"Métro, boulot, séropo" ?

Publié par jfl-seronet le 06.01.2010
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travail et VIHtravail
Parler de sa maladie chronique ou de son handicap dans l'entreprise ne va jamais de soi. C'est encore plus difficile dès lors qu'il s'agit du VIH. Un Colloque organisé le 1er décembre dernier par AIDES et Sciences Po Paris a cherché à comprendre pourquoi et à avancer quelques solutions. Explications.
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Rien de mieux que les cas d'école pour comprendre ce qu'il peut y avoir comme enjeux, mais aussi comme difficultés, dans le fait de dire ou de ne pas dire sa séropositivité dans le cadre professionnel, de pouvoir ou pas le faire… En voici un : "Vous êtes cadre dans votre entreprise. Vous avez 40 ans. On a découvert, il y a trois mois, que vous êtes séropositif. Votre charge virale est très élevée et vos défenses immunitaires sont faibles (votre taux de T4 est bas). Personne n’est au courant dans votre entreprise. "Déconnecté" pendant ces trois mois, très amaigri et fatigué, une évaluation vous concernant manifeste les inquiétudes de votre entourage professionnel et les défaillances de vos performances. Votre responsable vous invite à lire et commenter cette évaluation. Que faites vous ?"


Un autre cas ?  "Suite à votre demande de mobilité et dans le cadre d’une montée en responsabilité, votre directeur général vous convoque dans son bureau et vous confie la direction de l’agence qui vient d’être créée en Chine par votre entreprise. Il vous avait été proposé, il y a un an, la responsabilité de l’agence de Séoul et vous l’aviez refusée en justifiant la taille modeste de cette agence par rapport à votre situation et à vos performances dans l’entreprise. Que faites-vous et comment lui dire que vous ne pouvez accepter cette proposition  car la Chine refuse l’accès des séropositifs sur son sol ?" Deux exemples qui amènent pas mal d'interrogations et qui sont loin d'être uniques. Deux cas qui montrent, à tout le moins, la complexité qu'il existe d'une part à "vivre et travailler avec le VIH" et d'autre part à savoir s'il faut "dire ou ne pas dire que l'on est séropositif dans l'entreprise".

Dans ce domaine, les questions sont nombreuses et délicates : "Etre séropositif, cela veut-il dire être malade ?", "La santé fait-elle partie de la sphère privée ou de la sphère professionnelle ?", "A partir de quand je peux ou je sens qu'il faut évoquer ces sujets au travail ?"… Comme on l'imagine, il n'y pas de réponses générales, valables pour tous et toutes. Il n'en reste pas moins que derrière chaque prise de décision individuelle (je dis, je ne dis pas), il y a l'appréciation personnelle de certains critères communs à toutes les personnes séropositives. Par exemple, le fait que le VIH est toujours une maladie stigmatisante, que l'annonce de la séropositivité est une césure profonde dans la biographie d'une personne, qu'une majorité de personnes séropositives dit souffrir d'isolement, qu'il y a une grande différence lorsqu'on est ou pas sous traitement…

Lors du Colloque AIDES et Sciences Po Paris, Catherine Cavalin du Centre d'études de l'emploi a indiqué dans sa présentation (réalisée avec sa collègue Sylvie Célérier) que dans l'enquête Vespa 2003 : 75 % des personnes vivant avec le VIH sont actives. 57 % ont un emploi et 18 % sont au chômage. Il y a certes eu des "gains depuis les antirétroviraux… mais des différences persistent". Ainsi, si plus de personnes séropositives ont aujourd'hui un emploi qu'avant 1994, à diplôme, âge, sexe, nationalité équivalents, elles ont, aujourd'hui encore, moins accès à l'emploi que la population générale. Le VIH est très clairement une "barrière à l'entrée ou au retour à l'emploi". Il est aussi, alors que cela est strictement réglementé par le code du travail, cause de licenciement.

"Le VIH est une maladie rarement révélée sur le lieu de travail. 70 % des séropositifs ont choisi de taire leur maladie sur leur lieu de travail selon l'enquête Vespa de 2003, indique Jean-Louis Lecouffe de AIDES, organisateur du Colloque du 1er décembre. Dans le cadre de l'enquête "AIDES et Toi 2007", 29,5 % des personnes s'estiment discriminées au travail. Comme dans le reste des domaines de la vie, le VIH est à la fois un "révélateur et un amplificateur d'autres difficultés. "Il y a des facteurs de fragilité que la maladie peut mettre en crise, explique Jean-Louis Lecouffe. Par exemple, une orientation professionnelle mal acceptée, une orientation sexuelle mal vécue, un isolement social et familial, une activité professionnelle où la personne se sent en limite de compétence, une précarisation liée à la maladie, des effets sur l'activité professionnelle qui amplifient le processus de mal être, etc."

La dicibilité (le fait de dire son statut) est un élément clé du dispositif légal. Du point de vue du code du travail, il est indiqué que le candidat ne doit pas être interrogé sur son état de santé lors d'un entretien d'embauche. Par ailleurs, l'état de santé est du domaine de la vie privée et le code du travail garantit le respect de la vie privée. Concernant la visite médicale d'embauche, le médecin du travail est tenu au secret professionnel. Les seules informations qui sont transmises à l'employeur concernent l'aptitude au poste proposé et éventuellement les restrictions d'aptitude au poste de travail. Le médecin ne doit pas donner de précision sur les motifs médicaux justifiant la décision. Bon, ça c'et dans l'idéal et ce n'est pas toujours ce qui se passe dans la vraie vie. Médecin du travail,  membre de Cinergie (handicap, santé, travail), le docteur Belaïd Aït-Ali, explique que "parler de sa maladie relève avant tout d'une décision personnelle", et qu'il y a de nombreux éléments à prendre en compte. Outre ceux déjà cités, on peut ajouter : "La personne doit-elle justifier des absences fréquentes ? Doit-elle bénéficier d'un aménagement du temps de travail ? Est-ce plus difficile de parler du VIH que d'une autre maladie ? Evoquer sa maladie risque t-il de porter préjudice dans le cadre d'un emploi qui exige des performances, de la rentabilité ? L'entreprise fait-elle preuve d'ouverture concernant les employés atteints de maladies chroniques ?, etc."
Là encore, il n'y a pas de solution miracle. Et tout va être apprécié dans l'équilibre entre les risques pris à dire sa séropositivité et les bénéfices qu'on en escompte. Chacun mesure de quel côté la balance pèse… pour lui.

Mais ce qu'a surtout démontré cette table ronde, c'est la nécessité collective (entreprises, syndicats, associations, personnes concernées…) d'agir sur le milieu de travail. Un des enjeux est notamment que les collègues, l'employeur, la hiérarchie acceptent mieux une situation fluctuante. Cela passe par un changement dans les relations humaines (et pas seulement du point de vue de la gestion de personnel). "En fait, cela revient pour l'entreprise à se poser une question : "Comment gérer la différence au sein d'une entreprise sans faire la différence", explique Jean-Louis Lecouffe. Cela passe aussi par la mise en place d'une politique d'entreprise qui assure la sécurisation des parcours professionnels pour les personnes qui vivent avec une maladie chronique."

Le VIH s’assimile par bien des points au handicap et aux maladies chroniques qui doivent faire partie des négociations annuelles entre les partenaires sociaux. c’est dans ce cadre que se discutent les adaptations du travail ( temps et organisation), mais les a priori et les clichés interfèrent encore trop surtout lorsqu'ils débouchent sur la stigmatisation des personnes différentes (homosexuels, les personnes consommatrices de drogues). Si l’entreprise a un niveau d’ouverture tel que ce type de différences n’est pas seulement "toléré", mais intégré, elle reste exemplaire et rare. Le représentant de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines a clairement indiqué, lors du colloque, que ce point était fondamental pour aborder la dicibilité. Le gain de ces débats, c’est l’accord sur les difficultés spécifiques au VIH qui s’insèrent dans les problèmes propres au handicap. C’est aussi la volonté de tous de faire évoluer la vie sociale dans les entreprises pour mieux prendre en compte la problématique des personnes séropositives. Sur cette base, le dialogue peut continuer pour s’inscrire dans la vie concrète des entreprises et des personnes concernées au sein de ces entreprises. Celles-ci doivent trouver des lieux pour dire de façon anonyme leurs attentes de façon très pratique. Chiche !

Crédit photo : "En retard au travail" (superhéros) par Eneas

 "See through at work" par Littledan77

"No work" par Cell105

Commentaires

Portrait de nathan

J'avais évoqué ce "colloque" ici sur Seronet, il y quelques mois.

Les deux premiers exemples, il est vrai, correspondent tout à fait à la réalité majoritaire des membres de Seronet... Euh... J'ai dit une connerie ?

C'est vrai que, dans la population vih, il y a autant de "privilégiés" (d'ailleurs quelqu'un a écrit aujourd'hui un billet de blog qui s'intitule "Je suis un privilégié") que dans la population... "saine".

Mais il y a aussi beaucoup plus de situations sociales catastrophiques que dans la population générale. Et là, je ne pense pas dire de connerie puisque cela figure dans les Recommandations successives... A moins que même là, on ne dise que des conneries...

Pour le reste, j'y reviendrai...

Mais quand même un point important : à partir du moment où on continuera à penser comme le laisse entendre ce compte-rendu que c'est aux personnes vivant avec un handicap auxquelles il faut trouver des aménagements pour s'adapter à la société, à mon avis, on ne sortira pas de ce sac de noeuds...

Par contre, à partir du moment où on pensera, on concevra la société (comme cela se fait dans de nombreux pays déjà) pour qu'elle s'adapte au plus petit dénominateur commun, par exemple, le handicap, alors les choses changeront peut-être...

Portrait de youyou

C pas demain la veille que la société s'adaptera c'est moi qui doit m'adapter à la société c'est justement la que ça coince. C'est marche ou crève c'est tout!
Portrait de jeanlouis

C'est vrai que c'est à moi de m'adapter à la société; mais la société a aussi tout intérêt à ce que je sois bien dans mon boulot pour que je sois le plus performant; et ....le seul qui peut dire ce dont il a besoin.....C'est moi. Comment veux tu que quelqu'un qui n'est pas dans ma peau sache ce dont j'ai besoin alors que chaque cas est spécifique pour le VIH et si on prend la palette des maladies chroniques, les besoins sont encore plus variés d'une personne à l'autre.comment veux tu que les DRH sachent ce qui vaut mieux à chacun? Tu as raison c'est à nous de nous adapter mais le monde du travail n'est pas fait que de "bien portants performants"....Une personne sur deux en age de travailler a eu , a ou aura des problèmes de santé grave. A partir du moment où tu sors ces chiffres, tu montres tout l'intérêt d'une adaptation de chaque poste à chaque personne concernée.Cela devient un enjeu central pour les entreprises et...leur DRH.
Portrait de nathan

mais bien sûr on voit toutes les difficultés pour que cela entre réellement en vigueur. Il faut se battre pour que les exigences de la loi soient respectées et pour lutter contre l'inertie actuelle du gouvernement et du Législateur en ce domaine. Il y a à la fois un combat individuel à mener sur son lieu de travail pour être reconnu et un combat collectif à mener pour faire pression sur les élus afin que la loi soit respectée et aille encore plus loin.
Portrait de frabro

Si j'ai bien compris ce qui est écrit plutôt, il faudrait que la société s'adapte au plus petit dénominateur commun... Donc que 65 millions de français subissent les contraintes de 150.000 séropositifs, lesquels d'ailleurs n'ont pas tous les mêmes contraintes et les mêmes besoins...ça va pas etre simple ! Que la société prenne en compte les adaptions liées à TOUS les handicap me parait indispensable. mais à mon sens ça veut dire nous donner les moyens de vivre avec nos contraintes, dans le respect de nos droits et de nos différences mais dans la société et acceptés par elle. pas de forcer toute la société à s'adapter à nous. Le contraire a donné, poussé jusqu'à l'absurde, l'adaptation de tous les nouveaux logements créés aux normes handicapées au lieu du quota précédemment imposé. Résultat : une augmentation conséquente du prix de tous les logements collectifs neufs...
Portrait de jeanlouis

Il est clair que l'adaptation d'un poste de travail à des situations très variables nécessite un assouplissement du cadre de travail ( et non pas l'adaptation d'un poste à toutes les pathologies possibles) mais les contraintes industrielles des années 60 deviennent de moins en moins incontournables; on peut évoquer les moyens techniques avec le télétravail quand c'est nécessaire et possible; on peut imaginer une modification des temps de travail qui peuvent être utiles pour l'employeur. Très souvent, l'aménagement du poste porte sur le temps de travail......et pour beaucoup, la proximité de toilettes disponibles est le seul autre besoin impérieux. Le troisième sujet porte sans doute sur la mobilité en liaison avec les cadres juridiques différents des différents pays qui entravent cette mobilité. Je ne vois pas en quoi ce type de contrainte ne peut trouver des réponses intelligentes. L'application du "droit au travail" suppose la lutte contre les discriminations et les stigmatisations et l'adaptation du système . notons que les ALD intéressent 8 millions de français.....On n'est vraiment pas dans la marginalité.....
Portrait de nathan

"On peut évoquer les moyens techniques avec le télétravail quand c'est nécessaire et possible; on peut imaginer une modification des temps de travail qui peuvent être utiles pour l'employeur." (Jean-Louis)

En ce qui me concerne, je bénéficie très exactement de ces deux aménagements plus quelques autres.

Mais dans la réalité, le législateur vient encore la semaine dernière de repousser sine die l'obligation aux logements neufs d'être adaptés aux personnes en situation de handicap.

En France, il faut vouloir plus pour obtenir un peu. C'est cela la réalité et non pas celle que décrit frabro qui n'est que théorique.