Loi Santé 2015 : beaucoup d’avancées et des échecs

Publié par jfl-seronet le 22.12.2015
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Droit et socialLoi santé 2015

L’Assemblée nationale a adopté définitivement le 17 décembre 2015, par un ultime vote, le projet de loi Santé. De son vrai nom : "projet de loi de modernisation de notre système de santé", ce texte est complexe et ambitieux. Il se propose d’organiser, en l’améliorant, le système de santé pour les dix à quinze ans qui viennent. La nouvelle loi comporte de nombreuses avancées… Mais il y a aussi des échecs.

Le texte du gouvernement couvre de très grands domaines comme la prévention, l’accès aux soins, les maladies chroniques, l’innovation médicale. A l’occasion des quatorze mois de travail et de débats qu’a connus le texte, les associations, dont AIDES, ont défendu nombres d’amendements pour améliorer la loi. L’objectif pour AIDES était de s’assurer que la future loi soit utile à la lutte contre le sida et les hépatites virales, et de parer aux mesures qui représenteraient des reculs en matière de prévention, d’accès aux soins, de prise en charge. Ce travail a été mené, seule sur certains sujets, le plus souvent en collaboration avec des collectifs, des associations comme le Ciss, le TRT-5, Médecins du Monde, etc., partageant les vues de AIDES et les valeurs que l’association entendait défendre lors des débats. Passage en revue des avancées, des demi-succès et des échecs.

D’importantes avancées sur la RdR

La nouvelle loi permet de belles avancées en matière de réduction des risques (RdR). L’article 8 de la loi propose une définition rénovée de la politique de réduction des risques et des outils de mise en œuvre. On trouve notamment la reconnaissance de l’accompagnement et de l’éducation à la consommation (Aerli), la reconnaissance des produits de santé participant à la RdR (on peut citer la naloxone) Il y a aussi la sécurisation juridique des acteurs de la RdR dans le cadre de leurs actions. Enfin, l'expérimentation des salles de consommation à moindre risque (SCMR) a été adoptée pour six ans. Ces SCMR seront gérées par les professionnels des centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques chez les usagers de drogue (Caarud) où est autorisée la consommation de drogues sous la supervision d'une équipe pluridisciplinaire. Paris et Strasbourg devraient être les premières villes à expérimenter pendant six ans ces salles, destinées à accueillir des usagers de drogues marginalisés, afin d’éviter la propagation du VIH ou de l’hépatite. Au ministère de la Santé, on assure que les choses peuvent "aller très vite" une fois la loi votée. Ces salles pourraient être autorisées à ouvrir leurs portes dès la fin du mois de mars 2016, indique "Le Monde" (17 décembre).

Le tiers payant généralisé adopté

Cette mesure phare du texte du gouvernement a focalisé la polémique, notamment avec les syndicats de médecins libéraux qui ont conduit de nombreuses grèves. La mesure reste très controversée. L’article 18 qui instaure, par étapes, la généralisation du tiers payant, a bien été adopté. La généralisation du tiers payant permettra au patient à partir du 30 novembre 2017 de ne plus avancer les frais de consultation.

Cela se fera par étapes...
- 1er juillet 2016 : les professionnels de santé en ville pourront dispenser d'avance de frais les patients pris en charge à 100 % par l'Assurance maladie (maladies de longue durée, femmes enceintes) ;
- 1er janvier 2017 : le tiers payant pourra être appliqué sur la base du volontariat à tous les assurés.
- 30 novembre 2017 : le tiers payant sera un droit pour les assurés. Aucune sanction n'est fixée pour les professionnels de santé récalcitrants.
Le paiement de la part prise en charge par l'Assurance maladie est garanti au professionnel de santé, dans un délai maximum qui devrait être de sept jours.

Démocratie sanitaire et projets de santé… des avancées aussi

La nouvelle loi crée (article 1) une Union nationale représentative des associations d’usagers du système de santé. Ce même article donne une définition de politique de santé, de ses objectifs dont l’un est la réduction des inégalités sociales de santé. On note aussi des avancées concernant les projets régionaux de santé (article 38) qui doivent beaucoup au Ciss. Toujours concernant la démocratie sanitaire, l’article 43B fait un premier pas vers un statut de représentant d’usager (droit à la formation, indemnisation…).

Santé des femmes

Les mesures concernant la santé des femmes sont passées sans difficultés, dès la première lecture, rappelle "Le Figaro" (17 décembre). La pilule du lendemain pourra être délivrée directement par les infirmières scolaires sans consentement préalable des parents, ni consultation d'un médecin. Par ailleurs, si une femme souhaite avorter, il ne sera plus nécessaire d’attendre un délai de réflexion de sept jours. Actuellement, deux consultations médicales sont obligatoires avant l'interruption volontaire de grossesse (IVG), avec un délai de réflexion d'une semaine entre les deux. Ce délai peut cependant être réduit à 48 heures en cas d'urgence, c'est-à-dire lorsque la limite légale de douze semaines de grossesse approche. Enfin, pour en faciliter l'accès, les sages-femmes rejoignent les médecins au rang des professionnels autorisés à procéder à une IVG médicamenteuse.

Les dépistages renforcés par la loi

L’article 7 de la nouvelle loi crée la base légale pour les dépistages rapides communautaires (Trod - tests rapides d’orientation diagnostiques) pour le VIH, les hépatites virales, les IST. Il autorise aussi les autotests réalisés par des associations et leur diffusion par les associations. Autre avancée, le dépistage communautaire des mineur-e-s est autorisé. Enfin, autre avancée les CeGIDD (centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic) sont autorisés à délivrer la PrEP (prophylaxie pré-exposition) et le TPE (traitement post- exposition).

Ruptures de médicaments

La loi Santé s’est également attaquée aux questions de rupture d’approvisionnement. L’article 36 crée un dispositif de lutte contre les ruptures d’approvisionnement en médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (dont ceux contre le VIH et les hépatites virales).

Le "droit à l'oubli"

L'instauration d'un "droit à l'oubli" doit permettre aux anciens malades de souscrire un prêt bancaire ou un contrat d'assurance sans subir de pénalités. Autrement dit : pas de majorations de tarifs ni d'exclusion de garanties pour les anciens malades du cancer souscrivant une assurance ou un emprunt. Les personnes présentant un "risque aggravé de santé" sont confrontées à des difficultés d’accès à l’emprunt et doivent passer par la convention Aeras avec des surprimes. Avec l’article 46 bis, un droit à l’oubli est créé pour des personnes qui présentaient et ne présentent plus de risque aggravé de santé. Des grilles sont travaillées sur le VIH et l’hépatite C pour définir les conditions pour être éligibles à ce droit à l’oubli et ne plus avoir de surprimes.

Les actions de groupe… en santé

La loi permettra de regrouper dans une seule procédure les demandes de réparations concernant un grand nombre de patients victimes de dommages dus à leurs traitements. AIDES a voulu que soit élargi l'objet de cette action de groupe au-delà des seuls médicaments et dispositifs de santé, mais sans succès. Les parlementaires n’ont pas suivi. Comme il n'a pas été possible d'élargir les champs des actions de groupes dans la loi Santé, l’association a demandé à ce que l'action de groupe portant sur discriminations dans la loi sur la justice du 21e siècle, soit élargie aux discriminations liées à l'état de santé. Cela pourrait permettre de mener certaines actions qui ne sont pas prises en compte par l’actuelle loi Santé. Par exemple, les refus de soins. Par ailleurs, un autre article (46 quater) reconnaît un droit d’alerte pour les usagers du système de santé auprès de la Haute autorité de santé  (HAS). Cela pourra permettre aux associations agréées de saisir directement la HAS ; de rendre publiques les réponses de la HAS, etc.

Prix du médicament : pas de fauteuil… un strapontin

Reste que la loi ne comporte pas que des succès. L’article 43 de la loi visait à assurer une représentation des usagers dans tous les organes de gouvernance de toutes les agences sanitaires nationales, notamment dans celle qui fixe le prix des médicaments : le Ceps (Comité économique des produits de santé). C’est perdu. A la place d’une véritable présence, il faudra provisoirement se contenter d’une convention cadre entre le Ceps et les associations de représentant-e-s des usager-ères-s du système de santé et de lutte contre les inégalités de santé. C’est donc d’une certaine manière une intégration inédite des associations dans le processus de fixation du prix du médicament. Comme l’explique le président de AIDES, Aurélien Beaucamp, dans son éditorial dans "Remaides" (N°94, hiver 2015) : "Les associations seront certes prises en compte dans le processus de fixation du prix du médicament, mais bien en deçà de ce que nous souhaitions. Les polémiques actuelles sur les prix exorbitants de certains traitements et le choix de rationner l’accès aux médicaments qui en découle prouvent la légitimité de notre demande à devenir un des acteurs à part entière de ce processus de fixation des prix."

Deux gros échecs

Le premier concerne les soins funéraires. L’article 52 devait créer un cadre général sur la pratique de la thanatopraxie permettant la levée de l'interdiction de soins funéraires pour les personnes séropositives au VIH ou à une hépatite virale. Suite à la mobilisation d'organisations catholiques,  les soins funéraires ont été, de nouveau, autorisés au domicile des personnes décédées, ce en dépit des conditions de sécurité, d'hygiène et de protection de la santé. Cette évolution a eu pour conséquence de supprimer la levée de l'interdiction des soins funéraires pour les personnes séropositives au VIH ou à une hépatite virale. Aucune avancée n’est possible avec la loi aujourd’hui votée. La levée de l'interdiction pourrait, cependant, être obtenue par voie réglementaire dans certaines conditions. Mais c’est un échec pour le moment.

L’autre concerne l’article 19 qui prétendait s’attaquer au problème de fond que sont les refus de soins. L’observervation de l'existence et de l'ampleur des refus de soins est confiée aux ordres professionnels des soignants. C’est la plus mauvaise solution qui a été retenue : les médecins sont juges et parties. Les associations de santé doivent être associées aux travaux des ordres sur les refus de soins. L’article est inepte et sera parfaitement inefficace contre les refus de soins. Les mesures proposées par AIDES et les partenaires associatifs ont toutes été refusées: définition légale des refus de soins, aménagement de la charge de la preuve, accompagnement des personnes par les associations... C’est d’autant plus rageant que AIDES a conduit, parallèlement aux débats, un testing sur les refus de soins montrant l’ampleur du problème. La solution idéale aurait été de placer la tenue de l’observatoire des refus de soins au Défenseur des Droits et non aux ordres médicaux qui ne se sont jamais sérieusement attaqués au problème.

Des critiques demeurent

Evidemment, ce type de loi, complexe, vaste, ambitieux, suscite même après le vote des critiques. La loi Santé n’y déroge pas. "La loi votée par l'Assemblée contient des avancées notables à l'instar de la généralisation du tiers payant, l'introduction des actions collectives dans le domaine de la santé et celle du paquet neutre malgré les pressions du lobby du tabac, etc.", explique un communiqué  Michèle Rivasi, députée européenne, vice-présidente du Groupe Verts/ALE au Parlement européen (17 décembre). "Nous ne pouvons en revanche que regretter que cette loi cadre n'ait pas été l'occasion de s'attaquer au cœur du problème : les intérêts privés qui viennent heurter l'intérêt général et qui gangrènent tout notre système de santé publique", explique la députée qui explique qu’une "autre loi s’impose pour réorienter la politique du médicament". "Cette loi devra permettre notamment d'obtenir une baisse générale des prix des médicaments par leur fixation à partir des données européennes et non plus de façon opaque comme actuellement par le Ceps (Comité économique des produits de santé) qui doit être profondément réformé. Elle devra aussi trouver les moyens de mettre un terme aux autorisations de mise sur le marché de complaisance, pour des médicaments sans plus-value thérapeutique et à prix prohibitifs et purger les médicaments mis sur le marché qui ne servent  à rien de la liste des médicaments remboursés. Mais aussi optimiser la prescription médicale dans toutes les classes thérapeutiques avec la généralisation des génériques". Les critiques se font vives aussi contre le paquet de cigarettes neutre. La Confédération des buralistes estime que la mesure est une "erreur historique" qui "touchera la France des territoires au cœur", confondant tradition et santé publique. Critiques aussi chez les syndicats de médecins libéraux contre le tiers payant généralisé. Des critiques largement relayées à droite par les Républicains. "Ecrasée par l'idéologie sectaire de la gauche qui méprise les professions libérales et qui consiste à opposer les médecins aux patients comme le secteur privé aux hôpitaux, cette loi Touraine cherche uniquement à rassurer la gauche de la gauche du Parti socialiste", explique le député Arnaud Riobinet, Secrétaire national chargé de la Santé. Les sénateurs les Républicains ont annoncé le 21 décembre avoir saisi le Conseil constitutionnel sur ce texte. Dans leur recours, les sénateurs jugent que la généralisation du tiers payant fait "peser de lourdes contraintes sur les médecins qui sont de nature à entraver leur liberté d'entreprendre". Les sénateurs contestent également la mise en place du paquet de cigarettes neutre, qui constituerait selon eux "une violation du droit de propriété, principe constitutionnel garanti par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789". C’est l’argument des fabricants… Comme on voit le lobbying joue à plein. A suivre.