Loi Immigration : sans états d’AME !

Publié par jfl-seronet le 08.04.2023
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Le 28 mars, le Sénat devait examiner en séance publique le projet de loi « Contrôler l’immigration et améliorer l’intégration » ; un texte de plus sur (contre ?) l’immigration. Le gouvernement, traumatisé par l’épisode de la réforme des retraites, a décidé de son report sine die. En commission des lois, la majorité sénatoriale a néanmoins radicalisé le texte, pourtant déjà décrié pour sa dureté. Une fois encore sont ciblées l’AME (aide médicale d’État) et le titre de séjour pour soins.

Immigration : la peur fait la loi

Suspens ! Il est possible que le projet de loi sur l’immigration, porté par les ministres Gérald Darmanin (Intérieur) et Olivier Dussopt (Travail), soit une des victimes collatérales de la séquence sur la réforme des retraites… qui n’en finit pas de laisser des traces. Le texte a, en effet, été reporté sine die. Lors de son intervention télévisée sur les retraites (22 mars), le président Emmanuel Macron a annoncé que ce projet de loi serait « découpé » en « textes plus courts » qui seront examinés « dans les prochaines semaines » par le Parlement. « Il y aura bien une loi immigration. Il y aura sans doute plusieurs textes immigration et ils arriveront dans les prochaines semaines. Nous n’avons pas le droit dans notre pays à l’arrêt et à l’immobilisme », a commenté le chef de l’État sur TF1 et France 2. Interrogé par l’AFP, un conseiller de l’exécutif a précisé la stratégie du gouvernement et de la majorité présidentielle : un « projet de loi plus court et plusieurs propositions de loi », à savoir des textes déposés à l’initiative de parlementaires.

Avec cet éniéme texte de loi visant à « contrôler l’immigration et améliorer l’intégration », présenté, le 1er février, en Conseil des ministres, le gouvernement avait deux objectifs principaux. Il entendait « simplifier » (mais dans l’idée, c’était limiter) le nombre de recours contentieux possibles concernant les obligations à quitter le territoire français (OQTF). Il existe actuellement douze possibilités de contester une OQTF, elles passeraient avec le nouveau texte à quatre. Il comptait, par ailleurs, rétablir la « double peine », selon les mots mêmes du ministre de l’Intérieur. L’idée est de créer un régime juridique qui permettrait d’expulser du territoire français une personne étrangère condamnée, même si elle est en situation régulière. Autre piste évoquée : « Réduire le champ de protection » contre l’expulsion dont bénéficient certaines personnes immigrées — par exemple, celles qui sont arrivées en France avant l’âge de 13 ans, ou celles qui y résident depuis plus de dix ans. Cette mesure s’appliquerait en cas de menace grave à l’ordre public. Il est probable que ces objectifs demeurent dans les futurs textes mis en débat. Sur le volet « contrôle de l’immigration », la « philosophie » de l’exécutif est le prolongement de celle qui prévalait avec la réforme de l’asile de 2018, conduite, lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérard Collomb. Autrement dit : examiner plus vite les demandes, limiter les recours et expulser plus rapidement.

Renforcement des contraintes et pertes de droits

Le gouvernement avait choisi d’atténuer (un peu) le côté teigneux du texte avec un volet : « Améliorer l’intégration ». Ainsi, le projet envisageait de créer un nouveau titre de séjour d’un an pour les personnes travailleuses sans papiers exerçant dans des métiers et secteurs dits en « tension » — qui ont besoin de main d’œuvre. C’était la partie du texte portée par Olivier Dussopt. Aujourd’hui, ces régularisations au motif du travail sont possibles dans le respect des critères, stricts, fixés par la circulaire Valls de 2012 et sur demande de l’employeur-se. Les régularisations par le travail (admission exceptionnelle au séjour) sont délivrées à la dsicrétion du préfet ou de la préfète et ne sont pas de droit. La personne dépose une demande, avec un ensemble de picèes à fournir, dont le dossier de demande d’autorisation de travail soumis par l’employeur-euse. La mesure envisagée dans le projet gouvernemental était très mal accueillie chez les parlementaires de droite qui y voyaient un « appel d’air » ; parlementaires dont la majorité présidentielle a absolument besoin pour faire adopter ses textes (comme on l’a vu avec la réforme des retraites). C’est ce risque de manque de soutien au projet de loi qui vient de créer ce changement de pied subite du gouvernement sur cette loi. Reste que les travaux parlementaires avaient déjà commencé. Mi-mars, la commission des lois du Sénat a examiné le projet. À cette occasion, une série d’amendements a été adoptée qui vont tous vers un renforcement des contraintes et des pertes de droits, comme, par exemple, le durcissement des conditions d’accès au regroupement familial (niveau de langue, durée de séjour, conditions de ressources, etc.). « La commission des lois [du Sénat, ndlr] a déploré le manque d’ambition du texte du gouvernement et ses nombreux angles morts. Elle a entrepris de muscler les quelques dispositions allant dans le bon sens, de supprimer celles relevant d’une pure logique d’affichage et, surtout, de combler les manques du projet de loi », a résumé, dans un communiqué, la commission sénatoriale. En filigrane, il faut comprendre la stratégie du Sénat : « gommer » un certain nombre de supposés « facteurs d’attractivité » de la France. C’est ce qu’a expliqué la sénatrice (LR), Muriel Jourda, rapportrice du projet de loi.

Étranger-ère malade : la cible

Ce n’est pas tout. La majorité sénatoriale (à droite) a également durci les conditions pour bénéficier du titre de séjour « étranger malade ». L’amendement de la sénatrice Muriel Jourda — qui a été adopté — fait dépendre le bénéfice d’un titre de séjour pour soins à la disponibilité du traitement dans le pays d’origine plutôt qu’à son accessibilité effective. « En matière d’antirétroviraux (pour ne citer que ce seul exemple), la disponibilité d’un traitement dans un pays ne va pas de pair avec son accessibilité. Les ruptures de stocks, l'irrégularité de la distribution, les difficultés de planification des ARV de première ligne et d'accès aux antirétroviraux de seconde ligne s'agissant du VIH, l'absence d'outils virologiques de suivi de l'efficacité du traitement, doivent être pris en compte », explique ainsi l’annexe II de l’arrêté du 5 janvier 2017, du ministère des Affaires sociales et de la Santé. L’amendement, sciemment voté, ne le permet pas.

De plus, les sénateurs-rices ont donné leur feu vert à un amendement pour transformer l’aide médicale d’État (AME), réservée aux personnes sans titre de séjour, en une aide médicale d’urgence exclusivement (AMU). Une vieille exigence de la droite et de l’extrême droite qui est faite régulièrement à l’occasion des projets de loi de finances comme sur les textes sur l’immigration, quand elle ne fait pas tout bonnement partie des promesses des programmes présidentiels (droite, extrême droite).

Rétabli aussi le droit de timbre de 30 € qui avait été mis en œuvre sous Nicolas Sarkozy puis abandonné sous François Hollande, il y a plus de dix ans… parce que cela ne marche pas et que cela occasionne plus de dépenses que d’économies ; sans parler des problèmes d’accès des personnes concernées. À droite, on considère toujours que l’AME serait un « appel d’air » à l’immigration, notamment irrégulière. Pourtant, les données officielles battent en brêche le prétendu tourisme médical que l’AME serait censée provoquer. L’adoption de ces mesures signe la volonté de la droite sénatoriale de faire de la surrenchère sur le texte. On reste évidemment dans l’esprit de la vision d’Éric Ciotti, le patron des Républicains (premier groupe au Sénat), qui présente l’immigration comme « une menace majeure pour notre pays ».

Et ce n’est pas tout…

D’autres mesures ont été retenues par la majorité sénatoriale. Deux amendements constituent une atteinte au secret médical. Ils visent à permettre au-à la juge administratif-ve de demander la levée du secret aux médecins de l’Office français de l’Immigration et de l’intégration (OFII). Ce sont, eux-elles, qui statuent sur la délivrance d’un titre de séjour pour raison de santé depuis la réforme Besson. Le droit des patients-es au secret médical s’impose pourtant aux médecins (article 4 Code de déontologie médicale, article R.4127-4 Code de la santé publique) et à tous-tes les professionnels-les (article L.1110-4 Code de la santé publique). Il protège leur droit à ne pas voir divulguer les informations qui concernent leur état de santé. Le Sénat entend y déroger. Chez une partie de la société civile, on estime que « restreindre ce droit fondamental pour une population ciblée, c’est porter une atteinte aux libertés fondamentales de tous ». Était aussi prévue la suppression de l’accès à la protection universelle maladie (PUMa) pour les personnes demandeuses d’asile ; un amendement de la sénatrice (LR) Valérie Boyer. IL n’a finalement pas été retenu en commission. Les personnes qui arrivent en France pour demander l’asile ont souvent connu des parcours traumatisants, que ce soit dans leurs pays d’origine ou dans certains pays de transit. Lors de leur arrivée, une prise en charge immédiate en matière de santé peut être nécessaire y compris pour soigner des souffrances psychiques. Déjà fin 2019, un délai de carence de trois mois a été imposé aux personnes demandeuses d’asile avant d’avoir accès à la protection universelle maladie (Loi Collomb). L’amendement propose la suppression pure et simple de l’affiliation à la PUMa. Certains parlementaires en viennent ainsi à considérer normal de laisser sciemment la santé des personnes se dégrader avant de les prendre en charge à des stades aggravées aux urgences. La réalité des personnes demandeuses d’asile vient pourtant justifier un accès immédiat à ce dispositif.

Indigne !

Outre les formations politiques de gauche, cette vision punitive s’appliquant à la santé des personnes étrangères n’est évidemment pas partagée par une partie importante de la société civile, notamment celle qui est engagée dans le champ de la défense de droits des étrangers-ères (ce qui est logique), mais aussi dans le champ de la santé. Ainsi France Assos Santé (FAS, collectif dont AIDES est membre) a vivement critiqué (20 mars) la décision des sénateurs-rices de « mettre en péril l’accès aux soins des étrangers malades », parlant même d’une mesure « indigne ».

« Non seulement les sénateurs restreignent la possibilité de séjour pour des personnes gravement malades qui n’ont pas un accès effectif aux traitements dans leur pays, mais ils reviennent sur leur obsession de supprimer l’aide médicale d’État (AME), pour en faire une aide médicale d’urgence, sous conditions strictes », dénonce un communiqué de FAS. Le collectif a d’ailleurs demandé « la suppression de ces dispositions, contraires aux principes d’humanité et de solidarité et aux impératifs de santé publique ».

« Laisser sciemment la santé des personnes se dégrader avant de les prendre en charge à des stades aggravés aux urgences. Voilà le sens de votre amendement », a réagi, avec colère, Médecins du Monde, en interpellant l’autrice de l’amendement : la sénatrice LR Françoise Dumont. « C’est une vieille lune qui a déjà été portée par la droite française de nombreuses fois. Je n’ai pas d’avis gouvernemental à vous donner puisque c’est un amendement sénatorial adopté sans avis du gouvernement car [il] n’est pas présent en commission. Donc, je vais vous donner le mien, je suis contre. Je suis contre parce que la non-assistance à personne en danger ne fait pas partie de l’ADN de notre nation et encore moins des blouses blanches», a commenté Olivier Véran, porte-parole du gouvernement (17 mars) lors d’une interview sur France Inter.

Initialement, le gouvernement avait prévu un vote du Sénat sur le projet de loi le 4 avril, puis un passage à l’Assemblée nationale autour de l’été. C’est ce calendrier qui se trouve aujourd’hui remis en cause, à la suite de l’annonce d’Emmanuel Macron. Reste que plane encore et toujours une potentielle remise en cause des droits à la santé des personnes étrangères sans titres de séjour valides. Sans état d’AME !

La Cimade demande le retrait définitif du texte
Dans un communiqué de presse publié (22 mars) suite aux annonces du président Macron, la Cimade demande « l’abandon pur et simple du projet de loi asile et immigration ». « Dans la crise sociale, politique et démocratique que nous traversons, notre société a plus que jamais besoin de solidarité, de cohésion, de justice ; certainement pas de davantage de répression et de stigmatisation des personnes exilées, à travers un projet de loi qui était porteur de graves atteintes aux droits. En ce sens, la Cimade demande à ce que ce projet de loi soit définitivement abandonné. Et que, contrairement à ce que laisse penser la déclaration du président de la République évoquant « plusieurs textes » à venir en substitution, ses dispositions répressives ne soient pas réintroduites de manière détournée à travers d’autres véhicules [législatifs, ndlr] ». Pour la Cimade : « Cette annonce de retrait du texte sous sa forme actuelle doit avant tout permettre aujourd’hui de reposer les bases du débat public et politique sur les enjeux migratoires, qui doit être envisagé non plus sous l’angle de la menace et de l’alimentation des peurs, mais à l’aune de l’accueil et de l’hospitalité, dans un monde où les migrations vont continuer à occuper une place grandissante (…) Plus que jamais, la Cimade continuera à se mobiliser en ce sens, pour la régularisation de toutes les personnes sans-papiers, un accueil digne et sûr à nos frontières, un droit d’asile véritablement protecteur, la fermeture des lieux de privation de liberté spécifiques aux personnes étrangères ou encore la suppression de la double peine.

 

Tout savoir sur la future loi
Pour celles et ceux qui souhaitent suivre de près la genèse de la nouvelle réforme du gouvernement sur asile et immigration, on vous recommande de suivre la rubrique mise en place par le Gisti. On y trouve les différentes versions du texte qui ont circulé depuis l’été 2022, ainsi qu’une liste non exhaustive d’articles de presse, etc. Mise à jour au fil de l’actualité, cette page sera complétée au fil de l’eau avec des avis d’autorités indépendantes, mais aussi des communiqués et analyses d’organisations militantes. À suivre.