Lutter contre la solitude et l’isolement liés au confinement

Publié par Mathieu Brancourt le 09.04.2020
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InterviewCovid-19

Baptiste Beaulieu, jeune et médiatique médecin généraliste, affronte comme ses consoeurs et confrères l’épidémie de Covid-19. Il doit faire face aux questions des personnes malades en consultation. Engagé, il ne décolère pas contre le gouvernement qui, pour lui, tente d’échapper à ses responsabilités et aux conséquences de sa politique sur la santé. Par ailleurs, il insiste sur l’importance du lien de la population avec la médecine, malgré le confinement.

Malgré la quantité d’informations, cela n’est pas forcément clair pour tous-tes : quelle est la marche à suivre lorsqu’on est confiné-e, qu’on présente des symptômes du Covid-19 et qu'on appartient à une catégorie de population reconnue plus vulnérable ?

Baptiste Beaulieu : D’après les premiers chiffres et les premières informations reçues des services de réanimation, il semble que les personnes touchées ont, pour la plupart, des troubles cardiovasculaires, du diabète, ont été soignées pour des cancers avec des traitements chimio-thérapeutiques. Mais surtout, le groupe le plus à risque semblent les patients immunodéprimés, et j’entends, notamment ici, les personnes transplantées sous traitement anti-rejet du greffon. Dès lors, les personnes vivant avec le VIH, avec une charge virale très basse ou indétectable et sous traitement ne sont pas plus à risque que le reste de la population du moment que les personnes ont un taux de CD4 suffisamment important (1). Après en l’absence de données là-dessus, à la vue de la situation actuelle, je sors le parapluie du principe de précaution. Toutes les personnes vivant avec le VIH, avec une charge virale indétectable et un bon niveau de CD4 devraient se considérer comme une personne fragilisée, et qu’elles considèrent toutes les personnes croisées comme potentiellement infectées par le Covid-19 et par cela mettre en place les règles les plus strictes, quant au confinement comme aux déplacements exceptionnels. A priori, il n’y a pas d’indicateurs montrant un « danger imminent », mais les choses vont très vite et il faut être prudent. Si on s’aperçoit dans deux mois que ces inquiétudes n’étaient pas légitimes, ce n’est pas grave. Il vaut mieux cela que l’inverse.

Depuis le confinement, comment se déroule vos consultations et quelle prise en charge pouvez-vous faire face à vos patients-es et quelles difficultés rencontrez-vous ?

Le plus important, vous l’avez dit, c’est le suivi. Si une personne, à risque ou non, vient en présentant des symptômes, comme de la fièvre, une toux ou avec des problèmes respiratoires, il faut faire ce qu’on appelle un diagnostic clinique, faute de test : a priori, on considère qu’elle est atteinte. Et si les symptômes demeurent relativement bien tolérés – il n’est pas incompatible d’avoir des symptômes sans pour autant être très malade – les mesures sont très simples : c’est le confinement au domicile avec des antidouleurs. Et pourtant, cela reste totalement inaudible pour les gens. C’est très difficile de dire à quelqu’un qu’il a potentiellement contracté un virus, parfois mortel, et juste de leur dire de rester chez lui et prendre du Doliprane (en respectant les doses). Les gens ne comprennent pas, et je peux me mettre à leur place. Du coup, cela génère beaucoup d’agressivité et de colère chez eux. Face à cela, nous sommes fatigués, sur les nerfs et impuissants. Et c'est aussi pour cela que j’en veux beaucoup au gouvernement, car cela brise des liens de confiance. Il y avait des patients avec qui je m’entendais très bien et qui pensent que je les lâche complètement… (Il s’arrête quelques secondes et reprend). Cela fait des années que j’en accompagne certains et je ne peux que simplement leur dire de rentrer à la maison. Je peux lire dans leurs yeux qu’ils me voient comme un mauvais médecin. Et cela sans pouvoir faire autrement : il n’y a pas de test, on ne peut pas les envoyer aux urgences vu la tension actuelle à l’hôpital. Ils ne prennent plus de patients « debout ».

Vous évoquez ce sentiment d’impuissance et le regard des patients-es qui ont l’impression d’avoir des solutions dérisoires. Qu’est-ce qui vous interpelle dans le discours officiel, qu’il soit médical ou politique, auprès du grand public depuis le début du confinement ?

Ce qui me frappe, c’est le discours de propagande gouvernementale, notamment dans l’utilisation de ce langage guerrier pour se dédouaner de toute responsabilité et dire que ce n’est pas de leur faute si on est « attaqué par un virus ». Cela en omettant les conséquences de la casse de l’hôpital public, depuis des années, sur notre capacité à réagir et à s’organiser. Celle-ci n’est pas juste imputable à ce gouvernement, mais à l’ensemble des mesures prises depuis des années lors des mandatures précédentes qui ont leur part de responsabilité. Accuser un virus plutôt que de réfléchir aux impacts de leur politique libérale qui a pu conduire à ce désastre sanitaire, c’est évidemment plus simple. Tout ce narratif guerrier et héroïque afin de se déculpabiliser de la situation actuelle, pendant que les soignants-es doivent affronter des patients qui ne comprennent pas, qui nous en veulent car ce qu’ils ou elles entendent dans la bouche des politiques n’est pas la réalité du terrain. Les tests sont toujours impossibles à obtenir, ou cantonnés aux patients très vulnérables et aux soignants affrontant l’épidémie. Les disparités sont criantes entre les pays et on donne l’impression que la France ne donne pas les moyens de tester ou soigner le Covid-19, quoi que l’on pense des options thérapeutiques à l’essai aujourd'hui.

Ce décalage entre le discours du gouvernement et la réalité de l’hôpital et de la médecine de ville rend donc délicate la diffusion d’une information juste et acceptée. Que souhaitez-vous dire aux personnes qui s’inquiètent ou ne savent pas quoi faire face au confinement et à leurs craintes légitimes vis-à-vis de la maladie ?

Le plus important pour moi, c’est que les personnes continuent à être suivies après avoir consulté. Comme je l’ai expliqué, je ne peux pas beaucoup aidé sur le plan thérapeutique. La seule chose que je peux faire, c’est me démener pour les rappeler et prendre des nouvelles, à deux jours, à cinq jours à une semaine puis deux, après le premier rendez-vous. C’est-à-dire ne pas laisser les gens isolés face à leur état, autant que faire se peut. Pour les gens qui sont seuls pendant leur confinement, je ne peux que leur conseiller de se trouver une personne de confiance avec qui partager leur situation, suivre les symptômes et qui pourra appeler les secours en cas de dégradation pour l’autre. Il faut, par tous les moyens possibles lutter contre la solitude et l’isolement liés au confinement. Même un lien par téléphone peut briser cet isolement et surtout permettre qu’un suivi médical puisse se faire d’une manière ou d’une autre.

(1) : Plus de 200 CD4/mm3 selon la Société française de lutte contre le sida (SFLS) et la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf).