Michel Kazatchkine : "Le cadre légal prend une importance capitale dans la réponse contre le VIH"

Publié par Rédacteur-seronet le 25.10.2015
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InterviewEACS 2015

La quinzième édition de la Société européenne des cliniciens contre le sida (EACS) s’est ouverte mercredi 21 octobre à Barcelone. Au-delà des progrès scientifiques que la conférence abordera, la prise en compte des disparités régionales reste essentielle. A l’aune des données épidémiologiques, la volonté des Etats fait ou défait les avancées accomplies, faisant du plaidoyer un axe prioritaire des acteurs européens contre le sida. Michel Kazatchkine, envoyé spécial en Europe de l’Est pour l’Onusida, explique l’importance de la question politique et évoque, assez diplomate, la situation critique en Europe de l’Est.

Sur les différents champs de la prévention (PrEP, traitement précoce, dépistage régulier) on constate que les données scientifiques sont validées pour tendre vers la fin du sida. Pensez vous que ce qui manque aujourd’hui au succès de la lutte contre le VIH, c’est la volonté politique ?

Michel Kazatchkine : Je suis assez d’accord. Et c’est quelque chose dont on prend conscience assez tardivement. La situation en Europe de l’Est en est le meilleur exemple. A l’arrivée des traitements partout dans le monde au début des années 2000, on disait qu’il y avait deux obstacles. D’abord obtenir des antirétroviraux à des coûts supportables et avoir des systèmes de santé qui permettent que ces antirétroviraux soient effectivement accessibles. Aujourd’hui apparait clairement une nouvelle difficulté : le cadre légal. Il prend une importance capitale dans la réponse contre le VIH. La discrimination sociétale à tous les niveaux, y compris dans le milieu médical, qui en découle est un obstacle majeur à l’accès aux soins. C’est aussi l’un des plus difficiles à combattre et auquel il va falloir s’attaquer.

Vous avez parlé durant la conférence de presse du fameux 90-90-90 (1) qui devra être mis en place d’ici 2020. Vous notiez aussi qu’il n’y avait pas une seule Europe, mais trois contextes très différents, notamment en Europe de l’Est. Comment mener la bataille pour cet objectif crucial pour la fin de l’épidémie, sur trois fronts différents ?

La réponse doit venir des régions elles-mêmes. Comme AIDES, qui se bat pour l’accès à la PrEP en France. C’est l’ensemble des personnes impliquées dans la lutte contre le VIH, chercheurs, activistes, voire les communautés concernées qui doivent sonner l’alarme et réussir à faire bouger le politique. C’est notamment le cas en Europe de l’Est, mais c’est extrêmement difficile. Comme vous le savez, des pays que je ne citerais pas promeuvent des modes de vies dits sains ou une vision de la santé dans des images d’Epinal dignes de l’ère soviétique. Et l’envers du décor, c’est la stigmatisation des minorités, des communautés vulnérables. Et les gens marginalisés ne vont pas aller dans des services de santé où ils vont être discriminés. Les organisations non gouvernementales, qui étaient largement financées par des fonds internationaux n’y ont plus accès puisqu’il faut se déclarer "agent de l’étranger" pour en recevoir. Et si c’est le cas, comme la fondation Soros, elles ne sont plus accréditées dans ces pays. Les Nations unies n’ont quasiment plus de représentants en Fédération de Russie. Tout cela rend l’action très complexe. Pour autant, je ne crois pas que la solution puisse venir de l’extérieur. L’extérieur fixe les normes, attire l’attention, mais c’est ensuite de l’intérieur que le mouvement doit venir.

Vous parliez de vos sérieuses inquiétudes concernant l’Europe de l’Est. Pensez-vous, malgré toutes ces craintes sur les objectifs de fin de l’épidémie, qu’il y a de l’espoir pour une prise de conscience et que la région prenne sa part dans la lutte contre le VIH ?

Oui toujours ! Tout d’abord, certains pays bougent. Evidemment, ce sont ceux qui sont tournés vers l’Union européenne comme l’Ukraine, la Moldavie ou la Géorgie. La Biélorussie, par exemple, qui n’est pas tournée vers l’UE, a mis en place des programmes de prévention de qualité. Même en Russie, des voix s’élèvent malgré la propagande officielle et la désinformation, et s’alarment que plus d’une personne sur cent dans le pays est infectée par le VIH. C’est une situation d’épidémie généralisée qui progresse de manière autonome. A mon niveau, interpeller les politiques reste délicat, cela dépend des pays, des interlocuteurs, et j’apprends que c’est un travail de longue haleine…

Propos recueillis par Mathieu Brancourt

(1) A l’horizon 2020, 90 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique, 90 % de toutes les personnes infectées par le VIH dépistées reçoivent un traitement anti rétroviral durable et 90 % des personnes recevant un traitement antirétroviral ont une charge virale durablement supprimée.