Monkeypox : l’État attendu au tournant !

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ThérapeutiqueMonkeypox

Manque de personnel, manque de doses, manque de créneaux de vaccination, manque de transparence. La lente mise en place de la vaccination contre le Monkeypox va-t-elle avoir des conséquences sur la durée de cette épidémie et sa propagation dans la population générale ?

Seuil de CD4 et vaccination à trois doses

En dessous de quel seuil de CD4 les personnes vivant avec le VIH qui souhaitent se faire vacciner contre le Monkeypox doivent-elles bénéficier d’un schéma de vaccination à trois doses ? C’est la question posée, il y a quelques temps, par la Direction générale de la santé (DGS) à la SFLS (Société française de lutte contre le sida). Dans son avis du 16 juin 2022, la Haute autorité de santé (HAS), préconisait que le schéma vaccinal des personnes ciblées par cette vaccination préventive comporte trois doses pour les personnes immunodéprimées. La société savante a planché et a rendu un avis dans le cadre de la « mise en œuvre de la vaccination préventive contre le Monkeypox auprès des personnes exposées ». « Cet avis est rendu dans un contexte urgent et des délais courts. La littérature scientifique comporte peu d’articles dédiés à la question de l’immunogénicité d’un vaccin antivariolique de 3ème génération chez les patients vivant avec le VIH (…) Nous rendons donc cet avis en tenant compte des données publiées et en raisonnant par analogie et extrapolation des connaissances de l’immunogénicité des vaccins chez les PVVIH ».

Que propose la SFLS ?

« Pour les personnes vivant avec le VIH n’ayant jamais été vaccinées par le vaccin antivariolique de première génération, nous recommandons de réaliser : un schéma standard avec deux doses lorsque le taux de CD4 est supérieur à 200/mm3 ; un schéma à 3 doses, lorsque le taux de CD4 est inférieur à 200/mm3.

Pour les personnes vivant avec le VIH ayant déjà été vaccinées par le vaccin antivariolique de première génération, nous recommandons de diminuer d’une dose le schéma vaccinal standard : un schéma avec une dose lorsque le taux de CD4 est supérieur à 200/mm3 ; un schéma à 2 doses, lorsque le taux de CD4 est inférieur à 200/mm3.

Pour les patients-es avec un taux de CD4 < 500/mm3 et en attendant de nouvelles données, nous recommandons que le délai entre la première et la deuxième injection ne soit pas augmenté, la perte d’immunogénicité pouvant s’avérer importante.

Pour les personnes vivant avec le VIH avec un taux de CD4 inférieur à 50/mm3 le bénéfice de la vaccination est peu probable en raison d’une réponse immunitaire probablement insuffisante. La vaccination doit être envisagée au cas par cas selon le risque d’exposition ».

Par ailleurs, dans son avis, la SFLS explique : « Dans tous les cas, il est nécessaire de rappeler que l’efficacité en vie réelle des vaccins antivarioliques contre la variole simienne reste à déterminer plus précisément pour les vaccins de 3ème génération, y compris chez les PVVIH, et qu’un délai, actuellement mal connu, est nécessaire après l’administration du vaccin pour obtenir un niveau de protection optimal ». De plus, « la vaccination préventive ne peut être la seule réponse à l’épidémie actuelle de variole simienne, et doit s’accompagner : d’une communication sur les modes de transmission et sur les signes évocateurs auprès des personnes exposées et des professionnels de santé ; d’une approche globale de réduction des risques d’infection à Monkeypox durant la période active de l’épidémie actuelle, y compris chez les personnes ayant déjà reçue la première injection : réduction du nombre de partenaires sexuels, limitation de l’exposition aux fluides corporels, dont la salive, isolement des personnes infectées. Enfin la vaccination contre la variole simienne est l’occasion de vérifier la connaissance du statut VIH des personnes vaccinées et d’augmenter le niveau de prévention vis-à-vis du VIH (dépistage, Prep).

Délai entre deux doses allongé

Vingt-huit jours. C’était, jusqu’alors, le délai entre les deux doses de la vaccination contre la variole, pour les personnes n’ayant jamais reçu ce vaccin. Le 4 août dernier, le ministère de la Santé et de la Prévention a indiqué que ce délai avait été allongé pour les personnes non immunodéprimées. « Dans le cadre de la stratégie de vaccination préventive (...) et afin de garantir au plus grand nombre de personnes à risque l'accès à la vaccination », le ministère a indiqué avoir « recommandé aux sites de vaccination, conformément à l'avis de la Haute autorité de santé du 7 juillet, d'allonger l'espacement entre la première et la deuxième dose pour les personnes non immunodéprimées ». Deux doses de vaccin sont préconisées pour la plupart des personnes éligibles, essentiellement des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Pour les personnes vaccinées contre la variole dans le passé, une dose suffit. Pour les personnes immunodéprimées, une troisième est recommandée. Ceci est valable pour tout le territoire. Dans son avis de juillet, la Haute autorité de santé (HAS) avait recommandé un schéma vaccinal « de deux doses, espacées de 28 jours », mais indiqué « qu’un espacement des doses de plusieurs semaines pourra être envisagé en cas de tension d'approvisionnement des vaccins ». Interrogé par l’AFP, le ministère a réaffirmé (4 août) qu’il « n'y a aucune tension d'approvisionnement en vaccins » en France. Lors de sa première visite dans un centre de vaccination contre le Monkeypox, le ministre de la Santé et de la Prévention François Braun a répété (3 août) que la France avait « de quoi vacciner la population cible (...) à savoir 250 000 personnes ». C’est la cible visée par la Haute autorité de santé. « Quelle que soit l'efficacité du vaccin après une ou deux doses, celle-ci ne sera jamais de 100 % », a averti le ministère, insistant aussi sur la prévention en parallèle.

Une décision mal comprise

Le nouveau délai appliqué entre deux vaccins a déjà des conséquences. Des témoignages font état, ces derniers jours, d'annulations de rendez-vous pour une deuxième dose. Ce qui a conduit AIDES à réagir dans un tweet : « De nombreuses personnes ont vu leur rendez-vous pour leur seconde dose annulé, sans aucune explication. Ce n’est pas acceptable et les rendez-vous doivent être honorés ». Et l’association d’insister : « Les personnes dont la santé nécessite une deuxième ou troisième dose doivent y avoir accès dans les délais prévus (notamment pour les personnes immunodéprimées) ». Puis de souligner : « Les personnes dont les parcours de vie ou leurs pratiques les éloignent du système de santé doivent avoir également un rendez-vous systématique pour la deuxième dose (travailleurs-euses du sexe, personnes en grande précarité). De son côté, le ministère de la Santé et de la Prévention a souligné que « les rendez-vous de seconde dose déjà programmés ne doivent pas être annulés ». Il a également indiqué que « les patients dont la deuxième dose serait évaluée comme prioritaire par un médecin pour des raisons de santé, de traitement ou d'exposition, bénéficieront d'un rendez-vous ». En revanche, « les rendez-vous de seconde dose non programmés pourront être programmés plus tard ».

Le gouvernement a sa dose de secret

Toujours pas de transparence sur les chiffres concernant les stocks. Le ministre ne dit rien, pas même lorsqu’il est auditionné devant les parlementaires, comme c’était le cas récemment (2 août) devant la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. C’est un problème, qu’a soulevé une tribune publiée le 2 août sur le site du Huffington Post. Signé par un collectif de 200 personnalités politiques, associatives et citoyennes (dont, entre autres, Camille Spire, présidente de AIDES, Antoine Chassagnoux, président d’ActUp-Paris, Antoine Alexandre, directeur national de l’Enipse, Jean-Luc Romero-Michel, Anne Souyris, Michèle Rubirola, Florence Rigal, présidente de Médecin du Monde, les députées Sandrine Rousseau (EELV) et Danielle Simonnet (LFI), etc.), ce texte « exige une commission d’enquête [sénatoriale, ndlr] sur la stratégie gouvernementale face à l’épidémie de variole simienne [Monkeypox, ndlr]». La tribune dénonce le fait que « l’action du gouvernement (...) est totalement insuffisante face à l’ampleur de la situation » et critique « la lenteur extrême de mise en route » et le « sous-dimensionnement » de la campagne de vaccination. Le texte critique fortement « l’absence d’information transparente par le gouvernement sur le nombre de vaccins disponibles ou a minima qui seront mises à disposition, sur les commandes à venir, leur date de disponibilité, sur la méthodologie et l’ampleur de la campagne vaccinale et d’information ». Pour les signataires, tout cela « témoigne d’un mépris et d’une faute à l’égard de l’ensemble des personnes concernées, des acteurs et actrices de terrain, des parlementaires, des élus-es des collectivités et des citoyennes et citoyens ». Fermez le ban !

Pour sa part, le  ministère a juste évoqué le déstockage de 42 000 doses. Le ministre François Braun a assuré que le gouvernement est « en capacité d'augmenter les vaccinations en fonction des besoins ». Début août, quelque 18 455 personnes avaient reçu une première dose de vaccin, a fait savoir le ministre de la Santé et de la Prévention, mardi 2 août. Ce chiffre avait doublé en une semaine, notamment grâce à l’ouverture d’un centre de vaccination dédié dans le 13e arrondissement de Paris, avec un objectif de 2 000 injections hebdomadaires. Un centre similaire a ouvert à Marseille. « Nous vaccinerons tous ceux qui le souhaitent », a tenté de rassurer François Braun, auditionné par les parlementaires. Le volontarisme ministériel tranche avec ce qui se passe sur le terrain : les autorités sanitaires sont la cible de nombreuses critiques en raison des débuts très lents, voire chaotiques de la campagne vaccinale. Et il reste encore difficile d’obtenir un rendez-vous, malgré le parc de 136 centres qui proposent la vaccination contre la variole du singe. Dans un tweet, AIDES a fait part de son inquiètude sur la faisabilité de l’objectif de la HAS : « Plus de 16 000 personnes ont déjà reçu une première dose de vaccin contre le #Monkeypox. Le rythme de vaccination est d’environ 2 000 personnes par jour, ce qui est mieux, mais insuffisant pour vacciner rapidement les personnes ciblées par les recommandations de la HAS ». Devant les parlementaires, le ministre a assuré chercher « toutes les voies et [tous les] moyens pour diminuer le délai d’accès au vaccin, notamment dans les zones où la demande est élevée, comme en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Île-de-France ».

Élisabeth Borne se veut rassurante

Interrogée par Têtu (5 août 2022) sur l’accès à la vaccination, la Première ministre Élisabeth Borne a indiqué : « Je vous assure que le pays est prêt en termes de doses. Il se trouve que le vaccin ne peut pas circuler n’importe comment car il se conserve dans des conditions à basse température. On monte en puissance jour après jour (…) Modulons le circuit de conservation et les précautions à prendre avec les vaccins, on n’a aucune raison de ne pas permettre aux professionnels de santé mobilisés dans la vaccination contre la Covid de vacciner contre le Monkeypox. On a les doses. On est en train de mettre en place la logistique, on mobilisera les professionnels de santé. Chacun pourra accéder rapidement à la vaccination et j’invite chaque personne qui a un risque de contamination à se faire vacciner ».

Qu’est-ce qui bloque encore ?

On manque de bras pour vacciner. Comme l’explique Le Monde (5 août), une « semaine après la publication de l’arrêté permettant aux étudiants en santé ainsi qu’aux médecins et infirmiers retraités de participer à la vaccination, les autorités sont toujours à la recherche de bras supplémentaires ». La période estivale n’aide pas, notamment du fait des congés de certains personnels. De son côté, François Braun a expliqué que ses services travaillaient à la mise en place d’une expérimentation avec les pharmaciens-nes. Autre piste : les tests PCR permettant de diagnostiquer la variole du singe ont été inscrits à la nomenclature des actes de biologie. Les laboratoires de biologie médicale autres que les centres nationaux de référence et les CHU vont pouvoir, à court terme, proposer également cette analyse. Par ailleurs, tout ne semble pas réglé concernant la logistique. Récemment, le quotidien Ouest France (8 août) expliquait que dans les Pays de la Loire, il est « difficile de trouver un créneau pour se faire vacciner contre la variole du singe. Depuis le début du mois d’août, les témoignages de personnes incapables de trouver un rendez-vous se multiplient. Le tout dans un contexte de tension des effectifs soignants. Élus et associations s’inquiètent de la situation », indiquait le journal. « Aucune disponibilité en ligne. C’est le message qu’affiche le site internet de Doctolib depuis le début du mois d’août. Toute tentative d’obtenir un créneau de vaccination contre la variole du singe à Nantes est vaine », explique Ouest France, citant le témoignage de Valentin, Nantais de 33 ans : « J’ai essayé de contacter une quinzaine de centres en France. Le seul rendez-vous que j’ai trouvé : c’est en octobre, à Paris. » Valentin a même essayé de trouver un endroit pour se faire vacciner dans le sud de la France, son lieu de villégiature pour deux semaines. Sans succès.

Des hospitalisations et de rares décès

Jusqu’à présent, la communication officielle sur le Monkeypox avait plutôt insisté sur l’aspect bénin de la maladie n’occasionnant pas de décès dans les pays du Nord, contrairement à ce qui a pu se passer dans les pays d’Afrique où la maladie sévit depuis des décennies. Ces dernières semaines, des nouvelles ont fait comprendre que la situation était plus compliquée que cela. Le 1er août, les autorités sanitaires péruviennes font état d’un décès. Il concerne un patient séropositif qui avait abandonné son traitement contre le VIH, qui était infecté par le Monkeypox. L’homme, âgé de 45 ans, « est arrivé à l’hôpital dans un état très grave avec la variole du singe. Sa santé s’était affaiblie après avoir abandonné son traitement contre le VIH », avait expliqué le directeur de l’hôpital national Dos de Mayo, Eduardo Farfan,  sur une radio locale, cité par l’AFP. « Il n’est pas mort de la variole du singe, mais d’une septicémie » causée par un système immunitaire affaibli, a ajouté le directeur de l’hôpital situé à Lima. D’autres décès concernant des personnes atteintes par le Monkeypox sont survenus : deux en Espagne ; un a été signalé au Brésil, un en Inde et un au Ghana. Il n’est toutefois pas établi précisément que la variole du singe soit à l’origine de ces décès. Des autopsies étaient en cours. Les décès sont, heureusement, très minoritaires. En France, aucun décès n’a été signalé à ce jour.

Une maladie pas si bénigne

Certains cas graves nécessitent, en revanche, des hospitalisations. 47 cas (2,9 %) ont été hospitalisés du fait de leur infection au virus Monkeypox, dont 39 (2,6 %) pour complications en lien avec ce diagnostic, note le bulletin de Santé publique France consacré au Monkeypox (4 août). « Désormais, les formes très douloureuses [de Monkeypox, ndlr], rapportées par de nombreux hommes atteints, prennent le pas sur le tableau clinique bénin du début, et en cette fin juillet, les premiers morts hors de la zone endémique sont à déplorer », expliquait, de son côté, France Lert dans un texte publié sur VIH.org, le 1er août.

« J’ai d’abord eu une forte fièvre, des tremblements et un gonflement lymphatique. Je pensais que c’était le Covid et j’ai attendu pendant une semaine », témoigne, début août, Harun Tulunay, 35 ans, dans les colonnes du journal turc Cumhuriyet. Il contacte alors les services de santé qui lui conseillent de patienter encore. « Ce n’est que lorsqu’une lésion apparaît sur son nez et que son état se détériore gravement qu’il est admis à l’hôpital, où les médecins mettront plusieurs jours à diagnostiquer un cas de variole du singe. Il en sortira après onze jours de traitement », explique Courrier international, qui a publié, en français, son témoignage. Harun Tulunay qui travaille dans une association de lutte contre le sida, a choisi de témoigner avec des photos de lui et de courtes vidéos à l’appui pour « dissiper les malentendus et lutter contre les discriminations », mais aussi montrer la maladie. « Comme avec le VIH à l’époque, beaucoup de gens mal informés s’imaginent que c’est une maladie qui concerne uniquement les homosexuels ». En partageant son expérience, le jeune militant espère inciter les personnes présentant des symptômes à se faire dépister, en changeant le regard que l’on porte sur cette épidémie. Sur les réseaux sociaux, Harun Tulunay fait régulièrement l’objet d’attaques, notamment d’internautes considérant que le virus est un châtiment divin contre les homosexuels, explique Courrier international. Et la peur de contagion et la sous-information n’épargnent pas les professionnels-les de santé. « Aujourd’hui, je suis allé consulter un médecin à Istanbul qui m’a reconnu et a refusé de m’ausculter par crainte de tomber malade ». La discrimination n’est évidemment pas la seule manifestation de la maladie, comme l’expliquaient Ludo ou Louis sur Seronet.

Stratégie gouvernementale française contestée

« Depuis son apparition en Europe en mai 2022, la réponse sanitaire et politique à l’épidémie de variole du singe (Monkeypox) navigue entre deux écueils : celui d’un manque de vigueur et celui de la stigmatisation de la communauté gay », explique France Lert dans son texte publié par VIH.org : « Monkeypox, l’urgence de la santé publique ». L’ancienne directrice de recherches à l’Inserm et actuelle présidente de l’association « Vers Paris sans sida », y critique le « louvoiement » des autorités de santé, durant les premières semaines : « Entre un excès de précaution (…) qui impose des circuits de soin hypersécurisés retardant l’accès au diagnostic et la vaccination post-exposition, et la banalisation de l’atteinte, déclarée comme bénigne, d’évolution spontanée vers la guérison tout seul chez soi. Une simple maladie transmise lors de contacts intimes, mais pas reconnue comme une infection sexuellement transmissible (IST) et que tout le monde peut attraper ». Comme d’autres experts-es, elle explique que dans les pays nouvellement concernés pour cette épidémie, cette dernière se concentre chez les « hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH), trentenaires, habitant les métropoles urbaines ».

L’experte estime que la décision de l’Organisation mondiale de la santé du 23 juillet de décréter que le Monkeypox représente une « urgence de portée internationale » a « le mérite de replacer l’épidémie qui frappe violemment la population HSH comme un enjeu universel, par l’augmentation du nombre de cas, sa diffusion rapide à de nouveaux pays, ses caractéristiques nouvelles et toutes les inconnues sur les modes de transmission et l’immunité qu’elle confère ». Pour France Lert, la priorité actuelle « reste d’arrêter la transmission interhumaine le plus rapidement possible avec la notion qu’il faut arrêter l’épidémie avant que la fenêtre d’opportunité pour la circonscrire ne se referme et qu’elle ne se diffuse beaucoup plus largement ». Pour ce faire, il faut « agir avec et pour les communautés aujourd’hui les plus affectées ». Priorité doit être donnée aux HSH. « En France, au 28 juillet 2022, parmi les 1 796 cas décrits, 99 % sont des hommes adultes et 96 % des HSH », rappelle France Lert. « Ce sont eux qui supportent le poids très pénalisant de l’épidémie : douleur, angoisse, isolement, impact sur le mode de vie et la sexualité, santé mentale, stigmatisation, précarisation ». Et la chercheuse d’expliquer : « La réponse en santé doit donc appliquer ses principes essentiels : s’adresser d’abord là où est le risque le plus élevé — les HSH, les plus exposés —, dans les régions les plus touchées — les grandes métropoles —, sans oublier les populations exclues, principalement les travailleurs-ses du sexe actuellement ».

« Information des populations cibles et prévention, tracing des cas contacts, organisation matérielle et sanitaire d’une vaccination préventive de ces mêmes populations quand un vaccin est disponible (c’est le cas ici), prise en charge sociale de l’isolement des personnes atteintes, suppression du jour de carence des arrêts de travail, aide à la suspension des activités de l’économie précaire, et notamment des travailleurs-ses du sexe (TDS) qui sont particulièrement exposés-es. Dès le mois de mai, l’application de toutes ces mesures était urgente, en direction des hommes gays et bisexuels, qui constituaient la quasi-totalité des cas identifiés, la majorité des transmissions se faisant via l’activité sexuelle (…) Comme toujours au début d’une épidémie, le facteur temps était déjà clé dans la stratégie d’enrayement, d’autant que nous étions à la veille des événements estivaux et Pride qui favorisent les contacts à grande échelle et les échanges supranationaux », analyse la militante et ex-vice-présidente d’Act Up-Paris, Gwen Fauchois, dans une tribune : « Variole du singe : les LGBTQI+ mobilisés, l’État en vacance », publiée le 28 juillet. Elle y dénonce le retard des autorités françaises qui ont attendu le 7 juillet « pour annoncer ouvrir la vaccination pré-exposition aux hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH), aux gays, bi et trans multipartenaires et aux TDS. Alors qu’elles auraient pu, dès les premières alertes, s’appuyer sur les savoirs des populations exposées pour co-construire une stratégie contre l’épidémie naissante. C’était quelque chose de tout à fait possible, si on se souvient que les gays, mais aussi les trans et les travailleurs-ses du sexe, les LGBTQI +, font partie des communautés qui font régulièrement et durement l’expérience que la valeur accordée aux vies des unes et des autres dépend largement de positions sur l’échiquier économique, mais aussi d’une reconnaissance sociale qui est également hétérosexualisée, genrée et racisée ».

« Dans le cas de l’épidémie actuelle de variole du singe, alors même que la population la plus exposée pour l’instant est aussi une population relativement organisée et relativement solidaire, qu’elle est armée et demandeuse de co-construction d’une stratégie susceptible à la fois de la protéger et d’enrayer l’épidémie à un stade où elle est encore contrôlable, la réponse de l’Etat est dangereuse et elle mêle opacité, retard et incurie », tacle Gwen Fauchois. Et de soutenir que la « mise en place d’une vaccination élargie aux publics cibles et son utilisation stratégique ont dû être arrachées par la mobilisation publique et la colère des patients, des gays, des TDS et des personnels soignants en première ligne, qui, encore une fois, doivent se faire experts et prescripteurs en lieu et place des pouvoirs publics. Une fois de plus, ce sont les malades eux-mêmes qui avec leurs témoignages ont organisé une prévention de crise et une coalition d’activistes et de soignants qui a contraint l’État à agir. Encore une fois, face à une épidémie, les pouvoirs publics n’anticipent pas ». « Il aura fallu trois mois pour entendre le ministre de la santé, contraint par la colère des LGBTQI +, annoncer l’ouverture d’un centre de grande capacité de vaccination contre la variole du singe en Ile-de-France, région capitale qui comptait déjà (…) près de la moitié des cas confirmés ». Et Gwen Fauchois de conclure : « Si au final, nous parvenons collectivement à enrayer la montée de l’épidémie en Occident et à la bloquer, ce sera parce qu’une fois de plus, la communauté LGBTQI + se sera mobilisée en acteur majeur de santé publique. Mais il serait plus que temps que la santé publique ne se réduise pas à celle des hétérosexuels occidentaux. L’organisation d’une vaccination de crise en France est une nécessité et une urgence, elle ne doit pas faire oublier que l’est tout autant une coordination internationale incluant l’Afrique ».

Les prochaines semaines seront décisives. C’est là que l’on verra si la montée en puissance « au jour le jour » évoquée par la Première ministre permettra — comme l’annonce le gouvernement — à toute personne exposée à un risque d’accéder à la vaccination. Dans le cas contraire, cela rendrait possible une diffusion plus large de l’épidémie au risque de ne plus pouvoir la contrôler. Dans un tweet posté le 8 août, Dominique Costagliola (professeure, épidémiologiste et biomathématicienne) commentait les derniers chiffres du Monkeypox en Espagne (5 000 cas dont 20 % qui ne sont pas des HSH et 9 % de transmission en dehors d’un contact sexuel) : « C’est le premier pays à avoir été touché avec quelques semaines d’avance sur les autres. Cela montre comment cela va évoluer sauf si on déploie la vaccination chez les personnes à risque extrêmement rapidement avec une dose dans un premier temps sauf cas particulier », prévient l’experte. À bon entendeur…

 

Les nouvelles données françaises
Au 4 août 2022, 2 423 cas confirmés avaient été recensés en France. Les cas résidaient le plus fréquemment en Île-de-France (862 cas, soit 49 % des cas dont la région de résidence est connue), en Occitanie (210 cas, soit 12 %) et en Auvergne-Rhône-Alpes (181 cas, soit 10 %). La région de résidence n’est pas renseignée pour 653 cas et 8 cas résident à l’étranger. Tous les cas recensés à ce jour sont des adultes de sexe masculin, sauf 20 adultes de sexe féminin et deux enfants (moins de 15 ans). Les cas adultes ont un âge médian de 36 ans ; 25% des cas adultes ont moins de 30 ans et 25% ont de 43 à 84 ans. Parmi les cas investigués, 75 % ont présenté une éruption génito-anale, 70 % une éruption sur une autre partie du corps, 76 % une fièvre et 72 % des adénopathies (inflammation des ganglions). Parmi les cas investigués, 69 sont des personnes immunodéprimées (5 % des cas ayant répondu) ; 369 sont séropositifs au VIH (soit 26 % des cas connaissant leur statut VIH).  Chez les cas non porteurs du VIH, 677 sont sous Prep (soit 65 % des cas non porteurs du VIH ayant répondu à la question). À ce jour, en France, 96 % des cas pour lesquels l'orientation sexuelle est renseignée sont survenus chez des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Parmi les cas pour lesquels l'information est disponible, 72 % déclarent avoir eu au moins deux partenaires sexuels dans les trois semaines avant l'apparition des symptômes. La plupart des cas interrogés déclarent ne pas pouvoir identifier la personne qui les aurait contaminés ; 24 % sont des cas secondaires, c'est-à-dire qu’ils rapportent avoir été en contact avec un cas de variole du singe dans les trois semaines précédant la survenue des symptômes. Selon les données du site Monkeypoxtally, au 8 août, on recensait 29 054 cas confirmés dans le monde.

 

Une urgence de santé publique
L'Organisation mondiale de la Santé (OMS) avait déclenché, fin juillet, son plus haut niveau d'alerte afin de renforcer la lutte contre la variole du singe ; l’objectif étant un surcroît de mobilisation avant que l’épidémie ne devienne incontrôlable. De leur côté, les États-Unis ont déclaré, le 4 août dernier, une « urgence de santé publique » pour l'épidémie de variole du singe. Cette décision doit permettre de débloquer des fonds, de faciliter la collecte de données et de déployer davantage d'effectifs pour lutter contre la maladie, notamment la vaccination. On dénombrait, début août, un peu plus de 6 600 cas dans le pays, dont environ un quart dans le seul État de New York. « Nous sommes prêts à monter d'un cran notre réponse au virus et nous appelons tous les Américains à prendre la variole du singe au sérieux et à faire le nécessaire pour nous aider à lutter contre le virus », a déclaré le ministre américain de la Santé Xavier Becerra, cité par l’AFP.  La déclaration d’« urgence de santé publique » est limitée à ce stade à 90 jours ; elle peut être renouvelée. Comme dans d’autres pays, on mise tout sur la vaccination. L'État fédéral a fourni environ 600 000 doses du vaccin fabriqué par le laboratoire pharmaceutique danois Bavarian Nordic et commercialisé sous le nom de Jynneos aux États-Unis. Le chiffre est important, mais insuffisant au regard des besoins. En effet, quelque 1,6 million de personnes sont considérées à haut risque dans le pays et doivent avoir accès à cette vaccination. Les doses déjà fournies seront complétées par une nouvelle livraison de 150 000 doses, mais cette dernière ne devrait arriver dans le pays qu'en septembre en raison de problèmes de logistique, selon un responsable du ministère de la Santé. Le ministère de la Santé a indiqué que 99 % des cas recensés aux États-Unis concernaient des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes.

 

La France engagée dans la recherche
Une maladie endémique en Afrique de l’Ouest et du Centre qui, pour la première fois, fait l’objet d’une transmission entre êtres humains en Europe et en France. Il n’en fallait pas plus pour activer les esprits des chercheurs-es. À la suite de l’apparition des premiers cas, l’ANRS | MIE (Maladies infectieuses émergentes) — en lien avec le ministère de lʼEnseignement supérieur et de la Recherche et celui de la Santé et de la Prévention —, a mis en place un « programme de recherche d’urgence ». Dans un communiqué (1er août), l’agence rappelle qu’afin « d’assurer une réponse coordonnée et efficace » pour faire face à cette émergence, elle a immédiatement mis en place des activités de veille scientifique et d’information à destination des pouvoirs publiques et des médias. Parallèlement, l’agence a réuni un groupe pluridisciplinaire de plus de 50 experts-es afin de faire le point sur l’étendue des connaissances scientifiques et de définir des priorités de recherche pour répondre à l’épidémie. Cette réflexion a été articulée avec la feuille de route sur la recherche conduite par l’OMS. Différentes priorités de recherche ont été retenues : des études sur les réservoirs animaux, le développement de méthodes diagnostiques adaptées, la compréhension de la dynamique de circulation du virus (chez l’animal et chez l’homme) et des modes de transmission interhumaine, l’histoire naturelle et la physiopathologie de l’infection, les études en sciences humaines et sociales notamment dans les populations les plus exposées. Dans son communiqué, l’ANRS|MIE a lancé « deux projets de recherche structurants ». Il s’agit, d’une part, du démarrage d’une cohorte internationale de personnes infectées par le virus de la variole simienne (ANRS Mosaic). Ce projet vise à mieux comprendre la maladie et évaluer l’impact de la prise en charge des patients-es infectés-es. Les premiers patients-es ont été inclus-ses en France le 13 juillet 2022. Il s’agit, d’autre part, de la mise en place d’une cohorte de personnes contacts à risque d’infection Monkeypox (Monkey Vax), promue par l’AP-HP, et qui permettra d’étudier l’efficacité de la vaccination post-exposition (vaccin de troisième génération développé contre la variole). Les premiers patients-es ont été inclus-ses en France le 13 juillet 2022. D’autres projets ont été retenus pour financement et seront mis en œuvre. Et l’ANRS ǀ MIE d’expliquer : « Toutes ces études couvrant diverses thématiques et disciplines, portées par de multiples institutions de recherche en France et à l’étranger, en lien avec l’Europe et l’OMS, ont été déployées ou vont l’être dans un court délai – moins de deux mois après la déclaration des premiers cas en Europe. Elles apporteront des connaissances utiles à la mise en place de la réponse à cette épidémie et aideront à orienter les décisions de santé publique adaptées à chaque population. En savoir plus sur les projets sélectionnés suite à l’appel à projet « Flash » sur la variole simienne.

 

Remboursement des tests
Dans un communiqué publié lundi 25 juillet, la Haute autorité de santé (HAS) s’est prononcée en faveur du remboursement des tests Monkeypox, tout en rappelant qu’ils ne doivent être utilisés que pour confirmer ou non l’infection par le virus, lorsque le tableau clinique n’est pas suffisamment explicite. « Alors que le virus Monkeypox continue de circuler sur le territoire, la Direction générale de la santé a saisi la Haute Autorité de santé afin qu’elle se prononce sur le remboursement par l’Assurance maladie des tests d’amplification des acides nucléiques (TAAN, technique qui inclut les tests PCR) pour détecter l’infection par le virus. La HAS rend un avis favorable à l’inscription de ces tests sur la liste des actes et prestations, et en précise les indications. Elle rappelle que le diagnostic d’infection par le virus Monkeypox est avant tout clinique, la détection par test TAAN ne doit ainsi être effectuée qu’en cas de doute persistant après examen clinique » souligne la HAS.

 

Un centre de vaccination à Paris
Deux jours après l’annonce de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui déclarait l’épidémie de Monkeypox (variole du singe) comme urgence de santé publique de portée internationale (Usppi), le ministre de la Santé a enfin réagi. Invité sur BFMTV, le 25 juillet, François Braun a annoncé l'ouverture, dès le lendemain, d'un « centre de grande capacité de vaccination » contre le Monkeypox en Île-de-France. Il a, dans le même temps, indiqué qu'un arrêté autorisant tous-tes les étudiants-es en médecine à vacciner contre le Monkeypox serait publié le même jour. « Nous avons les doses, il faut maintenant les bras pour vacciner », a déclaré le ministre. Si certains-es se sont réjouis de cette annonce ; d’autres la trouvent trop tardives. « Un « grand vaccinodrome » à Paris ? Il y a un mois : 70 % des cas étaient en île de France, aujourd’hui ils représentent 50 %. Les épidémies n’attendent pas les ministres pour voyager. C’est flou et trop lent ! », a tweeté Marc Dixneuf, directeur général de AIDES. « Le vaccinodrome !!! Qui va ouvrir en plein mois d’août ! Depuis début juin, on sait qu’il y’a une épidémie chez les gays. Deux mois pour agir. Et hop les gays sont à Ibiza et autres lieux festifs et hop les contaminations. Dites-nous le nombre de doses disponibles ! Secret = mensonge », a tweeté Hugues Charbonneau (ancien vice-président d'Act Up-Paris et ancien directeur exécutif du Sidaction). De son côté, Sébastien Tüller, un activiste LGBT qui a témoigné dans les médias du fait qu’il avait contracté le Monkeypox, regrette aussi cette lenteur : « C’est dommage qu’il ait fallu attendre l’alerte de l’OMS. Cela fait plusieurs semaines, voire plusieurs mois que les malades et les associations de santé communautaires alertent de la même manière. On a perdu du temps, on aurait pu éviter des contaminations » a déploré le militant sur l’antenne de BFMTV.

 

La SFSP demande des comptes
Dans un communiqué publié mardi 26 juillet, la Société française de santé publique (SFSP) liste une série de mesures de santé publiques à mettre en place très rapidement pour enrayer l’épidémie de Monkeypox en France : une surveillance épidémiologique et mise à disposition des données de santé ; la mise à disposition la plus large possible des outils de dépistage et de diagnostic, et un dispositif de contact-tracing performant, le séquençage des génomes complets ; l’ouverture des données en santé (anonymes et agrégées) par Santé publique France et l’Assurance maladie, pour permettre l’appropriation et la réutilisation de données épidémiologiques par les personnes, organisations, associations ou équipes de recherche intéressées. « En lien avec les données et les réflexions produites à l’échelle internationale, la SFSP appelle à la mise en place d’une réflexion prospective sur la flambée actuelle et son évolution. Elle appelle en particulier à développer des modèles de diffusion du virus qui permettent d’élaborer des scénarios concernant les groupes de population potentiellement concernés et les outils de réponse à mobiliser. L’hypothèse d’une diffusion du virus au-delà des groupes actuellement touchés dès la fin de l’été est, en effet, plausible », met en garde la Société française de santé publique. La SFSP pose également une série de questions aux autorités sanitaires françaises : L’estimation faite par la Haute Autorité de Santé de 250 000 personnes ayant besoin d’un vaccin est-elle considérée comme la base des réflexions actuelles ? En combien de temps et par quels mécanismes les doses de vaccin nécessaires à la vaccination de ces personnes peuvent-elles être mises à disposition en France ? À très court terme, quel nombre de doses peuvent être mises à disposition ? À moyen terme, en combien de temps est-il envisageable de vacciner toutes les populations identifiées par la Haute Autorité de Santé qui souhaiteraient y accéder ? Par ailleurs, la SFSP se dit « inquiète de l’objection « secret défense » soulevée par les autorités devant les sénateurs-rices pour justifier de ne pas fournir plus d’informations publiques sur l’état des stocks de vaccins disponibles, sur les commandes de la France à des industriels et sur les raisons de ne pas participer à des commandes de vaccins avec les autres pays européens ». Beaucoup de questions en attente et peu de réponses à ce jour.