Onusida : vives critiques sur l’ère Sidibé

Publié par jfl-seronet le 10.08.2019
2 916 lectures
Notez l'article : 
0
 
MondeOnusida

Début août, l’AFP a fait état des « inquiétudes » de quelques experts-es sur l’avenir de l’Onusida, l’agence onusienne de lutte contre le sida, mais surtout des critiques après les dix années de gestion de Michel Sidibé. L’article se montre une peu alarmiste et constitue une charge contre l’ère Sidibé qui s’est conclue dans les remous.

Cela fait désormais des mois que l’on attend la nomination d’un-e successeur-euse à Michel Sidibé, ancien directeur général de l’Onusida, fonction qu’il a occupée pendant dix ans. Cette attente assez longue, mais pas rare à ce niveau de responsabilité, favorise sans doute le droit d’inventaire à l’œuvre ces derniers mois et certains règlements de compte. Longtemps « intouchable » et apprécié, Michel Sidibé a connu une fin de mandat chahutée ; mandat qu’il a d’ailleurs dû écourter devant le flot de critiques dont sa gestion était l’objet. Depuis mai dernier, il est ministre de la santé dans son pays d’origine le Mali et il doit assez régulièrement essuyer encore des critiques dans la presse du continent africain.

Comme souvent, reviennent en boucle les reproches sur sa gestion contestée de l’affaire de harcèlement sexuel qui a fait chuté son numéro deux : Luiz Loures. Les ennuis commencent avec la plainte déposée par une employée de l’agence qui affirme que Luiz Loures, directeur général adjoint de l’Onusida, l’a harcelée à de multiples reprises depuis 2011 et l’a même agressée dans un ascenseur en 2015 dans un hôtel de Bangkok, où se tenait une conférence de l’Onusida. Une enquête menée par le Service d’évaluation et d’audit (IOS) des Nations unies a estimé qu’il n’existait pas de preuves suffisantes pour étayer ces accusations. Mais voilà qu’on apprend que l’IOS a critiqué le directeur exécutif de l’Onusida, Michel Sidibé, pour avoir tenté de résoudre cette affaire « discrètement », en organisant une rencontre entre l’accusatrice et l’accusé, alors même qu’une enquête officielle était en cours. L’affaire s’emballe. Et ce d’autant que si le rapport ne trouve pas de preuves, Luiz Loures décide, début 2018, de ne pas demander un nouveau mandat. Il quittera ses fonctions en mars 2018. Lors d’un point de presse à Genève, le porte-parole de l’Onusida, Mahesh Mahalingam, explique aux journalistes que la décision de Luiz Loures n’a aucun lien avec les allégations le visant, en s’appuyant sur les conclusions de l’enquête interne… qui ne l’accusent pas. Reste que l’Onusida se lance alors dans la mise en place d’un « plan en cinq points pour prévenir et traiter toutes les formes de harcèlement au sein de l’Onusida ». Le problème, c’est que la plainte d’une première employée conduit à d’autres témoignages. Malayah Harper, qui a travaillé à divers postes pendant une décennie décide de parler à visage découvert. Elle affirme avoir été agressée sexuellement par Luiz Loures en 2014 et accuse un autre responsable de l’organisation d’intimidation, alors qu’elle travaillait en Afrique entre 2010 et 2012. Elle dit avoir prévenu sa direction et le bureau de Michel Sidibé, sans jamais recevoir de réponse. L’autre femme victime dénonce alors, elle aussi, la mauvaise gestion de son affaire par le directeur général de l’Onusida. Évidemment, dans un contexte très marqué par l’affaire Weinstein, le mouvement #metoo… ce type d’accommodements ne passe plus, a fortiori dans une institution internationale dont une des vocations est de défendre les droits de tous-tes. L'Onu avait demandé à un groupe d'experts indépendants d'enquêter sur la gestion de cette crise et leur rapport, remis en décembre 2018, a conclu que Michel Sidibé n'avait « pas pris ses responsabilités face à une culture de l'impunité ».

À l’occasion de cette affaire, surgissent d’autres critiques. Elles portent sur la personnalité de Michel Sidibé. On lui reproche d'entretenir un « culte de la personnalité ». Mais aussi d’avoir un bilan mitigé. Sous son mandat de presque dix ans, l'Onusida n'a pas réussi à « faire respecter les lois et les valeurs des Nations unies », ajoutent ainsi les enquêteurs-rices, cités par l’AFP. Certaines ONG reprochent d’ailleurs au secrétaire général des Nations Unies actuel de soutenir encore Michel Sidibé. « Il est plutôt regrettable que le secrétaire général lui-même, en dépit de tous ces problèmes que nous avons découverts, continue encore à le soutenir », a ainsi déclaré Penninah Lutung, la responsable pour l’Afrique de l'une des plus grandes organisations mondiales sur le sida, Aids Healthcare Foundation. Cette ONG est, de longue date, critique envers Michel Sidibé dont elle a demandé souvent la démission.

Dans un message à l'AFP, Michel Sidibé n'a pas critiqué les conclusions du rapport demandé par l’Onu. « Le rapport a été examiné avec attention par le Conseil de coordination du programme de l'Onusida (...) qui a décidé des actions qu'il a jugées appropriées et pertinentes », a-t-il écrit, cité par l’AFP.

Par ailleurs, l’AFP indique que des documents qu’elle a obtenus révèlent que l’épouse de Michel Sidibé, Christine Sidibé, a décroché en 2015 un contrat avec le bureau de l'Onusida à Djibouti pour l'aider à réunir des fonds. La mission n'était prévue que pour 15 jours et selon l'agence, qui a confirmé l'authenticité des documents, la contrepartie était de 14 000 dollars, soit juste en dessous de la limite qui aurait nécessité l'accord d'une « autorité financière ou administrative ». Dans un message adressé à l'AFP, Christine Sidibé a déclaré avoir « une longue expérience des questions liées au sida », après 13 ans de travail au sein de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). « Le directeur exécutif n'a pas été impliqué, ou informé de ce travail jusqu'à ce que j'accepte l'offre », a-t-elle martelé. Mais certaines ONG ne l’entendent pas ainsi. Paula Donovan, de l'ONG Code Blue Campaign, qui a été à la pointe des révélations sur la supposée « mauvaise gestion » de l'agence, a confié à l'AFP que « d'un point de vue éthique », le contrat aurait dû être soumis à la direction d'Onusida. Si accorder un contrat à la femme du directeur exécutif qui « passe juste en dessous du niveau requis pour une vérification (...) n'est pas résolument une violation des règles, alors il faut changer les règles », a-t-elle estimé. En réponse aux questions concernant le contrat de son épouse, Michel Sidibé a dit à l'AFP : « Je peux vous assurer que tous les actes que vous décrivez ont été faits dans le respect du règlement et approuvés au niveau requis ».

Même si les ONG les plus virulentes sur l’ère Sidibé surjouent un peu les « menaces » sur l’avenir de l’institution, il n’en demeure pas moins que la nouvelle nomination à la tête de l’Onusida est un pari sur l’avenir pour l’institution elle-même qui doit redorer une image désormais écornée et plus largement pour un combat : la lutte contre le sida, dont cette instance créée en 1994 reste un des fers de lance indispensables.