Médicaments : les annonces d’Edouard Philippe inquiètent

Publié par Rédacteur-seronet le 17.07.2018
4 159 lectures
Notez l'article : 
5
 
0
PolitiqueMédicament

Lors de la réunion du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) du 10 juillet 2018, le Premier ministre, Edouard Philippe, a annoncé diverses "innovations" : accélération de l'accès aux nouveaux médicaments, accélération des délais d'examen des demandes d'essais cliniques, facilitation de l'exploitation industrielle de découvertes des chercheurs-euses du secteur public, augmentation des dépenses pharmaceutiques prises en charge par la solidarité nationale. Il a ainsi accepté les principales demandes des firmes pharmaceutiques. Dans un communiqué (12 juillet), plusieurs organisations, dont AIDES, se demandent si en tant que contribuables, personnes malades, il n’y a pas lieu de s’inquiéter de la satisfaction de l’industrie pharmaceutique aux annonces gouvernementales.

Dans leur communiqué, les organisations — AIDES, France Assos Santé, la Ligue nationale contre le cancer, Médecins du Monde, la revue Prescrire, Universités alliées pour les médicaments essentiels, UFC-Que choisir — reviennent sur les différents points abordés dans le discours d’Edouard Philippe.

Accélération de l’accès aux nouveaux médicaments, sacrifice de l’évaluation ?

L’amélioration de l’accès rapide aux progrès thérapeutiques fait, a priori, consensus. Des personnes malades notamment atteintes de pathologies orphelines ou en situation d’échec thérapeutique témoignent, chaque jour, de besoins thérapeutiques encore insatisfaits et (sur)vivent dans l’attente de médicaments efficaces et bien tolérés. Mais nous sommes vigilants à ce que leur situation ne soit pas instrumentalisée, avance le communiqué. Les demandes d’accélération, voire de précipitation, de la mise à disposition de médicaments touchent en effet des intérêts et réalités bien différentes : course à l’attractivité pour les industriels, recherche de médicaments apportant une véritable amélioration ("guérison", tolérance, qualité de vie) pour les personnes malades. Si les avancées thérapeutiques sont réelles dans certains domaines, les médicaments apportant une véritable amélioration sont beaucoup moins nombreux que les nouveaux médicaments.

Un dispositif d’accès précoce aux médicaments existe

La France dispose du dispositif d’Autorisation Temporaire d’Utilisation (ATU), essentiel pour permettre un accès rapide aux médicaments indispensables pour les malades ne bénéficiant d’aucun traitement ou en situation d’échec thérapeutique. Nous considérons que ce dispositif, amélioré dans le cadre de ce CSIS, doit rester le socle de base de l’accès rapide aux nouvelles thérapeutiques, explique le communiqué des organisations.

L’évaluation des médicaments doit être maintenue et même renforcée

Le processus d’évaluation des médicaments est présenté par les industriels du médicament comme la principale cause des délais d’accès au marché. Ces retards sont, en fait, dus au temps de négociation de prix, notamment face aux exigences de prix très élevés des industriels pour des médicaments n’apportant pourtant qu’une amélioration du service médical rendu mineure (IV) ou inexistante (V, soit une "absence de progrès thérapeutique"). Les données présentées par les industriels sont souvent trop incomplètes ou ne présentent pas un recul suffisant pour établir qu’ils représentent un progrès tangible pour les patients-es. Nous sommes particulièrement inquiets sur l’annonce de l’ouverture d’un vaste chantier visant à réformer l’évaluation du médicament qui, au regard des essais fournis par les industriels, mérite justement d’être renforcée, expliquent les organisations.

Accélération des délais d’examen des demandes d’essais cliniques, sacrifice de la protection des personnes ?

Nous souhaitons tous que la recherche avance, rappellent les organisations. Les procédures d’autorisation des essais cliniques sont présentées comme la principale cause des délais qui grèveraient l’attractivité de la France pour la recherche clinique. Les demandes des industriels ont trouvé un premier écho dans une récente proposition de loi visant à réformer la procédure de tirage au sort des comités de protection des personnes (CPP) (voir article sur Seronet). De nouvelles mesures présentées dans le cadre du CSIS continuent à nous alerter. Le cadre éthique de la recherche est une force française et ne mérite pas d’être sacrifié sur l’autel des enjeux économiques. La première avancée consisterait à améliorer le dispositif en dotant les CPP de moyens à la hauteur de leurs missions.

Risque pour la solidarité nationale

Le Premier ministre a annoncé une garantie de croissance du chiffre d’affaires des médicaments remboursables. Mais les patients-es ont besoin que les cotisations sociales et les impôts soient mieux utilisés ! Ces annonces de hausses des dépenses font des firmes pharmaceutiques des privilégiées. Qui d’autre a l’assurance aujourd’hui en France d’une augmentation régulière de ses revenus, qui plus est à partir d’argent public ? Le Premier ministre cède face aux prix de plus en plus exorbitants des nouveaux médicaments qui mettent en danger la solidarité nationale, alors qu’il aurait fallu exiger une transparence sur les coûts de recherche et de production de ces médicaments, et une évaluation clinique rigoureuse de ces médicaments permettant de savoir ce qu’ils apportent réellement aux patients.

Personnes malades privées de traitement

Les industriels veulent aller vite et fort. Il faudrait aussi les encourager à remplir leur première mission. Le pays est profondément touché par la survenue régulière de ruptures d’approvisionnement de médicaments. Toutes les classes thérapeutiques sont touchées, notamment des médicaments vitaux et des vaccins. Les conséquences pour les patients-es sont nombreuses : perte de chance, difficulté d’adhésion au traitement, effets indésirables engendrés par l’imposition de changements de traitements. Les conséquences en termes de santé publique sont tout aussi inacceptables : les pénuries de vaccins peuvent ainsi brutalement mettre à mal des années d’efforts en santé publique. Nous regrettons que le CSIS reste silencieux sur cette question.

Le Premier ministre propose également d’améliorer le transfert de la propriété intellectuelle, cependant sans préciser quels mesures et engagements seront pris pour garantir que la recherche publique sera valorisée de façon responsable et que les médicaments et produits de santé issus de la recherche publique française seront abordables et accessibles à tous.

Bref, les annonces d’Edouard Philippe ne présentent aucune proposition pour une valorisation responsable de la recherche publique dans le progrès thérapeutique, ni d’amélioration d’accès pour les personnes malades à moyen terme. Une vigilance citoyenne s’impose, estime le communiqué.

Pour une analyse des enjeux posés aujourd’hui par les médicaments, on vous recommande de lire : "Prix, valeur thérapeutique et accessibilité des médicaments : la société civile s’invite dans le débat public pour servir l’intérêt général" (Juin 2018).