"Mourir n'est pas moins pénible au soleil !"

Publié par jfl-seronet le 01.12.2010
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1er décembre 2010
Une centaine de militants ont participé le 1er décembre, à l'appel de plusieurs associations de lutte contre le sida et de l'Observatoire du droit à la santé des étrangers, à une manifestation devant la préfecture de police de Paris. Les manifestants entendaient dénoncer la politique xénophobe du gouvernement et plus particulièrement les atteintes contre les étrangers malades. Seronet y était.
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Au coin de la rue, à la limite du pont qui enjambe la Seine et des premiers stands du Marché aux Fleurs, quatre CRS discutent du boulot dans la tenue habituelle qui les fait ressembler à des coléoptères. Matraques, bombes lacrymo plus grosses que des bombes de laque, harnachés comme s'ils attendaient le prochain coup d'Etat… ils patientent dans le froid, meublant le trottoir alors que, derrière eux, se détachent les bâtiments de l'Hôtel Dieu. Un hôpital que certains étrangers malades risquent de ne plus pouvoir fréquenter si le gouvernement et l'actuelle majorité vont au bout de leur projet : remettre en cause le droit au séjour pour soins des étrangers malades et rendre plus difficile encore l'accès à l'Aide médicale d'Etat.

Comme souvent, il fait froid ce 1er décembre, date de la Journée mondiale de lutte contre le sida. Devant la préfecture de police de Paris, proche voisine de l'Hôtel Dieu, CRS et vigiles battent la semelle devant l'entrée. Des touristes japonais se prennent en photos devant des oliviers centenaires enchaînés aux réverbères du Marché aux Fleurs. Ça ressemble à un matin habituel de ce quartier… à un détail prêt : une très forte présence de CRS et de gendarmes. Au Café des deux palais, les habitués notent d'ailleurs l'omniprésence du bleu marine. "Il doit y avoir un grand procès", avance l'un d'eux, en jetant un regard aux camions de police garés de part et d'autre de la place. C'est peut-être ça… A moins que ce ne soit la tenue de la manifestation, organisée, justement à l'occasion du 1er décembre, par l'Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE) et plusieurs associations de lutte contre le sida, qui explique la présence massive des hommes en bleu.

 

Vers 10 heures 30, des militants des différentes associations (1) prennent place aux abords des stands de fleurs, face à l'entrée de la préfecture. Certains portent des chapeaux de paille colorés et d'improbables lunettes de soleil, d'autres des colliers de fleurs. Quelques-uns ont revêtu des pagnes bariolés (très hors saison). Tous ont des pancartes en main rappelant que "la santé est un droit pour tous", que "les expulsions sont des condamnations", que "ici, c'est le droit à la santé. Et là-bas, la mort assurée". Les militants crient, dénoncent la "xénophobie d'Etat" qui a cours aujourd'hui et qui cible, au premier chef, les étrangers malades. Dès l'apparition des premiers chapeaux de paille, les forces de l'ordre comprennent que ce ne sera pas une matinée comme les autres. Rapidement, ils forment un cordon pour empêcher la centaine de manifestants de s'avancer vers la préfecture. Les fonctionnaires des renseignements généraux filment les militants et les policiers en civil contrôlent l'identité des responsables des associations. Derrière les slogans des militants : "Malades sans papiers, Malades condamnés", se détache la voix de Charles Aznavour. C'est une impression étrange que d'entendre quelques mesures de "Emmenez-moi", un des succès d'Aznavour, dans un froid polaire et une glaçante ambiance policière. Dans la chanson, Aznavour entonne souvent ce refrain : "Il me semble que la misère, serait moins pénible au soleil". Les militants ont réinterprété ce tube de 1967 avec ironie pour affirmer que "Mourir n'est pas moins pénible au soleil !" Un message qui renvoie le gouvernement et sa majorité à leur cynisme. C'est bien de cynisme qu'il faut parler quand, au prétexte d'un équilibre des comptes sociaux, on fait voter des mesures contre les étrangers malades qu'ils soient ou pas en situation régulière.

"Nous sommes réunis aujourd'hui, habillés avec des colliers des fleurs, des chapeaux de paille, pour détourner et dénoncer la réforme actuelle du droit au séjour pour soins pour les personnes étrangères malades, explique Caroline Izambert d'Act Up-Paris et membre de l'ODSE. Même si la loi est mal appliquée, aujourd'hui en France, les personnes très malades, en premier lieu celles qui sont séropositives, sont  protégées contre les expulsions et peuvent obtenir une régularisation pour soins. Le député UMP Thierry Mariani [il est aujourd'hui membre du gouvernement] a proposé, et cela a été voté à l'Assemblée nationale, de modifier cette loi et de rendre beaucoup plus difficile l'accès au droit au séjour pour soins. Désormais, il suffira que le traitement existe quelque part dans le pays d'origine pour qu'une personne malade n'obtienne pas son droit au séjour pour soins et puisse être renvoyée dans son pays. Peu importe, si le traitement n'est pas en quantité suffisante, s'il n'y a pas assez de praticiens, s'il n'y a pas le même traitement que celui que la personne recevait en France, il suffit qu'un traitement "existe" pour qu'une personne malade soit renvoyée et promise à une mort certaine faute d'avoir accès aux traitements dont elle a réellement besoin ou à un bon suivi."

 

Tout à leur obsession, le gouvernement et les parlementaires de droite ne se sont pas contentés de porter un coup fatal au droit au séjour pour soins. Ils ont également attaqué l'Aide médicale d'Etat (AME). "Nous sommes ici pour dénoncer les lois qui sont en train d'être concoctées par le Parlement. Il y a deux types de loi, rappelle Bruno Spire, président de AIDES, association également membre de l'ODSE. Il y a bien sûr cette loi qui veut restreindre le droit au séjour pour les étrangers malades en situation régulière. Cette loi qui veut simplement fabriquer des charters de la mort en renvoyant environ 20 000 personnes vers leur pays d'origine, notamment vers des pays africains où la couverture en traitement est d'environ 30 %, ce qui signifie qu'il n'y a pas assez de traitements pour toutes les personnes qui en ont besoin. Et il y a cette deuxième loi qui porte atteinte à l'Aide médicale d'Etat. Ce dispositif permet l'accès aux soins des personnes étrangères en situation irrégulière. Elle crée, par exemple, un forfait de 30 euros par an. 30 euros, ça ne paraît pas grand-chose comme ça, mais cette mesure s'applique à des personnes qui ont moins de 634 euros par mois pour vivre, ce qui les place sous le seuil de pauvreté. Cela veut dire en gros que ces personnes ne pourront pas accéder aux soins. On veut stigmatiser une population, la dissuader de se faire soigner. Et ça, c'est très grave. C'est grave pour cette population, mais ça l'est également pour la santé des Français".

A l'Assemblée nationale, plusieurs mesures contre l'AME ont été adoptées. Ces dispositions étaient examinées par le Sénat le 1er décembre. "Aujourd'hui, pour les actes médicaux lourds, il y aurait besoin [dans le cadre de l'AME] d'un accord préalable pour engager ces soins alors que cet accord n'est pas nécessaire pour les personnes françaises et on voudrait réduire le panier de soins, ce qui voudrait dire qu'il y aurait des soins qui seraient moins indispensables pour les étrangers malades que pour les Français, explique Caroline Izambert. Les sénateurs vont décider s'ils suivent ou non les députés sur l'AME. Nous avons appris ce matin que des sénateurs UMP ont déposé des amendements de suppression des dispositions restrictives contre l'AME… Nous avons bon espoir qu'enfin l'UMP se réveille et arrête de prendre des mesures complètement contraires à la santé publique et dangereuses pour les malades".

Des chapeaux de paille, des lunettes de soleil, les délégations de AIDES "transformées" en agences de voyage vendant des allers simples pour les étrangers… tout cela peut surprendre. "En mettant en scène les choses de la sorte, nous voulons signifier, par l'absurde, la dérision, que c'est la seule chose qui nous reste à faire. C'est notre moyen de faire comprendre que c'est ce que veut nous faire faire la République française. C'est la façon dont elle entend appliquer son plan de lutte contre le sida : dire aux étrangers malades de prendre leurs valises et de repartir au soleil, certes, mais pour y mourir", explique Bruno Spire. "C'est historique que les deux dispositifs [droit au séjour pour soins et AME] soient attaqués ensemble et que les attaques aillent aussi loin, affirme Caroline Izambert. C'est lié à deux facteurs. D'une part, dans un contexte de dégradation globale de l'accès aux soins pour l'ensemble de la population, cibler les personnes sans papiers permet de mieux faire passer le reste. C'est-à-dire le reste à charge qui augmente, les déremboursements, etc. Tout ce qui impose à la population générale un accès aux soins encore plus réduit. D'autre part, cela s'inscrit dans une politique de plus en plus xénophobe. On l'a vu avec le débat sur l'identité nationale. Nous avons un gouvernement et des parlementaires qui sont complètement décomplexés pour voter des dispositions ouvertement  xénophobes et, de plus, irrationnelles à bien des égards."

La chanson de 1967 d'Aznavour fait partie d'un album intitulé : "Entre deux rêves". Les manifestants du 1er décembre en avaient probablement deux en tête aussi… L'un pourrait être que le ministère de la Santé fasse enfin prévaloir les arguments de santé publique et s'oppose aux mesures xénophobes accordées pour satisfaire la droite la plus dure. L'autre pourrait être que le gouvernement comprenne l'angoisse des personnes étrangères malades, entende les arguments des associations et fasse sienne cette phrase de Martin Luther King : "De toutes les formes d'inégalité, l'injustice en matière de soins médicaux est la plus révoltante et la plus inhumaine."

 

(1) Act Up-Paris, AFVS AIDES, Catred, Cimade, Comède, Créteil solidarité, Fasti, FTCR, Giste, LDH, MFPF, Mrap, ODSE, Pastt.

Crédits photos :  Stéphane Blot, Arnaud Wasson-Simon, Jean-François Laforgerie. Vidéo : Olivier Jablonski

Commentaires

Portrait de serosud

et une fois réglé, le compte des clandestins incriminés.....les comptes de la sécu seront au beau fixe et la nation en sortira grandit !? Et sinon, quels seront les prochains sur les listes éjectorales ?