Afravih : clôture avec le fonds mondial

Publié par Rédacteur-seronet le 12.04.2022
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ConférencesAfravih 2022

Quatre jours de conférence, 1 200 participants-es venus-es de 46 pays, 460 abstracts et 96 présentations orales. Cette Afravih 2022 était riche, dense et militante. Retour sur les moments forts de la quatrième et dernière journée, avec un rappel important lors de la cérémonie de clôture. La prochaine conférence devrait avoir lieu dans deux ans, en 2024, dans un pays francophone du Sud, mais les organisateurs-rices n’ont pas encore fixé ni la date, ni la ville.

Covid-19 : inégalités d'accès aux soins et à la prévention

Alors qu’on aurait pu penser que la conférence dresserait les impacts catastrophiques de la pandémie de Covid-19 sur la lutte contre le VIH, sujet d’inquiétude et de préoccupation qui compromet gravement l’atteinte des objectifs 2030, ce symposium Afravih a esquivé la question VIH dans la grande majorité des interventions. Gilles Brucker, modérateur de cette session avec Marie Préau de l’Inserm, commence par dresser des constats accablants. Le Fonds mondial demande 18 milliards pour financer ses programmes sur les trois prochaines années et, en parallèle, les milliardaires du monde entier ont engrangé 3 600 milliards durant la pandémie. Un chiffre vertigineux qui témoigne de l’appauvrissement des États au profit de la sphère privée qui accumule des patrimoines inimaginables. Marie Préau renchérit en expliquant que face aux retards de la lutte et à l’accaparement des richesses, il faut déployer des stratégies adaptées et non universalistes, ces dernières ayant prouvé leur inefficacité.

La première intervenante, Hélène Kane, s’exprime au nom de Yannick Jaffré, directeur de recherche au CNRS, absent de la conférence. Elle présente une approche anthropologique des inégalités en faisant la démonstration du croisement des inégalités observables et analysables, dans une démarche d’intersectionnalité scientifique. Sa méthode relève de « l’approche anthropologique impliquée » qui mêle une interdisciplinarité et une analyse par le bas sur les réalités pour comprendre les raisons d’agir. Cette démarche scientifique permet, selon elle, d’intervenir à la racine des inégalités en santé, en prenant l’exemple des violences obstétricales.

L’intervenante suivante, Claire Rieux, directrice médicale de MSF, s’avance et partage les analyses de l’ONG sur les inégalités et les cancers en Afrique. Le cancer est, selon elle, une « crise silencieuse » en Afrique avec une grande sous-estimation des cas, peu de dépistages et encore moins d’accès aux soins. Selon ses projections, l’Afrique connaîtra une augmentation de 87 % des cas de cancers d’ici 20 ans, dont une majorité de cancers liés aux infections, et notamment HPV (papillomavirus humains). Les cancers du col de l’utérus posent d’ailleurs un problème sanitaire lié au VIH, car les femmes vivant avec le VIH ont une augmentation du portage chronique du HPV.

Les quatre intervenants-es qui suivent présentent différents projets à travers le monde. Juan Diego Poveda, référent à Médecins du Monde, présente une stratégie de dépistage du cancer du col de l’utérus au Burkina Faso ; Dolorès Pourette, chargée de recherche à l’IRD et membre du Ceped, détaille les inégalités d’accès à la prévention du même cancer à La Réunion. Avec un retard accumulé dans les prises de parole, Hélène Kane revient sur scène pour parler des inégalités de santé dans l’enfance, accompagnée de Fatoumata Dicko-Traoré, psychologue clinicienne.

Un double constat s’impose : le VIH/sida est tristement absent des discussions, particulièrement techniques et scientifiques, dont le portage par des chercheurs-ses et experts-es du Nord ne laisse qu’une place restreinte pour la parole concernée. Il faut atteindre la dernière intervention pour entendre une voix communautaire en la personne de Younès Yatine, coordinateur national du projet HSH à l’ALCS (Maroc).

Son intervention, concrète et efficace, décrit les actions communautaires visant à réduire les inégalités d’accès à la prévention et aux soins pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) au Maroc. Alors que la prévalence du VIH est de 0,1 % dans la population générale marocaine, la prévalence chez les HSH atteint 4,3 %. De la même manière, 18 % des PVVIH ne connaissent pas leur statut, dont 67 % appartiennent aux populations clés et leurs partenaires. Les HSH au Maroc partagent différents facteurs de vulnérabilité : physiologique, un environnement socioculturel hostile, une précarité économique et des lois criminalisantes. Après avoir détaillé la stratégie de mise en œuvre communautaire des programmes de prévention combinée du VIH à destination des populations clés, Younes Yatine dresse ses conclusions : malgré les difficultés rencontrées pendant la crise de la Covid-19, ces actions inspirantes dans la prise en charge des HSH vivant avec le VIH sont réplicables grâce à la force communautaire. Mais pour être vertueuses, les actions doivent être inscrites dans le cadre d’une démarche participative et inclusive.

Santé numérique : avantages et inconvenients

La santé numérique était au cœur d’une session du samedi matin. Marine Al Dahdah (France, CEMS) est revenue sur les intérêts et limites des approches numériques en santé. Un des intérêts majeurs de la santé numérique est de permettre l’empowerment des différents-es utilisateurs-rices, qu’ils-elles soient professionnels-les de santé ou patients-es. L’accès facilité aux données et aux informations permet de mieux se connaître et d’acquérir de nouvelles compétences, permettant ainsi d’être plus acteur-rice de sa santé. Mais l’empowerment est relatif aux possibilités de co-création de ces dispositifs : il est nécessaire pour les utilisateurs-rices de s'en emparer. Luis Sagaon Teysier (France, Sesstim) a présenté l’application Hello Ado qui est le fruit d’une démarche entre jeunes. Développée grâce à une collaboration entre l’Unesco Dakar et l’ONG Raes, cette application a pour but d’améliorer les connaissances en santé sexuelle et reproductive des jeunes d’Afrique Centrale et de l’Ouest. Tout au long de la création de l’application, les jeunes ont été mis à contribution afin de cerner leurs besoins, leurs attentes et surtout la conception de l’application et ses diverses fonctionnalités. Après un premier jet, l’application a été testée par près de 400 jeunes, et améliorée par la suite. En plus de fournir des informations fiables, l’application permet de collecter des données au sujet de l’utilisation faite de cet outil par les jeunes, mais aussi de leurs connaissances concernant la santé reproductive et sexuelle.

Bertrand Lebouché (Canada, Université McGill) a présenté le projet Opal, un portail pour les personnes atteintes de maladies chroniques comme le cancer ou le VIH. Ce portail permet aux patients-es d’accéder à leur dossier médical électronique contenant notamment leurs résultats d’analyses et leurs prochains rendez-vous. Le portail a été co-conçu par des patients-es, des professionnels-les de santé, des développeurs-ses et des étudiants-es. Il répond aux divers besoins des patients-es et professionnels-es de santé et a permis d’améliorer la gestion des soins, de répondre aux besoins imprévus et de conscientiser davantage les patients-es. Les personnes vivants avec le VIH, qui ont été interrogées sur leurs besoins avec un tel service, évoquent notamment la volonté de se rappeler leur traitement, contrôler plus leur santé et mieux comprendre les diagnostics. Sur les 114 personnes interrogées, 90 % déclarent trouver le portail Opal « attirant » et 89 % « accueilleraient Opal dans [leur] prise en charge du VIH ». L’acceptabilité de tels dispositifs chez les PVVIH est bonne. Elle permet d’envisager une plus grande autonomie des personnes, sans toutefois perdre le contact avec les professionnels-les de santé. Bertrand Lebouché relève cependant quelques inconvénients de cette approche, notamment l’atteinte possible à la confidentialité (en particulier pour les résultats biologiques), le potentiel stress concernant ces mêmes résultats (la personne les reçoit en même temps que le praticien), la fracture numérique et la déshumanisation des soins, élément surtout avancé par les praticiens.

Notre « maison francophone »

Cette 11e édition de l’Afravih s’est terminée par une cérémonie de clôture avec les traditionnels discours de remerciements. Luc Bodéa, le directeur de la Conférence internationale sur le sida et les infections sexuellement transmissibles en Afrique (Icasa) a répondu aux militants-es du réseau Grandir Ensemble (VIH pédiatrique Afrique), qui avaient organisé un die-in lors de la cérémonie d’ouverture, pour alerter sur la situation des jeunes vivant avec le VIH sur le continent africain. « Chers enfants, chers ados nous vous avons entendu » a assuré Luc Bodéa.

Le Pr Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’Agence de recherche sur le sida et les hépatites virales | Maladies infectieuses émergentes (ANRS | MIE), a déclaré que l’Afravih était une « grand famille » dont il fait partie. Le professeur a tenu également a rassuré la communauté de la lutte contre le VIH de la pérennité des financements de l’Agence de recherche : « On a fait attention, comme vous nous l’avez demandé, de ne pas prendre l’argent du VIH pour la recherche sur les maladies émergentes ».

La professeure Christine Katlama, présidente de l’Afravih, était visiblement ravie de ce cru 2022 « Je me suis régalée (…). L’Afravih c’est notre maison francophone et ça doit le rester ». Elle a tenu à faire passer un message politique : « Bien sûr, il y a des tensions avec la France dans deux pays du Sahel, mais il ne faut pas nous enlever nos coopérations de terrain et de recherche. Nous devons trouver un moyen pour que des domaines comme la science, l’éducation ou la santé ne soient pas des objets de négociations politiques. On peut s’arrêter de vendre des armes, mais on ne peut pas imaginer de voir des programmes de recherche française s’arrêter (…). Et Christine Katlama de conclure à l’adresse des participants-es venus-es de loin : « J’espère que le retour sera plus facile mais, en général, en France, on éjecte plus facilement qu’on accueille » sous les applaudissements de la salle.

Nous ne lâcherons rien

À l’occasion de l’Afravih, AIDES a décidé de porter une demande d'augmentation de la contribution française de 50 %, c’est-à-dire deux milliards d’euros, au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Le septième cycle de reconstitution des ressources du Fonds aura lieu en septembre à New York et le plaidoyer a déjà commencé. Vers la fin de la cérémonie de clôture, les militants-es ont investi la scène et déployé la banderole géante qu’ils-elles avaient déployé deux jours plus tôt sur le Vieux Port.

« Notre lutte est légitime ». C’est ce que nous rappelait Yves Yomb hier dans le film qui lui rend hommage. Notre lutte en tant que militants est légitime, nécessaire et impactante », a affirmé Camille Spire, présidente de AIDES, derrière la banderole, mais bien audible. « Nous n’avons pas à minimiser nos demandes en termes de financement, parce que les enjeux sont immenses pour en finir avec le VIH comme enjeu de santé publique (…). La lutte contre les trois pandémies demanderait 130 milliards de dollars pour la période 2024 - 2026. Or, si rien ne bouge, tout acteur confondu, 22 % des besoins ne seront pas financés », a alerté la militante. « C’est ce qui nous amène à une demande ambitieuse auprès du gouvernement français et à la future présidence de la République : une augmentation de la contribution de la France de 50 % pour atteindre deux milliards d’euros (…). Au-delà des chiffres, il y a des récits, des millions de personnes invisibilisées », a souligné Camille Spire. Et la présidente de AIDES de conclure : « Non, deux milliards, ce n’est pas une demande déraisonnable ou irraisonnée, quand il s’agit de la santé des femmes et des hommes, quand il s’agit de santé publique. Si nous ne le demandons pas maintenant, qui le demandera et quand ? Nous sommes la lutte, c’est ce que disaient hier les porteurs-ses du projet Riposte. Nous sommes la lutte. Nous ne lâcherons rien ».

Tristan Alain, Léo Deniau, Evann Hislers, Cynthia Lacoux, Jean-François Laforgerie, Fred Lebreton et Christophe Rouquette


Redéfinir le contrôle virologique
Nathan Ford, chef des maladies infectieuses à Genève (Suisse), a présenté les dernières lignes directrices de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui définissent les différents seuils du contrôle virologique de l’infection à VIH :
- Charge virale en dessous de 50 copies/ml = succès virologique (indétectable) ;
- Charge virale entre 200 et 1000 copies/ml = associée à un futur échec virologique mais pas de transmission du VIH de la mère à l’enfant ;
- Charge virale supérieure à 1000 copies/ml = associée à des nouvelles mutations de résistance et à la transmission mère enfant.

Accès aux médicaments : MPP
Sébastien Morin, responsable politique et plaidoyer du Medicines Patent Pool (MPP) a fait une présentation sur l’accès aux médicaments. Le MPP est une initiative issue d’Unitaid, une organisation internationale mise en place en 2006 à l’initiative de la France et de quelques autres pays, dans le but d’organiser, notamment, des achats groupés de médicaments contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Le Medicines Patent Pool a été lancé en 2010 dans le but de négocier avec les laboratoires pharmaceutiques des licences volontaires (négociées) afin de favoriser la recherche et l’accès aux traitements génériques. Les licences volontaires permettent à un-e producteur-rice de génériques de produire une version générique d’un médicament breveté, avec l’accord du-de la producteur-rice de princeps (médicament original protégé par des brevets). Cela repose sur une démarche totalement volontaire de la part de l’industrie pharmaceutique. Le fait d’avoir au moins deux génériques d’un médicament permet de créer de la concurrence et d’avoir un impact sur le prix. 

L’Afravih sort son Afrapedia
Il y a quelques années, l’Afravih avait publié un livre médical « VIH, Hépatites virales, Santé sexuelle », véritable somme des connaissances actuelles sur le sujet. L’ouvrage visait un public de professionnels-les, mais aussi de personnes concernées. Forte du succès de l’ouvrage, l’Afravih vient de lancer un nouvel ouvrage, Afrapedia, qu’elle présente comme un « livre multimédia, en libre accès, à destination du grand public averti » qui constitue l'état des connaissances sur le VIH, les hépatites virales, la santé sexuelle et les infections émergentes. La première partie consacrée au VIH vient d’être lancée lors de la conférence Afravih 2022. Ce livre est destiné à s'enrichir au fur et à mesure ; si vous avez des commentaires vous pouvez les laisser dans l'espace discussion de l'Afrapedia.

Tu pana te cuida
La Colombie est le principal pays d’accueil des personnes migrantes et réfugiées vénézuéliennes et « retournées colombiennes », atteignant un total cumulé, en octobre 2021, de 1 842 390 personnes ayant vocation à rester, soit 30 % de la population vénézuélienne qui a quitté le pays. Ces populations migrantes — en particulier les personnes vivant avec le VIH/sida et les populations clés — font face à des violations systématiques de leurs droits ; ce qui entrave leur accès aux services de base en Colombie. De plus, bien que le pays dispose d'une loi anti-discrimination, aucune action gouvernementale n'est menée pour réduire la xénophobie pourtant très forte et exacerbée dans un contexte de crise. Dans ce contexte, l'organisation communautaire colombienne Red Somos a mis en place en 2019 un modèle communautaire reposant sur le projet Tu pana te cuida (Ton pote prends soin de toi) pour répondre aux situations de vulnérabilité des personnes migrantes, réfugiées et retournées LGBTIQ+ et PVVIH ; et cela à travers des actions d'assistance sanitaire, psychosociale, juridique et humanitaire. Ce projet a été financé, entre autres, par le Haut  Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et l'Organisation internationale pour les migrations. Il est porté et mis en œuvre par une équipe de pairs-es éducateurs-ices (PE) migrants-es et comprend : l'expansion géographique des services en Colombie (ouverture de trois nouveaux sites) ; une assistance juridique et humanitaire d'urgence (dont cash for rent, logements temporaires, douches et kits d'hygiène) ; de la prévention et des soins en santé sexuelle et reproductive (SSR) (avec dépistage et suivi VIH, syphilis, chlamydia, hépatites B et C et conseils en santé sexuelle et repoductive) ; des groupes de soutien ; la délivrance de traitements antirétroviraux et un accompagnement à l'observance. En 2020, Red Somos a accompagné 5 593 migrants-es dans le cadre de ses services de santé. Le taux de positivité du test VIH était de 5,8 %. Des traitements antirétroviraux ont été délivrés à 635 migrants-es vivant avec le VIH. De plus, 14 390 migrants-es ont pu bénéficier des services d'assistance proposés pa l’association. À titre d’exemple, huit groupes de soutien ont été organisés avec 84 personnes migrantes vivant avec le VIH et des pairs-es éducateurs-rices pour travailler sur l'observance et l'indétectabilité. Red Somos entend apporter ainsi une aide concrète aux personnes exclues du système de santé. Elle a, pour cela, créé un réseau national de services de référence et de contre-référence en collaboration avec des organisations partenaires et gouvernements locaux pour mener à bien l'accompagnement des PVVIH. Pour les initiateurs-rices de ce projet, Red Somos est « parvenu à construire un solide modèle de prise en charge communautaire des personnes migrantes qui repose sur le travail des personnes paires éducatrices et sur des actions combinées visant à : accompagner les personnes dès leur arrivée en Colombie ; à réduire les obstacles à l’exercice de leurs droits et à présenter des recommandations aux autorités locales pour améliorer une réponse gouvernementale qui, à ce jour, ne prend pas en compte les besoins des personnes migrantes LGBTIQ+ et PVVIH ».

ARV à action prolongée
Les traitements ARV à action prolongée sont l’une des grandes évolutions thérapeutiques du moment. Qu’en est-il de l’intérêt des personnes vivant avec le VIH pour eux ? C’est ce qu’a cherché à comprendre une enquête flash de l’association AIDES dont voici les résultats, présentés à l’occasion de l’Afravih 2022.
La fin de l’année 2021 a été marquée par des innovations thérapeutiques avec l’arrivée des traitements antirétroviraux à action prolongée. Les professionnels-les de santé et les industries pharmaceutiques ont espoir d’une meilleure observance et d’une amélioration de la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) grâce à ces derniers. Cependant, les PVVIH  sont absentes du débat et cette enquête vise donc à recueillir leurs avis. Un questionnaire a été relayé au sein de AIDES. Il portait sur l’intérêt, la confiance en l’efficacité, l’amélioration de vie perçue et les potentiels freins de ces nouvelles formes de traitement. Parmi les 581 répondants-es, 79 % était des hommes, 82 % était nés-es en France, la moitié avait plus de 52 ans et 52 % vivaient seuls-es sans enfant. Environ  la moitié (47 %) déclarait être très intéressés-es par les antirétroviraux injectables, et 30 % se disaient assez intéressés-es. Les personnes très intéressées avaient plus souvent un autre traitement à prendre tous les jours en plus de celui contre le VIH, et cohabitaient davantage avec un entourage non informé de leur statut sérologique. On retrouve également parmi les plus intéressés-es des personnes ayant davantage confiance en l’efficacité, percevant une amélioration de la qualité de vie, et n’ayant pas peur des effets indésirables. Au contraire, les personnes les moins intéressés-es par ces injectables étaient souvent plus âgées, avaient une plus grande facilité dans leurs prises actuelles du traitement VIH, et voyaient le déplacement à l’hôpital pour recevoir les injections comme une contrainte. Cette étude montre un intérêt des PVVIH pour ces injectables, notamment de la part des personnes dont la situation actuelle est compliquée due à la confidentialité de leur statut VIH ou à la difficulté à suivre plusieurs traitements en même temps. La contrainte du déplacement à l’hôpital mérite des adaptations, comme le recours aux soignants de ville pour les injections.

Mieux dépister le VHC en Malaisie
Développer une stratégie efficace de dépistage de l’hépatite C qui ne laisse personne de côté. C’est ce qu’ont cherché à faire un certain nombre d’acteurs-rices de la société civile associés-es au gouvernement, en Malaisie en 2019. Cette présentation à la conférence Afravih 2022 en rend compte. Mais quelle est la sitation du VHC dans ce pays ? En Malaisie, on estime que 450 000 personnes vivent avec l'hépatite C. Il était donc nécessaire que les organisations de la société civile et le gouvernement collaborent pour atteindre les objectifs d'élimination du VHC dans le pays d'ici 2030. Premier élément : les campagnes nationales de dépistage actuelles ont connu peu de succès. Les oganisations de la société civile ont donc réfléchi à un projet pilote intégrant le dépistage du VHC avec des services de réduction des risques ciblant spécifiquement les populations les plus exposées au VHC. Le Malaysian AIDS Council (MAC), créé à l'initiative du ministère de la Santé en Malaisie, est une organisation regroupant 46 organisations non gouvernementales, dont une qui est membre de la Coalition PLUS. Cette structure soutient et coordonne les efforts des ONG, de la société civile et des organisations communautaires qui travaillent sur les questions liées au VIH et au VHC en Malaisie. Le Malaysian AIDS Council a choisi d'intégrer les services de dépistage du VHC à son programme national actuel de lutte contre le VIH et aux services de réduction des risques dans 29 sites de réduction des risques dans tout le pays. Le projet de dépistage du VHC a été financé par le ministère de la Santé et mené par des travailleurs-ses de proximité qui proposaient, soit l'orientation du dépistage vers le dispensaire gouvernemental convivial (« community-friendly ») le plus proche, soit un dépistage communautaire. Ce projet a débuté en mai 2019 avec l'objectif de s’assurer que 30 % des usagers_ères de drogues (UD) dans les milieux de réduction des risques soient dépistés-es pour l'hépatite C et connaissent leur statut. En 2020, cet objectif a été progressivement porté à 60 % des clients actifs, y compris les autres populations clés exposées. Parmi 14391 utilisateurs-rices de drogues (UD) enregistrés-es dans le système en 2019, 1 460 UD (10,1 %) ont été dépistés-es pour le VHC, dont 208 UD (14,2 %) testés-es positifs.ves, entre mai à décembre 2019. Parmi 10528 UD enregistrés-es en 2020, 2 512 UD (23,9 %) et 5 080 personnes appartenant à d’autres populations clés exposées  ont été dépistés-es pour le VHC dont respectivement 614 UD (24,4 %) et 26 personnes appartenant à d'autres populations clés (0,5 %) ont été testés-es positifs-ves de janvier à décembre 2020. En raison du démarrage tardif de ce projet et de la pandémie de Covid-19 en 2020, l'objectif n'a pas pu être atteint la première année, expliquent les auteurs-ices de la présentation. Toutefois, les résultats montrent que près d'un quart des UD testés-es sont positifs-ves, ce qui prouve que l'approche ciblée du programme pilote a été efficace. L'effort de collaboration entre le gouvernement et les ONG doit se poursuivre afin de s'assurer que les stratégies ciblées sont utilisées efficacement pour améliorer l'accès aux services VHC parmi les populations clés telles que les personnes usagères de drogues.

Discriminations et femmes vivant avec le VIH
Dans le cadre de l’infection à VIH, les femmes maliennes sont particulièrement touchées. Elles font face à des stigmatisations liées à leurs différentes appartenances sociales et psychosociales. Le programme communautaire Gundo-So a été mis en place par l’association Arcad Santé PLUS, une importante association de lutte contre le sida à Bamako (Mali). Il propose un accompagnement co-construit entre paires afin de développer des stratégies quant au partage ou non de leur statut sérologique. Lors de l’évaluation du programme, quatorze femmes ont été rencontrées. Au travers d’une approche intersectionnelle (concept qui désigne la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination dans une société), les enjeux associés aux diverses formes de stigmatisations vécues par les femmes ont été appréhendés. Ils font ressortir les difficultés liées au VIH et à la stigmatisation de la maladie, mais également les difficultés engendrées par le statut de femme malienne et par la précarité. Les difficultés financières sont une des difficultés majeures auxquelles elles font face. La dimension communautaire de l’intervention leur permet néanmoins de développer des compétences, des connaissances et un soutien social entre paires face à ces différentes difficultés. L’exemple de Gundo-So et des femmes vivant avec le VIH au Mali rappelle qu’il est nécessaire d’avoir une approche de santé globale et centrée sur la personne plutôt que sur une pathologie afin d’agir globalement sur sa qualité de vie.  Cette étude a été conduite par l’UMR 1296 (Université Lyon 2), Arcad Santé Plus, le laboratoire de recherche communautaire de Coalition PLUS, Aix Marseille Université, Inserm, IRD, Sesstim, etc.

Dispensation trimestrielle d’ARV en Guyane
En France, les traitements antirétroviraux ne peuvent être dispensés en pharmacie que pour une durée d’un mois. Des études ont montré l’impact négatif de ce type de dispensation sur l’observance et le maintien dans le soin des personnes vivant avec le VIH éloignées du système de santé. C’est le cas en Guyane où l’offre de soin est faible et inégalement répartie sur le territoire. Le projet Takari, mené par AIDES sur le fleuve Maroni, en lien avec les centres délocalisés de prévention et de soin et portant sur l’accompagnement à l’autonomie en santé, a corroboré les risques de ruptures thérapeutiques liés à une délivrance mensuelle. Partant de ce constat, l’association a relancé, aux côtés du Corevih Guyane et des prescripteurs-rices, un plaidoyer sur une approche communautaire qui a abouti à la mise en place d’une expérimentation d’une dispensation trimestrielle d’ARV pour les PVVIH guyanaises en situation d’isolement géographique. Dans ce projet, une enquête flash interrogeant les attentes des médecins et des pharmaciens-nes vis-à-vis de la dispensation trimestrielle d’ARV a été conduite par le Corevih Guyane. Elle a pointé une attente des prescripteurs-rices interrogés-es pour l’opportunité de prescription trimestrielle sur la base de critères d’isolement géographique ou de difficultés à assurer des consultations à intervalle rapproché. La dispensation trimestrielle d’ARV pour les personnes vivant avec le VIH guyanaises en situation d’isolement géographique à risque de ruptures de traitements est autorisée temporairement depuis le 1er juillet 2021. Elle fait l’objet d’un protocole de déclaration en cascade : document établi par le-la prescripteur-trice et transmis au pharmacien-ne par l’intermédiaire de la personne concernée par le traitement, puis adressé à l’organisme local de prise en charge des soins par la pharmacie qui dispense ledit traitement ARV. Aujourd’hui, quatorze personnes en bénéficient sur 92 PVVIH prises en charge dans la zone. La dispensation trimestrielle d’ARV dans cette région trouve son origine dans un travail collectif de plaidoyer fondé sur l’approche communautaire en lien avec le Corevih Guyane et les prescripteurs-rices. La crise sanitaire a représenté un levier ainsi que des initiatives précédemment portées. Ce plaidoyer interroge l’inadéquation des réglementions avec les besoins en santé des PVVIH en dépit de données, études et recommandations disponibles. L’autorisation temporaire obtenue doit servir d’exemple et donner lieu à une inscription dans le droit commun de la dispensation trimestrielle d’ARV partout en France.