Marche pluvieuse, marche furieuse !

Publié par Mathieu Brancourt le 01.07.2014
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InitiativeMarche des fiertés 2014

Sous les torrents du ciel, c’est une marche résolument militante qui a traversé Paris ce samedi. Un an après le mariage pour tous, des actions dénonçant les reculades du gouvernement socialiste ont émaillé une marche où les politiques ont vite déserté le macadam. Seronet y était, mouillé.

13h30 aux abords du jardin du Luxembourg. Boulevards bloqués et chars garés sur le côté : les préparatifs de la Marche des fiertés touchent à leur fin. Dans une demi-heure, il sera temps pour les participants et associations présentes de marcher (ou rouler pour les plus chanceux) durant un des événements phares de la communauté LGBT. Devant le camion de l’Inter-LGBT, organisatrice de la parade, les têtes d’affiche prennent place derrière la banderole de tête. Les principaux représentants des associations de familles homoparentales, de jeunes lesbiennes et gays, des bis, des personnes trans sont venus réclamer plus de droits pour toutes et tous, tel le slogan choisi par les organisateurs. Ils sont progressivement rejoints par quelques politiques de gauche et la nouvelle maire de Paris, Anne Hidalgo. Et entre la pluie et la rumeur (confirmée lundi 30 juin par Najat Vallaud-Belkacem) de recul du gouvernement sur les "ABCD de l’égalité", documents pédagogiques à destination des professeurs afin de lutter contre les discriminations et les stéréotypes de genre dès l’école, le climat s’annonce maussade pour la suite des festivités.

Les huiles chahutées

L’Inter-LGBT avait annoncé dans sa conférence de presse qu’il n’y aurait pas "d’accueil spécifique des personnalités politiques issues de la majorité". En d’autres termes, pas question de faire sentir directement aux élus PS qu’ils ne sont plus en odeur de sainteté chez certains militants LGBT, mais ces derniers se sont très vite chargés de le leur rappeler. Derrière le cordon presse, les militants du collectif Oui Oui Oui ! sont venus hurler leur colère à l’aide de gigantesques portraits de François Hollande et Manuel Valls, respectivement "traitre" et "lesbophobe" suite à l’abandon progressif de la PMA pour les lesbiennes, sous le sourire entendu de certains politiques écolos ou de la gauche plus radicale. Derrière la presse, le cordon de sécurité n’a pas empêché les slogans de porter jusqu’à eux. Interrogé par Seronet, Jean-Luc Roméro, conseiller municipal (apparenté PS) du 12e arrondissement et siégeant au conseil régional d’Ile-de-France, fait la distinction entre "la politique de l’Etat" et celle de la région : "En Ile-de-France, nous soutenons la lutte contre le sida, avec 4 millions d’euros par an, mais aussi la lutte contre les discriminations, en travaillant avec le milieu associatif". Sur la question des reculades du gouvernement, il comprend la colère des militants, mais défend les avancées portées par la gauche". Nous venons à la Gay Pride depuis 20 ans, nous sommes des partisans de l’égalité". Et une élue PS non loin d’ajouter, "Les impatiences, c’est normal, mais il faut savoir qu’il n’y a que la gauche qui porte ces sujets là". Pas le temps de poser plus de questions, les photographes et rédacteurs sont expulsés prestement du carré de tête. "On n’est pas la manif pour tous !", se plaint même un journaliste.

14h30, le cortège se met enfin en branle. Mais, seulement quelques mètres plus loin, d’autres activistes, à l’initiative du collectif Gender Terroristas déploient une banderole, très critique sur les postures "d’apaisement" et les choix de société du gouvernement, notamment sur l’abolition de la prostitution. "PS dégage !" ou "Putes pénalisées, Putes assassinées !", scandent le petit groupe, très vite pris en sandwich par les journalistes et la sécurité. Une deuxième action éclair qui illustre le divorce consommé entre une gauche élue en 2012 par l’espoir des revendications d’égalité longtemps restées lettres mortes sous la droite, et les activistes sida ou LGBT. En une année, les promesses politiques post-mariage pour tous sont devenues "trahisons socialistes". Sous leurs parapluies, l’ensemble de la gauche présente assiste impuissante à ces manifestations de colère. Et très vite, face à une pluie redoublant d’intensité, ils partiront en catimini vers des contrées plus sèches… et moins exposées.

Danser pour oublier ?

Désertée par les politiques et les plus frileux, la Marche continue sa route vers la scène, avec pour seul chauffage la musique crachée des baffles et les remontants en canette. Malgré les déceptions politiques, la joie de célébrer malgré tout la fierté LGBT, dans l’adversité d’un temps automnal, en souvenir d’une année précédente à marquer de la pierre noire de l’homophobie, reste vivace. "Le chantier n’est pas terminé", indique le char des Ours. Et les associations ne lâchent rien devant les trombes d’eau. Le vote du mariage pour tous en mai 2013 reste, pour beaucoup d’activistes, le paravent derrière les actuels gouvernants se cachent pour justifier le coup d’arrêt dans le portage des revendications des trans, bis, lesbiennes et gays.

"Nos revendications ne sont pas des caprices et ne doivent plus attendre, car les discriminations en tant que personne trans sont quotidiennes", explique Timéo, vice-président de l’association de défense des personnes trans Acceptess-T. La loi pour le changement d’Etat civil facilité, proposé en 2011 par Michèle Delaunay, alors députée, n’est toujours pas à l’agenda. Idem pour le "Plan Belkacem" pour une lutte renforcée contre les inégalités femme-homme et les discriminations, notamment liées à l’orientation sexuelle, sans calendrier. Trempés, lessivés, mais presque heureux d’une marche épique, les participants arrivent place de la République épuisés, mais fiers d’avoir pu mettre en exergue la portée militante de la Marche des fiertés, trop souvent rangée au rang de manifestation seulement festive dans les médias. Qu’on se le dise, il faut bien plus qu’un déluge pour arrêter les LGBT et leurs ami-e-s. Vivement 2015, mais cette fois avec le soleil.