Lutte contre la haine en ligne : le texte est voté

Publié par Sophie-seronet le 17.07.2019
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Mode de viehaine en ligne

Les députés-es ont adopté mardi 9 juillet, lors d’un vote solennel, la proposition de loi LREM de lutte contre la haine sur Internet. Ce texte, porté par la députée LREM Laetitia Avia et très critiqué, passera à la rentrée au Sénat, en vue d'une adoption définitive que la majorité souhaite rapide.

24 heures pour agir

Quel que soit leur pays d'établissement, les opérateurs de plateformes en ligne (Facebook, Youtube, etc.) et de moteurs de recherche (Google, Qwant, etc.), dont l'activité sur le territoire français dépassera des seuils déterminés par décret, seront tenus de retirer ou de déréférencer dans un délai de vingt-quatre heures tout contenu « manifestement » illicite, après signalement par une ou plusieurs personnes. Les messages, vidéos ou images concernés sont ceux constituant des provocations à des actes de terrorisme, faisant l'apologie de tels actes ainsi que des crimes contre l'humanité, ou comportant une atteinte à la dignité de la personne humaine, une incitation à la haine, la violence, la discrimination. Les injures envers une personne ou un groupe de personnes « à raison de l'origine, d'une prétendue race, de la religion, de l'ethnie, de la nationalité, du sexe, de l'orientation sexuelle, de l'identité de genre ou du handicap, vrais ou supposés », seront également bannis. Cela veut dire qu’on pourra signaler des contenus LGBTQIphobes ou sérophobes et en demander le retrait. Même sort pour les contenus constitutifs de harcèlement, proxénétisme ou pédopornographie. Blocage et déréférencement des contenus illicites dupliqués (« sites miroirs ») seront aussi facilités.

Quelles peines pourront être prononcées ?

À la place des contenus retirés, les opérateurs feront figurer un message indiquant le retrait. Un délit de refus de retrait sera créé : la justice pourra prononcer des amendes jusqu'à 1,25 million d'euros envers les opérateurs. Les éventuels signalements abusifs par les utilisateurs-rices de plateforme seront eux passibles d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende. Un parquet et une juridiction seront spécialisés dans la lutte contre la haine en ligne.

Bouton unique de signalement

Pour faciliter les signalements d'utilisateurs-rices, les plateformes devront mettre en place un dispositif de notification « directement accessible » à partir du contenu litigieux, et « uniforme ». D'un réseau social à un moteur de recherche, il sera ainsi facilement reconnaissable, précise l’AFP. Les utilisateurs-rices devront indiquer nom, prénom, adresse électronique, la catégorie à laquelle peut être rattaché le contenu litigieux, la description de ce contenu, ainsi que les motifs pour lesquels il doit être retiré, rendu inaccessible ou déréférencé. Ces utilisateurs-rices devront être tenus informés des suites données à leur notification. Les mineurs victimes d'un contenu abusif pourront saisir des associations de protection.

La coopération des plateformes

Elles devront mettre en oeuvre « les procédures et les moyens humains » ainsi que « technologiques proportionnés permettant de garantir le traitement dans les meilleurs délais des notifications reçues », sans effectuer de retraits injustifiés. Elles auront à déployer les moyens nécessaires pour empêcher qu'un contenu illicite devienne viral. Les plateformes devront aussi rendre compte publiquement des « actions et moyens » mis en oeuvre dans la lutte contre les contenus haineux, ainsi que des « résultats obtenus ». Elles auront aussi l'obligation d'informer « promptement » les autorités des activités haineuses, et d'avoir un représentant légal chargé de répondre aux demandes de la justice.  Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) veillera au respect du devoir de coopération des opérateurs, et pourra, en cas de manquement persistant, prononcer une sanction allant jusqu'à 4 % du chiffre d'affaires mondial. Le CSA publiera les mises en demeure et sanctions, ainsi qu'un bilan annuel.

Un volet éducatif est prévu

La lutte contre la diffusion de messages haineux en ligne devra faire partie du programme scolaire, et la formation des enseignants-es sera renforcée. Les opérateurs-trices seront tenus, lors de la première utilisation de leurs services par un-e mineur-e âgé-e de moins de quinze ans, de sensibiliser le/la mineur-e et ses parents à une « utilisation civique et responsable », et de les informer des risques juridiques en cas de diffusion par le/la mineur-e de contenus haineux. Un « observatoire de la haine en ligne » sera créé pour assurer « le suivi et l'analyse de l'évolution des contenus » haineux, en lien avec opérateurs-trices, associations et chercheurs-ses

« Nous avons réussi à construire une loi complète », s’est félicitée la députée Laetitia Avia, qui en a fait un combat personnel contre les « trolls » et « haters » la poursuivant depuis des années notamment pour la couleur de sa peau.  « Certes, [cette proposition] ne va pas réduire à néant la haine sur internet, mais elle exprime clairement que la représentation nationale ne renoncera pas et luttera sans relâche », fait valoir celle qyui ets aussi avocate de profession. Du côté du gouvernement, le secrétaire d'État au Numérique Cédric O juge l'équilibre « atteint » entre liberté d'expression et « efficacité ». Hors Palais Bourbon, le texte a uni contre lui quantité d'acteurs-rices parfois pour des raisons différentes, au nom des risques de « censure », rappelle l’AFP.  Dans une lettre ouverte, la Ligue des droits de l'Homme, la présidente du Conseil national du numérique (Salwa Toko) et encore la présidente du Conseil national des barreaux (Christiane Féral-Schuhl) ont plaidé que « le juge doit être au cœur tant de la procédure de qualification des contenus que de la décision de leur retrait ou blocage ». Défendant les droits de l'internaute, la Quadrature du Net s'alarme du fait que l'obligation de retrait pèsera autant sur les grandes plateformes comme Youtube et Twitter, « à l’origine du problème », que sur des opérateurs « sans activité commerciale » tel Wikipédia. Les grandes entreprises du numérique elles-mêmes s'inquiètent de l'obligation de retrait, qui pourrait entraîner une cascade de polémiques et de conflits juridiques. Facebook, pourtant allié du gouvernement et d'Emmanuel Macron pour des règles pour la Toile, a fait part de son inquiétude. Le réseau social refuse de prendre « seul » et « dans un délai contraint » une décision de retrait. « Ni libertaire, ni liberticide », Cédric O a promis un groupe de travail associant plateformes, société civile et magistrats pour « donner des indications » sur le tri des contenus litigieux.

La cyberhaine en chiffres
La haine en ligne « ne cesse de se développer », selon le gouvernement et la députée LREM Laetitia Avia qui a récemment porté une proposition de loi sur le sujet. La parlementaire reconnaît cependant dans un rapport la « difficulté de connaître l'ampleur réelle du phénomène ». Voici quelques données qu'elle a rassemblées, citées par l’AFP.
Dans le monde, près de 1,3 million de contenus haineux ont été signalés à Twitter au cours des six derniers mois ; Facebook a supprimé quatre millions de contenus au premier trimestre 2019, contre 3,3 millions au dernier trimestre 2018, et 2,5 millions au premier trimestre 2018. Au premier trimestre 2019, 65 % de ces contenus ont été identifiés avant même un signalement d'utilisateur, contre 38 % au premier trimestre 2018 ; Youtube au dernier trimestre 2018 a supprimé près de 16 600 chaînes et 49 600 vidéos incitant à la violence ou à l'extrémisme violent, auxquelles il faut ajouter les 253 700 vidéos violentes et les 18 950 vidéos avec des contenus offensants ou haineux retirées ; des chiffres en nette augmentation.
En Europe, selon des chiffres de la Commission européenne (fin 2018) : les contenus haineux signalés aux plateformes relèvent principalement de la xénophobie (17 %), de la haine en raison de l'orientation sexuelle (16 %), de la haine anti-musulmans (13 %), anti-Roms (12 %), et de l'antisémitisme (10 %).
En France, sur les 163 723 signalements adressés en 2018 à Pharos, plateforme du ministère de l'Intérieur chargée de la lutte contre les contenus illicites sur internet, près de 14 000 relevaient de la haine en ligne ou de discriminations, et concernaient 8 000 contenus.
Les signalements les plus nombreux, ces dernières années, avaient trait à de la provocation publique à la haine et à la discrimination raciale, ethnique ou religieuse (quelque 7 250 signalements en 2017).