Monkeypox : des questions… sans réponses

Publié par jfl-seronet le 31.08.2022
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ThérapeutiqueMonkeypox

Satisfaction du côté ministériel où l’on estime gérer l’épidémie de Monkeypox comme il faut. Agacement et inquiétude du côté des ONG où l’on se demande s’il n’y a pas un manque de vision des autorités de santé dans la réponse à cette nouvelle épidémie qui sévit depuis mai. Ces dernières sont remontées au front pour dénoncer l’absence de réponses des pouvoirs publics à bien des questions qu’elles posent depuis des semaines.

Au front !

Sur quel ton faut-il le dire pour que le message soit entendu ? Le 12 août dernier, huit ONG françaises mettaient en garde, dans un appel commun, les autorités sanitaires nationales contre le « risque réel d’une épidémie hors de contrôle » à propos du Monkeypox (variole du singe). Les ONG y réclamaient, face à une progression « alarmante » de l’épidémie, la « mise en place d’une campagne de vaccination coup de poing accessible aux personnes les plus exposées ». Elles constataient, mi-août, que les « efforts du ministère de la Santé et de certaines agences régionales de santé ne [suffisaient] pas à ce stade à envisager le contrôle de cette épidémie ». « Sans une mobilisation de moyens massifs, le risque d’une perte de contrôle de l’épidémie est réel ».

Le 23 août, ces mêmes ONG (Act Up-Paris, AIDES, l’Enipse, Sidaction, la Fédération sportive LGBT+, les Séropotes, l’Inter-LGBT, le Strass) rejointes par le Planning familial sont, de nouveau, montées au front. Cette fois, la critique porte sur la stratégie du ministère de la Santé et de la Prévention et de son bras armé : Santé publique France. Et la rétention d’informations, voire l’absence de vision.

Un problème de vision

Les ONG font le constat que depuis les premiers cas de Monkeypox enregistrés en France, les autorités de santé ont mis en place des réponses face à l’épidémie, notamment avec la production de connaissances et en organisant des échanges hebdomadaires avec les parties prenantes : sociétés savantes, agences sanitaires et de recherche, associations, etc. C’est bien, mieux que ce qui s’est passé dans la gestion des premiers temps de la pandémie de Covid-19, mais manifestement pas suffisant.

« Hormis les avis de la Haute autorité de santé (HAS), jamais le ministère de la Santé et de la Prévention ou Santé publique France (SPF) ne nous ont transmis d’objectifs clairs pour contrôler cette épidémie et y mettre fin », taclent les ONG. « Ce sont nos associations qui alertent, proposent et, lorsqu’il le faut, dénoncent ». Et de tonner : « Nous posons les mêmes questions depuis des semaines, il est temps que les autorités de santé y répondent et fassent connaître leurs propositions ».

Des autorités à la question

« Contrôler l’épidémie de variole du singe ou y mettre fin : qu’en pense le ministre de la Santé ? » Les ONG attendent qu’à l’occasion d’une réunion hebdomadaire qui réunit les associations, la direction générale de la santé (DGS), les agences sanitaires et de recherche, et des sociétés savantes, le gouvernement dise « quel est son objectif vis-à-vis de cette épidémie ». Autrement dit, s’agit-il de tenter de l’éradiquer ? De la contrôler ? De la contenir ? Les ONG attendent aussi que, selon l’option, soient expliquées les « méthodes envisagées » pour y parvenir.

Attente forte aussi du côté de Santé publique France pour que l’agence « partage les modèles de l’épidémie sur lesquels elle travaille et la place de la vaccination dans la réponse. « Si une stabilisation des nouveaux cas est constatée, quelles sont les hypothèses pouvant l’expliquer ? » « Nous demandons également des réponses aux questions suivantes : les autorités de santé estiment-elles pertinent d’élargir l’offre de vaccination aux clients de travailleurs-ses du sexe (TDS) et/ou aux femmes qui ont des relations avec les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) ? Quand donneront-elles les informations sur la situation des femmes contaminées ou exposées afin que nous puissions au mieux informer celles-ci ? ». Sur ces sujets, comme sur d’autres, rien n’est dit.

Hors des frontières, hors de contrôle ?

« Les épidémies n’ont pas de frontière : quelle concertation avec les pays voisins ? », demandent les ONG dans leur dernier communiqué. Leur texte rappelle que la France a fait évoluer rapidement sa stratégie vaccinale d’une vaccination pour les cas contact (les personnes proches d’un cas diagnostiqué) à une vaccination en préexposition pour les groupes les plus concernés : les HSH non engagés dans des relations exclusives sexuellement, les TDS et les personnes travaillant dans des lieux de consommation sexuelle. Elles expliquent aussi que : « Des hommes venant de Belgique ou de Suisse ont pu bénéficier de la mobilisation française et de l’approvisionnement en vaccin du pays pour y avoir accès. Pour autant, la réponse vaccinale doit être similaire dans tous les pays ». En France, « des Belges, des Suisses, des Italiens ou encore des Espagnols » ont pu se faire vacciner contre le Monkeypox, a indiqué à l'AFP la Direction générale de la Santé (23 août). À Paris, des « touristes étrangers ont profité de leur voyage pour se faire vacciner », explique, de son côté, le Checkpoint Paris, un centre de santé sexuelle. Mais le phénomène concerne principalement les régions frontalières. Dans le nord de la France, à Lille, les sites de vaccination ont ainsi vu arriver en plein été de nombreux Belges. « En proportion, on a dû vacciner 30 à 40 % de Belges », évalue Virginie Ceyssac, pharmacienne à l'Aprium, l'une des cinq officines expérimentant la vaccination en pharmacie en France. La Belgique, qui ne dispose actuellement que de 3 000 doses, ne vaccine qu'un public très restreint : travailleurs du sexe homosexuels ou transgenres, hommes homosexuels ayant eu deux IST (infections sexuellement transmissibles) dans l'année écoulée ou ayant le VIH, et de rares cas contact. Face à cette situation, des Belges exclus-es de ces catégories, mais appartenant à des publics considérés comme à risque ont décidé d'aller en France. Cette situation concerne aussi nos voisins suisses. Comme la Suisse n'a pas encore accès à la vaccination contre la variole du singe, « certains sont allés se faire vacciner en France sans problèmes, mais d'autres se sont vu refuser la vaccination », a expliqué Alexandra Calmy, infectiologue responsable de l'unité VIH des hôpitaux de Genève, à l’AFP. Bien que des réseaux de soins transfrontaliers existent — pendant l'épidémie de Covid, des patients français ont été accueillis dans les services intensifs en Suisse —, les Suisses ne disposent pas d'un accès simplifié à la vaccination en France.

Cette pratique montre bien l’enjeu d’une réponse commune européenne… au sens large. « Quel est l’état de la concertation européenne, au-delà de l’approvisionnement des vaccins ? Des mobilisations communes lors d’évènement gay, comme la Folsom à Berlin, sont-elles envisagées ? », interrogent d’ailleurs les ONG dans leur dernière interpellation. « Les épidémies ne font pas grand cas des frontières. Ce qu'on souhaite, c'est avoir une réponse concertée au niveau européen, au sein de l'OMS et pas seulement de l'Union européenne car il faut inclure la Suisse », a expliqué Marc Dixneuf, directeur général de AIDES à l’AFP. « Jusqu'à présent, on n'avait pas été confrontés à cette difficulté : la Suisse ou la Belgique étaient des États qui répondaient aux épidémies de VIH et de Covid », précise-t-il. « Mais là on est face à de très fortes inégalités, aussi bien entre les régions françaises (...) qu'au niveau européen ». Les autorités françaises assurent que le sujet est actuellement discuté dans les instances européennes compétentes. Elles précisent être en contact avec la Belgique et la Suisse pour discuter de la « vaccination transfrontalière Monkeypox » et de son financement.

Intensifier la vaccination

Le texte du 23 août met en avant les enjeux liés à la stratégie vaccinale. Les ONG se demandent si la vaccination est le « socle de la réponse à l’épidémie »… quels enseignements peut-on d’ores et déjà tirer ? Une expérimentation de vaccination dans des pharmacies volontaires a été lancée. Ces pharmacies sont rares et, de fait, débordées par les demandes. « Tous nos créneaux ont été pris d'assaut », explique Khansaa Belkasseh-Pilard, pharmacienne adjointe à la pharmacie du 102 rue Saint-Maur à Paris, l'une des deux pharmacies partie prenante de cette expérimentation, dans une interview au site Medscape (19 août). « À côté de la pharmacie, il y a un centre de vaccination qui, originellement, est un centre de santé sexuelle. Il a été pris d'assaut quand les vaccinations contre la variole du singe ont débuté. Nous avions eu l'information selon laquelle le centre avait besoin d'un coup de main, et l'agence régionale de santé d'Île-de-France nous a sollicités dans ce sens. En revanche, nous ne nous attendions absolument pas à ce qu'il n'y ait que cinq pharmacies en France impliquées dans la vaccination contre la variole. Nous pensions que nous serions beaucoup plus nombreux ».

Des échanges ont eu lieu avec les représentants-es des pharmaciens-nes en marge des réunions collectives sur l’épidémie de variole du singe. Cette expérimentation ne concerne pas que les pharmaciens-nes, mais l’ensemble des parties prenantes, expliquent les ONG. « Les difficultés rencontrées doivent être partagées et les attentes éventuelles des pharmaciens partenaires discutées globalement, dans la mesure où cela fait partie de la réponse ». « Des propositions de vaccination hors les murs émergent, ici ou là, et l’accès aux doses de vaccin est inégale. Les ARS [Agences régionales de santé, ndlr] doivent porter des initiatives avec les collectivités locales et les acteurs-rices de terrains (professionnels-les de santé et associations) permettant une large vaccination dans un temps court, en associant le cas échéant, selon les disponibilités locales, les acteurs-rices mobilisés-es pour la vaccination Covid tels que les pompiers, la Croix Rouge... » Le texte du 23 août pointe que les autorités de santé françaises insistent sur « la réduction des risques de transmission ou de contamination par le virus, plaçant le vaccin comme un élément secondaire ». Une vision contestée. « En matière de lutte contre les maladies infectieuses, le vaccin, quand il existe, est toujours le socle de la réponse à une épidémie. Les comportements individuels ne peuvent servir à dédouaner l’État de sa responsabilité de protection collective quand un outil existe », taclent-elles.

En finir avec le silence et le secret

Le ministère de la Santé et de la Prévention sollicite les associations pour être informé des remontées de terrain et des difficultés de nos communautés, notent les ONG. « Les soignants-es et certains-es politiques reprennent nos arguments et nous ne manquons pas de proposer des stratégies à mettre en place pour contrer l’épidémie. En somme, nous prenons les positions politiques sur l’organisation de la réponse à la variole du singe qui sont attendues, a priori, d’abord par les décideurs-ses en charge des politiques publiques de santé. Nous sommes réunis-es pour la forme, mais aucune réponse à nos questions ne nous sont données », dénoncent les associations. Elles ont donc décidé de hausser le ton. Elles demandent à Santé publique France de les « informer de ses recommandations selon ses missions : anticiper, comprendre et agir ».

Même exigence vis-à-vis du ministère de la Santé et de la Prévention : « Nous demandons au ministre de la Santé de nous communiquer sa stratégie face à cette épidémie en France, mais aussi en Europe. Ces orientations doivent être connues des Agences régionales de santé pour que la réponse soit cohérente sur le territoire national, métropolitain et ultra-marin, et dans les zones frontalières ».

 

50 000 vaccinations en France
« Le cap des 50 000 vaccinations » en France a été franchi lundi 22 août, a annoncé lors d’un déplacement à Montpellier le ministre de la Santé et de la Prévention François Braun, lors de la visite d'un des 188 centres de vaccination contre cette maladie. La France est l'un des pays au monde où l'on vaccine le plus avec les États-Unis, s’est défendu le ministre, ajoutant que le pays était « aussi l'un des premiers à avoir mis en place la vaccination préventive et le seul à assurer cette vaccination de façon tout à fait gratuite ». « Nous avons énormément vacciné et nous pouvons encore vacciner : nos 188 centres de vaccination sont prêts, ont des vaccins, nous avons la capacité de vacciner, il y a des places de vaccination disponibles dans l'ensemble de ces centres », a poursuivi le ministre, en expliquant qu'il ne pouvait « accepter le terme de retard à l'allumage » ; grief qui lui est fait. De son côté, Santé publique France a indiqué que plus de 100 000 doses de vaccin ont été livrées dans ces centres. Avec 50 000 vaccinations au total, la France resterait encore loin des 37 000 injections hebdomadaires demandées par les ONG afin de permettre la vaccination avant la fin de l'été de l'ensemble des personnes estimées à risque de contamination. « Il faut se fixer un objectif temporel de vaccination, avec un nombre de vaccinations à une certaine date. Et il faut que celui-ci soit plus important que 250 000 personnes », plaide Benjamin Davido, infectiologue à l’hôpital de Garches, dans les colonnes de Marianne (24 août). Il est d’autant plus important de le faire vite que l’annonce d’une remontée de la Covid-19, cet automne, inquiète. « S’il faut revacciner contre le Covid dans quelques semaines, on ne pourra pas gérer les deux en parallèle », prévient le Dr Davido.

 

Royaume-Uni : vaccination avec des doses réduites
Trois sites britanniques de vaccination contre le Monkeypox ont lancé le 22 août un projet pilote d’injection intradermique de doses plus faibles de l’unique vaccin disponible contre la variole, Imvanex, explique le Quotidien du Médecin. Deux jours avant, l’Agence européenne des médicaments (EMA) avait autorisé cette stratégie vaccinale destinée à tirer le meilleur parti des doses actuellement disponibles en quantité limitée. Aux États-Unis, la FDA (Food and Drug Administration, l’agence américaine du médicament) s’est prononcée, début août, en faveur de cette même stratégie. L’approche « sûre et cliniquement approuvée » est « couramment utilisée dans d'autres épidémies mondiales lorsque l'approvisionnement en vaccins est limité », a plaidé l’agence sanitaire britannique Ukhsa (UK Health Security Agency) dans un communiqué, cité par le quotidien médical. L’objectif est bien de maximiser la portée des stocks disponibles. Les données recueillies par les centres de vaccination lors de cette expérimentation permettront d’évaluer la faisabilité opérationnelle de cette approche (dotation en personnel, débit de vaccination, volume et expérience des patients). Elles serviront ainsi à « éclairer la planification d'une éventuelle utilisation plus large » de cette méthode, explique l’Ukhsa. Quelque 100 000 nouvelles doses doivent arriver en Grande-Bretagne en septembre, a indiqué la Dre Mary Ramsay, responsable de la vaccination à l'Ukhsa.

 

Des campagnes vaccinales sous contrainte d'approvisionnement
L'approvisionnement mondial limité en vaccins contre la variole du singe (Monkeypox) impose une adaptation des stratégies de lutte contre la maladie et certains-es experts-es plaident pour une vaccination plus restrictive dans les pays développés afin de garantir une répartition équitable à l'échelle internationale, rappelle l’agence Reuters (23 août). Selon un décompte effectué par l’agence à partir de déclarations officielles, à ce jour, dans les dix pays les plus affectés par cette flambée épidémique — qui concentrent près de 90 % des contaminations — le cumul des doses de l’unique vaccin disponible, déjà administrées ou encore disponibles s'élève à 1,5 million de doses.  Bien loin de l'estimation de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui évalue entre 5 et 10 millions le nombre de doses nécessaire pour une vaccination préventive des populations les plus exposées à la flambée épidémique en cours depuis le mois de mai, à savoir principalement les HSH. Par ailleurs, des experts-es soulignent que la vaccination devrait également cibler en priorité les personnes particulièrement à risque dans les onze pays d'Afrique où le Monkeypox sévit à l'état endémique depuis plusieurs décennies, dont le nombre n'est pas déterminé. En France, le gouvernement assure disposer de suffisamment de doses pour couvrir les quelque 250 000 personnes éligibles à la vaccination préventive (selon la HAS) et le ministre de la Santé et de la Prévention, François Braun, a annoncé (22 août) sur Twitter que « le cap des 50 000 personnes vaccinées contre le Monkeypox » venait d'être franchi. De son côté, Bavarian Nordic, qui produisait habituellement entre 200 000 et 300 000 doses de vaccin par semaine, a déjà doublé le rythme depuis le début de la flambée épidémique en mai, a déclaré un porte-parole à Reuters. La biotech compte encore tripler sa production d'ici la fin de l'année et des discussions sont en cours avec d'autres groupes pour étendre encore la capacité de production. Reste qu’à ce jour, 60 % des pays confrontés à une flambée épidémique de variole du singe n'ont pas accès au vaccin, d'après un porte-parole de l'OMS. C'est, par exemple, le cas du Brésil, où 3 450 cas ont pourtant été recensés. Face aux tensions actuelles, des pays comme l'Allemagne, le Canada et le Royaume-Uni. De son côté, la France a décidé d’allonger le délai entre la première dose et la second, sauf pour les personnes immunodéprimées.