Maroc et VIH : Hakima Himmich dresse un bilan

Publié par jfl-seronet le 06.09.2012
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Présidente de l’ALCS, la principale association de lutte contre le sida au Maroc, et présidente (depuis juillet) de Coalition PLUS, Hakima Himmich a répondu le 10 août dernier au journal "Libération" (Maroc). Dans cette interview, elle dresse un panorama de la situation dans son pays et revient sur la volonté du gouvernement marocain d’encadrer le secteur associatif… ce qui aurait des conséquences pour les associations de lutte contre le sida. Extraits.
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"Quel est l’état des lieux au Maroc ?", demande "Libération". "Il faut tout d’abord rendre hommage au ministère de la Santé, à la cellule de gestion du Fonds mondial [de lutte contre le sida, ndrl] et à la société civile", explique, en préambule, Hakima Himmich. "Beaucoup de choses ont été faites dans notre pays. Le Maroc s’est doté d’un très bon plan stratégique national. Grâce au sérieux de la gestion du précédent financement du Fonds mondial, et aux excellents résultats obtenus, il a été renouvelé. Le nouveau financement démarre en juin 2012 pour une période de 2 ans renouvelables une fois". Ça, c’est pour les bons points car, comme le reconnaît volontiers la militante : "Il reste encore beaucoup à faire".


"Il ne faut pas que seulement 20 % des personnes ayant une infection à VIH, le sachent mais plutôt 80 %, avance-t-elle Pour cela, il faut vraiment passer à la vitesse supérieure. Le travail entamé par le ministère qui a mis en place le dépistage dans les centres de santé et dans les maternités doit être renforcé. A l’ALCS, on pourrait effectuer 10 fois plus de dépistage si on disposait de ressources humaines suffisantes. Sachant que le ministère manque lui-même de médecins, nous proposons que le test puisse être réalisé par des volontaires associatifs (…) Il suffit de les former pour qu’ils deviennent opérationnels comme cela se fait en France depuis deux ans. Mais nous n’avons pas d’autorisation dans ce sens. Les infirmiers devraient également apprendre à pratiquer ce test. Mais d’après la circulaire du ministère de la Santé, seuls les médecins peuvent pratiquer le test et délivrer les résultats". Soit une stratégie très limitée en matière de dépistage alors que c’est une des clefs de la réussite de la lutte contre le VIH. Hakima Himmich pointe une autre difficulté : le manque de "médecins spécialisés en maladies infectieuses et, de ce fait, il y a des régions entières qui ne disposent de service spécialisé dans la prise en charge de patients atteints d’infection à VIH. Nous pourrions compenser le manque d’infectiologues en formant des médecins généralistes qui travailleraient sous le contrôle des spécialistes".
 
La prévention aussi des difficultés. La présidente de l’ALCS mentionne dans son interview les problèmes faits aux travailleuses du sexe. "En matière de prévention, nous sommes confrontés à un grave problème sur le terrain. Selon les personnes chargées de la prévention auprès des professionnelles du sexe, ces dernières refusent de plus en plus de prendre des préservatifs que nous donne le ministère de la Santé et que nous leur distribuons. La raison est que, si elles se trouvent en possession de préservatifs lors d’un contrôle de police, cela constitue un flagrant délit de prostitution". Dans "Libération", la militante rappelle que ce problème n’est pas nouveau et qu’elle a du, il y a quelques années déjà, plaider auprès du ministre de l’Intérieur et du directeur de la Sûreté pour que le fait de posséder des capotes n’ouvre pas à des poursuites. Les responsables d’alors avaient donné des consignes et le problème avait été résolu. Ce n’est manifestement plus le cas.


Que se passe-t-il du côté des traitements ? "Actuellement, le traitement par génériques coûte 250 dirhams [23 euros] par personne et par mois. Ils sont parfois mal tolérés, ce qui nécessite de les changer et on estime qu’au bout de deux ans de traitement, environ 20 % de patients développent des résistances et nécessitent la prescription de nouveaux médicaments protégés par des brevets et qui coûtent 18 000 à 20 000 dirhams [de 1 637 à 1 820 euros] par mois et par patient, ce qui les rend inaccessibles pour les pays du Sud", explique Hakima Himmich. La présidente de l’ALCS indique, que "dans la population générale, la prévalence de l’infection à VIH reste faible : 0,1 % mais dès qu’on se dirige vers les populations les plus exposées au risque, la situation devient préoccupante avec des épidémies concentrées (…) Les professionnelles du sexe avec une prévalence moyenne de 2,8 % sur l’ensemble du territoire et de 5 % dans la région d’Agadir (…). Les usagers de drogues avec une prévalence moyenne du VIH de 13,8 %, prévalence qui atteint 22,5 % à Nador (…). Les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes : la prévalence est de 5,5 % dans la région de Marrakech et d’Agadir".


Très riche, l’interview proposée par "Libération" aborde le traitement comme prévention, les nouvelles recommandations d’initiation de traitement et aborde aussi un sujet, délicat, interne au pays : la volonté du "Département du ministre chargé des relations avec le Parlement et de la société civile concernant l’encadrement du secteur associatif". Hakima Himmich ne mâche pas ses mots : "On cherche simplement à étouffer les associations démocrates en empêchant leur financement au moment où la nouvelle Constitution accorde à la société civile une place très importante. Il y a une grande mobilisation de la société civile contre ce projet de circulaire. D‘après les lois existantes, nous sommes tenus de déclarer toute subvention que nous recevons de l’étranger au Secrétariat général du gouvernement, ce que nous faisons systématiquement depuis des années (…) Il est hors de question que pour une subvention dépassant 50 000 dirhams, nous ayons à passer par les services du ministère en charge des relations avec la société civile. A noter que tous les projets de l’ALCS sont inscrits dans le Plan stratégique national [de lutte contre le VIH/sida, ndlr]. S’il y a le moindre problème, c’est au ministère de la Santé de nous le faire savoir".