Lutte contre les IST : où sont les jeunes ?

Publié par Béatrice Cyuzuzo le 24.10.2017
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Sexualitéjeunesadolelescent

Les dispositifs mis en place pour la prévention et la lutte contre les infections sexuellement transmissibles ou IST (VIH y compris) se feront-ils sans la participation des premiers concernés ? C’est une question qui se pose, après le colloque sur le sujet, organisé par le Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS) au ministère de la Santé, le 18 septembre dernier.

Différents acteurs de la santé sexuelle se sont réunis pour discuter, échanger sur les moyens d’améliorer la lutte contre les IST chez les jeunes. Les pouvoirs publics dénoncent la hausse des IST, qui représentent un danger sur la vie sexuelle des jeunes et leur santé. Pour un certain nombre d'expert-e-s, la désinformation des jeunes vis-à-vis des infections sexuellement transmissibles résulte, pour une bonne part, de la mauvaise coordination entre les agents de santé associé à un système d’approche des jeunes inopérant, notamment de la part du milieu scolaire.

Selon les recommandations du CNS, la lutte contre les IST chez les jeunes ne peut pas se faire sans l'implication coordonnée de tous les acteurs à tous les niveaux. "Leurs missions de pilotage, de coordination et de financement de la lutte contre les IST chez les jeunes devraient être systématiquement inscrites dans les programmes régionaux de santé et les projets académiques, et mieux adaptées aux réalités territoriales. Ces conditions sont indispensables pour rendre plus efficaces les actions à entreprendre localement, notamment dans les systèmes éducatif et de santé", explique l’institution dans ses préconisations. Or, les acteurs de terrain en santé sexuelle ne sont pas du tout satisfaits de la façon dont les pouvoirs publics agissent, ce qui implique de nombreuses failles dans l’application des recommandations proposées par le CNS. "Si on veut aller très vite et être simple, ce dont on s’aperçoit, c’est qu’il n’y a pas suffisamment de coordination entre les acteurs de santé que ce soit les acteurs associatifs, les jeunes dans les communautés, les acteurs du système éducatif, les acteurs du système de santé, mais aussi les acteurs politiques, le ministère ou les agences régionales de santé", balance tout de go Gilles Raguin, membre du CNS et médecin spécialiste des maladies infectieuses et transmissibles. Sarah Durocher, accueillante au Planning familial à Orléans et intervenante au colloque, dénonce aussi le décalage et les différentes manières de procéder entre les pouvoirs publics et les acteurs, notamment communautaires, ce qui empêche d’atteindre les objectifs. "Le gouvernement ne prend pas en compte le travail des associations et, je crois, les sous-estime. Souvent, on ne nous considère pas comme crédibles alors que nous sommes les plus proches du terrain", explique-t-elle. "Pourtant, on doit sensibiliser les personnes, et je pense qu’on a du mal à le faire, nous les professionnels aux seins des associations. Il faut mettre en place de nouveaux relais. Ça veut dire que les personnes touchées par notre action doivent devenir des relais et peuvent être actrices au sein même de leurs communautés de quartier, de leurs familles, dans leurs lycées ou dans leurs collèges", ajoute Sarah Durocher. Elle défend également plus de confiance entre les acteurs : "Il faut croire dans les gens, surtout les jeunes, les laisser être acteurs et actrices de leur santé, sans hiérarchie de la parole. C’est avec les différents professionnels, associatifs mais aussi avec les personnes concernées que cela fonctionnera".

Majoritairement, les participant-e-s n’étaient pas convaincus du déroulement des choses, en particulier pour la mise en application des recommandations. Catherine Aumond, vice-présidente de AIDES, a exprimé sa déception vis-à-vis du déroulement du colloque et surtout l'absence des personnes concernées, c'est-à-dire les jeunes. Elle souligne que le CNS a juste soulevé des problèmes généraux que tout le monde connait déjà, sans essayer d’atteindre le fondement du problème, à savoir : qu'est-ce qui empêche aujourd'hui d’atteindre les jeunes. "Ce qui a manqué dans le colloque de cet après-midi est beaucoup plus symptomatique : on parlait des jeunes, mais ils n’étaient pas là ! On a parlé d’eux sans arrêt mais ils n’étaient pas là ; on a parlé des parents, mais ils n’étaient pas là non plus. Les solutions, on les trouvera en allant vers les jeunes et en leur demandant de quoi ils ont besoin et en construisant avec eux. Le CNS à soulever les choses c’est sûr, mais il n’est pas allé jusqu’au bout pour régler ces problèmes", a-t-elle résumé. "A AIDES, nous continuons d’aller vers les jeunes hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes, les jeunes précaires et les jeunes migrant-e-s. Les jeunes gays sont ultra-concernés par un risque de contamination. On continue d’aller vers eux pour proposer dépistages, accès à la PrEP, parce que c’est comme ça que nous arriverons à la fin de l’épidémie. Ce n’est pas que l’offre de dépistage soit insuffisante, c’est qu’elle n’est pas suffisamment adaptée pour qu’on puisse aller vers les personnes qui en ont besoin", explique Catherine Aumond. Selon elle, des pistes existent, mais elles ne sont pas assez examinées ou testées pour évaluer leur intérêt : "L’histoire du numérique a été abordée tout à l’heure, mais je pense qu’il manque des choses au préalable : s’accorder à connaitre les besoins réels des jeunes ! Mais sans ces jeunes lors de ces discussions comme c'est le cas dans ce colloque, on ne le saura jamais". Pour Sarah Durocher du Planning familial, le niveau de désinformation chez les jeunes sur les infections sexuellement transmissibles et les moyens de dépistage n’est pas du tout rassurant. "Il y a vraiment un travail à faire autour de l’échange sur la sexualité pour qu’ils puissent la voir comme quelque chose de positif et non pas comme quelque chose qui fait peur qui met la personne en danger. Sinon, nous n'y arriverons pas".

Ce qui inquiète aussi le CNS, c’est l’augmentation des infections sexuellement transmissibles chez les jeunes, données factuelles illustrant l’urgence d’une réaction en France et ailleurs. Gilles Raguin du CNS revient sur le phénomène : "L’incidence des IST et du VIH chez les jeunes augmente. Cela dépend beaucoup des pratiques, des circonstances et des groupes les plus vulnérables, mais les chiffres augmentent. On assiste aussi à une évolution des pratiques et des comportements face à des connaissances sur la santé sexuelle que l’on observe, à travers un certain nombre d’études, très insuffisantes. D’autre part, cette question des IST s’inscrit dans un contexte plus large que celui de la santé sexuelle, avec la santé reproductive (contraception). Il ne faut pas réfléchir seulement sur les IST, mais à la santé globale pour les jeunes. La France, l’Europe et même l’OMS sont en train de réfléchir à de nouvelles stratégies en matière de santé sexuelle et reproductive, de prévention et de lutte contre les IST et il est important de mettre à jour nos connaissances et d’améliorer nos pratiques de prévention sur tous ces aspects", explique Gilles Raguin. Le taux de dépistage chez les jeunes, est insuffisant, particulièrement chez les jeunes les plus vulnérables, comme les jeunes gays. "L’accès aux soins et aux dépistages est probablement insuffisant soit parce que notre système de santé n’est pas proche d’eux, soit parce qu’ils ont des vraies difficultés économiques à accéder au système de santé et aux dépistages", rappelle encore le médecin.

On revient alors aux problèmes structurels de la réponse sanitaire proposée en France : toutes ces institutions, ces organisations ne parlent pas suffisamment entre elles pour améliorer les diagnostics, la prévention mais aussi développer efficacement les outils disponibles, notamment numériques. Innover et dialoguer semble donc être les deux verbes à conjuguer rapidement pour, enfin, répondre à une problématique générationnelle et perpétuer des réflexes de prévention et de soin de soi. Place aux jeunes !

Commentaires

Portrait de Rimbaud

La France est forte pour payer des colloques, réunir des scientifiques, parler pendant des heures, se lamenter sur les absences, faire de belles promesses, déplorer le manque de coordination et blablabla... mais ils ne sont pas foutus de trouver une centaine de jeunes pour dialoguer avec eux. C'est lamentable. 

Maintenant, en tant que prof (en train justement de préparer mon intervention auprès des 150 jeunes qui me sont confiés) je vais vous dire la réalité et comment obtenir des résultats. Attention, ça va aller très vite et ça coûte pas un rond : 

1) les jeunes adorent parler de tout ce qui les touche et qu'on ne les considère pas comme des atardés. Il y a une demande forte.

2) ils détestent les interventions des pros de la santé avec powerpoint à l'appui, chiffres et discours moralisateurs, ça les emmerde et je les comprends

3) les profs (pas tous !) sont les mieux placés pour parler avec eux parce que nous avons déjà l'habitude de nous parler tous les jours et que ça crée une confiance, une proximité et oui, un prof peut faire de l'éducation à la sexualité sans aucune formation parce que... vous savez quoi ?? Nous ne sommes pas débiles, nous savons nous documenter, être pertinents et précis. Nous sommes les spécialistes de la pédagogie et nous savons mieux que personne comment atteindre l'esprit et le coeur des jeunes, ça s'appelle un métier. 

Pour ma part, je repars au combat pour obtenir dans mon établissement (lycée) des capotes XL et XXL ! Oui, on en est encore là : les jeunes me les réclament, l'infirmière n'a toujours pas compris le message depuis trois ans ! Je répète : les jeunes exigent des capotes adaptées et l'institution n'arrive pas à leur en donner ! What the fuck ! Cessez donc vos conférences, venez sur le terrain et trouvez des solutions. C'est ça la prévention en 2017 ! 

Pour ma part, je vais me faire livrer 150 brochures super bien faites pour mes jeunes, j'achèterai avec ma paye des capotes grand format et je discuterai avec les jeunes de tout un tas de trucs sur les transmissions, les tests, les hépatites, etc etc et je peux vous assurer qu'à la fin, ils sauront où aller se faire dépister, pourquoi se faire dépister, comment se protéger, comment et pourquoi protéger l'autre (oui parce que c'est aussi une question de philosophie !), et tout un tas de trucs utiles. 

A bon entendeur ! 

Un prof de lettres

ps : s'adresser en priorité aux jeunes HSH... la blague ! Ils vivent cela terrorisés, en cachette, seuls, honteux ! Vous comptez les trouver comment ?... là encore, rien n'est fait dans les lycées. Le silence est d'or.

Portrait de Mehdi0913

Moi aussi, je travaille avec les jeunes, les ados... Et je suis tout à fait d'accord il y a aucune prévention sur les IST dans les écoles mais aussi dans les associations socioculturelles...

C'est pas avec des affiches que les jeunes comprendront qu'il faut se protéger, ni avec des spots de préventions, c'est démodé tout ça, c'est has been, c'est mort comme disent les jeunes, c'est sur le terrain qu'il faut aller, parler, montrer, témoigner, dire la réalité, c'est comme cela que les jeunes changeront leur mentalité...