Orale, vaginale ou rectale, la PrEP à l’honneur !

Publié par Renaud Persiaux le 04.03.2011
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L’idée fait peu à peu son chemin : donner des médicaments anti-VIH à des séronégatifs pour leur empêcher de se contaminer. Les études de PrEP en cours portent sur une administration orale, par comprimés, ou vaginale ou rectale, au moyen de gels. De nombreuses études ont marqué cette CROI. Stratégies, molécules utilisées et schémas d’utilisation sont multiples. Depuis Boston, Renaud fait le point.

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A vos marques, PrEP, partez !
"It’s time to invest !" "C’est le moment de s’investir !"… et d’investir, concluait Bob Grant, le leader de l’équipe iPrEx, ce grand essai de PrEP par voie orale qui a inclus plus de 2 499 hommes ayant des rapports avec d’autres hommes et des personnes trans (quelques unes seulement). De fait, il semble que son appel soit superflu. Car la multiplicité et la richesse des études de cette 18e CROI, en matière de PrEP, est frappante : préclinique, phase I, phase II, phase III, dosages, efficacité, mutations, effets indésirables, acceptabilité, etc. Peter Anton, de l’Université de Californie à Los Angeles, l’expliquait devant la presse lundi 28 février : ce n’est pas parce qu’on a des résultats d’efficacité sur de grands essais qu’il faut arrêter de faire de petites études. Celles-ci restent intéressantes parce qu’elles donnent des résultats très rapidement, qui complètent utilement ceux fournis par les grands essais.

Iprex : mise à jour

Les dernières données d’iPrEx ont été révélées, mardi 2 mars. Après presque trois ans de suivi, l’utilisation quotidienne de Truvada (ténofovir/emtricitabine) décroit de 44 % le risque d’être infecté par le VIH, et cela sans toxicité importante. Surtout, insiste Bob Grant, seuls 9 % des personnes qui se sont infectées avaient du Truvada détectable dans le sang, contre 51 % chez les personnes qui ne se sont pas contaminées. Sa conclusion : "La PrEP, ce n’est efficace que si on la prend ! Chez les personnes qui avaient des médicaments détectables, la réduction du risque de transmission grimpe à 92 %". Et plus globalement, l’efficacité augmente en même temps que l’adhérence au traitement.
Quid de ce que le chercheur appelle les "effets collatéraux" à la méthode PrEP ? Côté effets indésirables, on voit plus de nausées et aussi une perte de poids, plus une petite élévation, non significative statistiquement, de la créatinine (qui trahit une certaine toxicité sur les reins), ce que les chercheurs surveillaient car c’est un effet indésirable du ténofovir.  Pas de mutation de résistances et pas de "compensation" du risque (comprendre pas d’augmentation des prises de risque). Une étude détaillée (abstract 97LB) a mis en évidence un cas de virus résistant mineur et un risque très faible de résistances. Bob Grant met aussi en avant des bénéfices collatéraux à l’essai iPrEx lui-même : cela a permis, dans les pays concernés, de surveiller l’épidémie, de proposer du counselling (un accompagnement à la prise de ce traitement et à la bonne utilisation du préservatif et du gel), d’identifier des primo-infections, de faire du dépistage des IST… Autant de facteurs qui assurent une augmentation de la qualité de la prise en charge préventive.
iPrEx va se poursuivre par une étude ouverte de 18 mois, chez tous les participants qui sont restés séronégatifs. Elle devrait commencer dans les prochains mois. Elle est conçue pour fournir de nouvelles données sur l’efficacité, la sureté et les impacts comportementaux de la prophylaxie pré-exposition.

Truvada : des effets sur les os

Présentées mardi 2 mars, deux études (sur les participants à iPrEx et sur ceux d’un essai plus ancien utilisant également Truvada) indiquaient une diminution faible, mais statistiquement significative, de la densité minérale osseuse chez les participants à iPrEx prenant Truvada, ce qui rendra peut-être nécessaire un suivi ainsi que toute association éventuelle à des fractures osseuses. Du côté de l’adhérence : une étude montrait un faible lien entre les mesures d’adhérence utilisées dans iPrEx (déclaration ou comptage des cachets) et les concentrations en antirétroviraux observées, ce qui suggère qu’il faudra développer de nouveaux outils.

Vagins, anus, anneaux !

Gel vaginal utilisé en rectal… ça passe ET ça casse

Résultats contrastés pour l’utilisation rectale du gel vaginal à base d’antirétroviraux déjà utilisé dans l’essai Caprisa, pour l’essai de phase 1 RMP-02/MTN-006 de Peter Anton (Abstract 34LB). Certes, il protège à 80 % l’infection des cellules rectales par le VIH, mais, selon une étude, il incommode la muqueuse rectale (provoquant des troubles gastro-intestinaux comme des crampes : seuls 25 % des utilisateurs l’appréciaient), ce qui va nécessiter une reformulation spécifique pour l’usage rectal. Les chercheurs explorent de nombreuses pistes : plusieurs produits sont testés sur des cultures de cellules (Abstract 983), et des modes d’administrations proches de douches ou de lavements sont envisagées (Abstract 993). A noter que les concentrations de ténofovir dans la muqueuse rectale était 100 fois plus haute après une dose unique de gel et 500 fois plus hautes après 700 applications, comparativement à la prise orale.

Orale, vaginale ou en anneau : faites votre choix

Une étude suggère que les femmes américaines préfèreraient les pilules, tandis que les femmes africaines aiment les deux, mais avancent que le gel augmente le plaisir sexuel.  (Abstract 35LB). En revanche, la même étude suggère que les concentrations d’antirétroviraux dans les muqueuses du vagin étaient 100 fois plus importantes en cas d’utilisation du gel vaginal par rapport au comprimé, mais on ne sait pas encore si cette différence de dosage pourrait avoir des conséquences en terme d’efficacité réelle. Une autre étude montre qu’un anneau en silicone est à la fois sur et bien accepté par les femmes africaines, après trois mois d’utilisation (Abstract 1004).

Du raltégravir en gel vaginal après exposition

Autre stratégie, le gel vaginal à base de raltégravir (la molécule contenue dans Insentress, anti-intégrase) à appliquer trois heures après le rapport sexuel. Une étude de Charles Dobard, des Centres américains pour le contrôle des maladies (CDC), a montré qu’une dose d’un gel de raltégravir dosé à 1 % protège cinq singes sur six, après 20 expositions au virus. La clé de l’efficacité de cette étude, c’est l’usage de raltégravir. Alors que le ténofovir (utilisé dans Caprisa) perd de son efficacité deux heures après le rapport sexuel, le raltégravir pourrait être appliqué jusqu’à 10 heures après. Une piste à suivre… D’autant que ce schéma pourrait être plus adapté aux besoins des femmes… et des hommes si le raltégravir s’avérait efficace par application rectale, ce qui n’a pas encore été testé. A suivre.

Combien ça coûte ?

Coût/efficacité : bien sous tous rapports…

D’autres études ont considéré les aspects économiques. Une modélisation de Rochelle Walensky de la Harvard Medecine School (abstract 37LB) a illuminé les congressistes. Elle a abordé un sujet qui n’avait jusqu’alors jamais été traité lors d’une session plénière de la CROI ; il s’agissait de faire le point sur les nouvelles informations concernant la mesure du coût-efficacité des stratégies de lutte contre le VIH/sida. Elle a examiné les rapports de coût/efficacité en Afrique du Sud. Elle suggère que pour être efficace, la PrEP, qu’elle soit vaginale ou orale, doit cibler des femmes à très haute risque d’infection (plus de 9 % de nouvelles personnes infectées par an), se montrer très efficace dans les conditions réelles (73 %, alors qu’on est à 39 % pour l’essai Caprisa et 44 % pour l’essai iPrEx) et diminuer au moins de moitié le coût (3,6 dollars contre 7,25 dollars pour Caprisa et 11,7 dollars pour iPrEx). Attention, ces résultats tiennent compte des niveaux de dépenses considérés comme acceptables (d’un point de vue coût/efficacité) en Afrique du Sud. Une autre modélisation (abstract 99LB) suggère que traiter les partenaires séronégatifs des couples hétérosexuels sérodifférents serait coût-efficace. C’est-à-dire que cela vaudrait le coup d’un point de vue économique tout en étant efficace en cas de rapports sans préservatifs et si le partenaire vivant avec le VIH n’est pas traité, et en réduisant le coût des traitements. Evaluer le coût-efficacité de la prise d’antirétroviraux par le partenaire séronégatif pour éviter au partenaire séropositif d’en prendre, et ce dans un couple sérodifférent ? Etrange voire effrayant.

Commentaires

Portrait de sonia

cité dans le texte : "Une autre modélisation (abstract 99LB) suggère que traiter les partenaires séronégatifs des couples hétérosexuels sérodifférents serait coût-efficace. C’est-à-dire que cela vaudrait le coup d’un point de vue économique tout en étant efficace en cas de rapports sans préservatifs et si le partenaire vivant avec le VIH n’est pas traité, et en réduisant le coût des traitements. Evaluer le coût-efficacité de la prise d’antirétroviraux par le partenaire séronégatif pour éviter au partenaire séropositif d’en prendre, et ce dans un couple sérodifférent ? Les chercheurs en modélisation ont parfois de drôles d’idées…" Ba oui Renaud, laissez crever les malades en Afrique et les renvoyer chez eux parce que la pilule anti sida est disponible...pour les seronégatifs, bien sûr !