Louis : "Je refuse les expertises car c’est une atteinte à ma vie privée et à mon intégrité physique"

Publié par Rédacteur-seronet le 18.08.2012
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transidentité de genredroits des minorités
Louis démarre en 2008 sa transition Female To Male (femme vers homme). Tout se complique lorsqu’il demande son changement d’Etat civil auprès du tribunal de Montpellier. Il s’ensuit un difficile périple judiciaire parce que Louis conteste les procédures actuelles qu’il juge humiliantes et dégradantes. Il explique sa démarche à la fois personnelle et militante.
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Peux-tu revenir sur ta démarche judiciaire, militante et politique, et ses différentes étapes ?
En 2008, alors que j'avais débuté ma transition Female To Male (FTM) depuis seulement quelques mois, je décide de demander mon changement d'état civil auprès du Tribunal de grande instance de Montpellier. Je savais déjà que ma démarche serait longue et sans doute difficile car personne encore à ce moment-là n’avait pu obtenir son changement d’état civil sans hystérectomie [acte chirurgical qui consiste à enlever tout ou partie de l'utérus, ndlr] et en refusant les expertises [judiciaires et médicales, ndlr]. J'ai pu bénéficier de l'aide juridictionnelle à 100 % et trouver une avocate, Maître Beye en qui j'ai entièrement confiance. Nous avons donc compilé différents éléments : témoignages de mes proches, factures à mon prénom masculin, quelques documents médicaux attestant mon hormonothérapie et ma mastectomie [ablation des seins, ndlr]. Pour l'anecdote, à l’audience qui se déroulait en huis clos, la juge m’a demandé de sortir pensant que je n’étais pas Mademoiselle Letertre ! Plusieurs mois plus tard, j’ai reçu le refus du Tribunal de grande instance de Montpellier de m’accorder mon changement d’état civil car selon eux je devais me plier aux expertises et à la stérilisation. Je fais appel de cette décision en 2009. On me déboute encore à cause de ces expertises et de la stérilisation. Je décide de porter mon affaire devant la Cour de cassation car la Cour d’appel a retenu, sans égards pour les certificats médicaux produits et les attestations, que la réalité du syndrome transsexuel ne peut être établie que par une expertise judiciaire, qui ne peut s’analyser sans une atteinte à l’intimité de la vie privée ; qu’en statuant comme elle l’a fait la cour d'appel a violé les articles 9 et 16-1 du Code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. La Cour de Cassation vient de rendre en juin 2012 sa décision et m’a débouté de mon pourvoi car selon elle : "Le caractère irréversible du changement de sexe n’est pas prouvé".

Pourquoi refuses-tu systématiquement les expertises ?
Je refuse les expertises car c’est une atteinte à ma vie privée et à mon intégrité physique. Je ne veux pas me plier à ces examens humiliants. Les expertises consistent, la plupart du temps, en un examen physique et un examen psychiatrique. Pour les hommes trans, on vérifie qu’ils sont bien rentrer dans leur "rôle d’homme" ; alors on leur demande de faire des pompes, de ne pas porter de bijoux (colliers, piercing) et de ne pas s’épiler. Pour les femmes trans, j’ai eu des témoignages assez horribles où des médecins faisaient des touchers vaginaux sans gant afin de vérifier qu’elles avaient un vagin assez grand pour la pénétration d’un pénis. Ces expertises sont à la charge de la personne trans lorsqu’elles n’ont pas l’aide juridictionnelle et cela peut représenter jusqu’à 3 000 euros en fonction des expertises demandées par les juges.


Qu’est ce que ça changerait pour toi d’avoir ton changement d’état civil ?
Beaucoup de choses ! Aujourd’hui sur mes papiers, il y a mon prénom féminin ainsi que le genre F alors que je ressemble à un gros nounours plein de poils ! Du coup, lors de la recherche de travail, d’un appartement, d’un paiement par chèque, d’un contrôle de police, pour aller à la poste chercher un recommandé… ça pose souvent bien des problèmes. Parfois c’est simple, une explication suffit. D’autre fois, on m’accuse de voler l’identité de quelqu¹un et souvent je me retrouve marié avec moi même : "Ah, mais ça doit être la carte d’identité votre femme". Avoir ce changement d’état civil permettrait de mieux m’insérer socialement et professionnellement.

Dans quel état d'esprit es-tu actuellement ? Après la décision de la Cour de Cassation, que comptes-tu faire ?
Lorsque la Cour de cassation m’a débouté de mon pourvoi j’étais anéanti. J’avais l’espoir que les barrières bougent, qu’ils comprennent enfin le chemin humiliant et long que la justice française nous fait subir afin que l’on puisse simplement être reconnu par l’état civil dans le sexe que l’on a choisi. Puis j’ai discuté avec ma famille, des militants et mon avocate : ils me suivent encore si je vais plus loin. J’ai épuisé les voies de recours en France donc plus loin cela signifie la Cour européenne des Droits de l’homme. La France a déjà été condamnée par cette même juridiction en 1992, l¹obligeant à procéder à des changements d’état civil. J’ai donc un grand espoir qu’elle soit, une fois encore, condamnée, l’obligeant ainsi à réformer les demandes de changements d’état civil. J’attends de voir avec mon avocate si nous avons les moyens juridiques d’y aller, mais aussi les moyens financiers car, aujourd'hui, je n’ai pas l’argent pour payer cette procédure. Il faudra sans doute que je fasse appel à la générosité des associations et des militants.

Comment apprécies-tu le changement de loi en Argentine ? Est-ce que cela peut constituer un point d'appui pour les combats Trans ici ?
Je trouve FORMIDABLE cette loi. Elle permet de faire modifier son genre et ses prénoms sur simple demande sans avoir recours à des traitements hormonaux et des opérations. Les militant-e-s argentin-e-s ont fait un magnifique travail de pédagogie sans compromis !

Propos recueillis par Gabriel Girard et Fred Bladou.