Matons la parole libre

Publié par Mathieu Brancourt le 26.11.2012
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Reporter pour Seronet, Mathieu Brancourt poursuit son voyage en Ukraine à l’invitation du Fonds mondial de lutte contre le sida pour voir quels sont les enjeux de la lutte contre le VIH/sida, les hépatites et la tuberculose dans ce pays aux frontières de l’Europe. L’Ukraine est le pays d’Europe de l’est le plus touché par le VIH. Mathieu nous propose chaque jour un billet de voyage… Deuxième étape.
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Deuxième jour, petite nuit. La veille fut rude en émotions et en température. Qu'importe, adieu Kiev pour le centre pénitentiaire de Bucha, à 50 kilomètres de la capitale. Un passeport en moins et trois portes grillagées plus tard, bienvenue dans la seule prison accueillant un "hôpital" fermé de 112 lits, capable de traiter et suivre des détenus, notamment séropositifs. Ce programme d'accès aux traitements est, sans grande surprise, financé par le Fonds mondial à travers l'organisation non gouvernementale Network. L'organisation fournit également des préservatifs aux prisonniers. Les gradés ukrainiens, eux, ne badinent pas sur la qualité des soins des "taulards". Pourtant, malgré le coup de peinture fraîche (ça collait encore au doigt, juré !) et l'appartement modèle refait à neuf, la visite laisse perplexe. Les autres portes qui s'ouvrent se referment sur un discours des soignants policés, voire poussiéreux. Les prisonniers se laissent aller à quelques commentaires, sous l’œil stoïque d'un maton : les capotes sont là, pas de discrimination envers les personnes séropositives de la prison et une administration bienveillante vis-à-vis des personnes. Hop, hop, hop, on passe de pièce en pièce pour apprendre que Bucha, c'est paix et amour avec les homos ou les séropos. Clou du "spectacle", deux pauvres prisonniers vivant avec le VIH "prêts à l'emploi" pour une interview avec dix journalistes dans un salon privé. Quelques bribes de vie pour un discours officiel bien calibré, malgré les tentatives d'éclaircissement. "Ya nié znayou" ("Je ne sais pas", en ukrainien, ndlr) obtient-on en réponse. Cet homme détenu ne peut certainement pas répondre à toutes les questions, mais il sait surtout qu'un grand bonhomme en costume militaire le fixe sans ciller depuis le début de l'entrevue. Bref, une visite forte et intéressante sur un programme pilote d'accès aux traitements pour les prisonniers, population particulièrement vulnérable au VIH et à la tuberculose, mais à ne pas prendre pour argent comptant. A l'oreille, un activiste me souffle que les prisons ukrainiennes sont ravagées par la tuberculose, que c'est là que la stigmatisation, de la part des gardiens ou entre détenus est la plus forte et que l'accès à du matériel propre pour les injecteurs n'est toujours pas possible. La réalité a fait le mur, nous voilà rassurés. Ou pas...