesure d'accéder au renouvellement d'un titre, d'une attestation ou d'un récépissé en dépit de leurs tentatives, et ce du fait de l'insuffisante capacité de réception du public par les services "Étrangers" de certaines préfectures.

À titre d'exemple, un rendez-vous pour un renouvellement de titre de séjour est proposé dans un délai supérieur à deux mois dans plus de 75 % des cas à la préfecture de Bobigny (Seine-Saint-Denis) et dans plus de 80 % à la préfecture de Lyon (Rhône). Par ailleurs, de nombreuses personnes qui devaient déposer une première demande de titre de séjour ou qui ont envoyé cette demande par courrier ne pourront pas obtenir de récépissé pendant une durée inconnue, indiquent les associations. Il est donc nécessaire de leur délivrer un document provisoire leur permettant de se maintenir légalement sur le territoire. Il est également nécessaire de prendre en considération la situation des jeunes majeurs-es qui accèdent à la majorité sans pouvoir demander un titre de séjour, ou qui vont fêter leur dix-neuvième anniversaire sans avoir pu déposer une demande de titre de séjour alors que la loi les y oblige. Elles ont donc fait des propositions en ce sens.

Autre domaine abordé, celui de la « protection maladie des personnes étrangères ». La Cimade et AIDES ont invité à suivre la même logique et à proposer des mesures visant à prolonger automatiquement les droits sociaux des personnes les plus précaires, notamment étrangères, et en particulier leur droit à une couverture maladie.

Dans le cadre du débat parlementaire en cours, des associations, réunies dans le cadre de l'Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE), auxquelles se joignent France Assos Santé et Uniopss (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux), ont réfléchi à des propositions d'amélioration du futur texte de loi. Elles ont travaillé sur la « protection maladie, la demande de prolongation automatique des droits pour les personnes précaires et les ressortissants-es étrangers-ères ». « Les mesures de confinements liées à l’épidémie du virus Covid-19 imposent urgemment de simplifier des démarches d’ouverture et de renouvellement des droits à la protection maladie », estiment les ONG dans leurs réflexions. En effet, il s'agit de ne pas ajouter la fragilisation des personnes et de leurs droits, dans un contexte sanitaire que chacun-e connaît. Les membres de l'ODSE (1) expliquent ainsi : « Nous ne savons pas à ce jour si les services de l'État ou si les caisses gestionnaires travaillent sur un dispositif aménagé de suivi et gestion des droits, mais nous tenons à alerter sur les conséquences néfastes qu’aurait la baisse de capacité de traitement des dossiers par les organismes sociaux ». Les dispositifs « complémentaire-santé solidaire » et « aide médicale d’État » (AME) sont deux dispositifs de protection maladie à destination des personnes à faibles ressources. Ces prestations sont ouvertes par tranche d’un an renouvelable, ce délai étant imposé par le contrôle annuel des ressources du bénéficiaire et de ses membres de famille, comme le rappelaient aussi la Cimade et AIDES dans leur interpellation des parlementaires.

Dans le contexte actuel, les trois collectifs préconisent de « prendre une mesure généralisée de simplification des démarches ». Par exemple, pour les bénéficiaires ayant des droits ouverts au 1er mars 2020, la demande est faite d' une « prolongation automatique de quatre mois ». Les prestations concernées sont : Assurance maladie (tout régime), exonération de ticket modérateur, CSS (complémentaire santé solidaire), AME. Une des solutions est de « prendre une mesure généralisée de prolongation automatique des droits ouverts au 1er mars 2020, de sorte que les droits soient maintenus pour toutes et tous jusqu’au 30 juin 2020 nonobstant d’éventuelles variations des ressources des bénéficiaires durant cette période, et ce sans aucune démarche individuelle ».

Une autre piste concerne les « personnes ayant une demande en cours d’instruction (première demande et renouvellement) ». « Il importe que le traitement des demandes en cours soit assuré rapidement afin de ne pas impacter la solvabilité des personnes concernées ayant besoin de soins », indiquent les collectifs. Par ailleurs, pour les personnes bénéficiaires potentielles, recommandation est faite d'une « simplification des pièces à fournir » et l'adoption d'un « mécanisme de présomption des droits ». Les personnes entrant dans le système se trouvent dans des situations variées, soit en première demande d’assurance maladie (avec éventuelle complémentaire santé solidaire), soit en AME. Il peut s’agir de Français-es revenant de l’étranger (transfert de résidence), d’étrangers-ères nouvellement admis-es au séjour en France, de demandeurs-ses d’asile dument enregistrés-es en Spada (structure de premier accueil des demandeurs-ses d’asile), d’étrangers-ères démunis-es en séjour irrégulier. Les collectifs préconisent donc la mise en place d'un « mécanisme simplifié de dépose des demandes et de « présomption des droits », valable pour une période temporaire de trois mois, sur déclaration par le-la requérant-e de son identité, de sa résidence en France et de ses ressources. Un tel mécanisme est d’ailleurs prévu par le Code de la sécurité sociale pour le rattachement à l’Assurance maladie sur critère de résidence stable et régulière en France (1er alinéa de l’article L160-5). La délivrance par les caisses gestionnaires d’une attestation papier d’ouverture provisoire des droits valable trois mois, adressée au bénéficiaire, pourrait être assortie d’une demande de régularisation de la situation par la production des justificatifs nécessaires. Une telle mesure nécessiterait de retarder la publication du décret mettant en place la nouvelle obligation de présentation en personne au guichet de la caisse pour toute première demande d’AME, rappellent les ONG.

Ces dernières ont aussi pensé à d'autres pistes comme « le principe de rétroactivité à compter du 16 mars 2020 pour toute demande de protection maladie déposée jusqu’au 16 juillet 2020 » ou la « prise en compte des titres de séjour automatiquement prolongés par le ministère de l’Intérieur » et la suppression du « projet de réduction de la durée de maintien des droits à l’Assurance maladie » en cas de prononcement d’une mesure d’éloignement (d’un-e ressortissant-e étranger-ère).

(1) : Act Up Paris, Act Up Sud-Ouest, AFVS (Association des familles victimes du saturnisme), AGS (Alliance pour une gestion solidaire), AIDES, Arcat, La Case de santé (Toulouse), Catred (Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits), Centre Primo Levi, Cimade, Comede, CoMeGas, Créteil-Solidarité, Dom’Asile, Droits d'urgence, Fasti, FTCR (Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives), Gaia Paris, Gisti, Ligue des droits de l'Homme, Médecins du monde, Médecins sans frontières, Migrations Santé Alsace, Planning familial, Mrap Réseau Louis Guilloux, Sida Info Serice, Solidarité Sida, SOS Hépatites.