Paris Black Pride s'engage contre le VIH

Publié par Rédacteur-seronet le 28.08.2017
5 463 lectures
Notez l'article : 
0
 
InterviewParis black prideVIHracisme

Le 20 mai dernier, l'association Paris black pride et AIDES organisaient à Paris une table ronde sur la santé sexuelle des hommes noirs ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes en France. A cette occasion, Seronet a rencontré Johan Amaranthe et Franck Doucet, respectivement président et membre actif de l'association Paris black pride. Ensemble, ils reviennent sur les origines de l'association et du combat à mener pour la prise en compte des parcours de vies de LGBTQ (lesbiennes, gays, bi-e-s, trans et queer) noirs.

Vous avez créé Paris black pride en 2016. Pourquoi vous a-t-il semblé qu'il était temps de monter une association LGBT communautaire de personnes noires, afro-descendantes ou racisées en France ?

Johan Amaranthe : Au premier trimestre 2016, un groupe d’amis et moi-même discutions de nos expériences, en tant que gay, lesbienne, noirs en France. Nous nous rendions compte, à partir de nos vécus militants, au sein des associations existantes, que nous avons été dans des situations où nous étions marginalisés, mis sous silence, ou bien que notre parole n’était pas prise en compte. Souvent les personnes concernées ont quitté ces associations, à majorité blanche. Nous avons vu alors l’opportunité de créer une véritable plateforme qui pourrait nous correspondre et qui s’adresserait aussi à toutes les personnes qui se sentent invisibilisées au sein de la communauté LGBTQ. Ainsi, Paris black pride (PBP) s’est lancé en France, pour se focaliser sur les champs qui nous intéressent : la santé, le social et aussi la culture. Mais surtout, la célébration de ce que nous sommes.

Franck Doucet : D'abord, il faut savoir qu'il y a eu d’autres associations, des collectifs, des groupes de LGBTQ noirs qui sont nés avant Paris black pride, notamment Afrique Arc-en-ciel [qui est d’ailleurs membre fondateur du Paris black pride, ndlr], née dans les années 2000, plutôt centrée sur la santé. L'année 2016 est en réalité le moment marquant pour la visibilité des LGBT noirs. Pour nous, aujourd’hui, la nécessité est de mobiliser autour de la représentation, de la visibilité et de l’inclusion sociale des personnes LGBTQ noires en France. Il s’agit de proposer quelque chose de beaucoup plus politique et revendicatif.

On parle beaucoup de l'homophobie et du tabou de l'homosexualité dans les communautés afro-caribéennes. Quelles sont les difficultés rencontrées en tant que LGBT dans ces communautés pour faire émerger la parole sur cet enjeu, sans pour autant induire que l’homophobie serait seulement propre à ces communautés ?

FD : Quand on aborde la question de l’homophobie au sein de la communauté noire, on remarque qu’on en parle souvent, mais mal. On en parle comme s’il existait une spécificité à la communauté noire, avec une représentation des personnes noires particulièrement homophobes. Pourtant, chacun sait que l’homophobie se rencontre dans l’ensemble de la société, et pas seulement dans telle ou telle communauté. On ne peut pas graduer ce phénomène sans parler de la stigmatisation des personnes noires par ce prisme. En revanche, il peut y avoir une rhétorique homophobe spécifique que les personnes LGBT noires peuvent rencontrer. Il y a ce discours qui dit : "L’homosexualité est un truc de blanc, une maladie de blanc". C’est face à cette représentation d’une homosexualité des blancs, que l’on doit avoir une voix et tenir un discours. Se montrer pour dire que non, l’homosexualité n’est pas quelque chose de propre aux blancs. Il y a eu des personnes ouvertement homosexuel-le-s en Afrique avant la colonisation. Il y a eu des formes de conjugalité entre personnes de même sexe dans toute l’Afrique avant cette période. C’est une histoire malheureusement assez méconnue. C’est cette histoire là qu’il nous faut mettre en avant. Ensuite, on dit souvent qu’il est "compliqué" d’être à la fois homosexuel et noir. Mais il ne s’agit pas tant de cumul de stigmates que d’intersections. Les personnes subissent à la fois du racisme et de l’homophobie. C’est ce croisement qui favorise l’exclusion sociale et la précarité qui, au final, marginalisent les personnes LGBTQ noires ou racisées.

JA : En plus d’être LGBTQ, nous sommes noirs. Dans une société où la couleur de peau conditionne négativement les parcours des citoyens en général. C’est notre particularisme, au sein de la communauté LGBTQ, qui est parfois mal compris. Quand on parle de marginalisation, nous voulons dire que bien que nous nous inscrivions dans les combats d’égalité LGBTQ, nous n’existons pas ou sommes invisibles aux avant-postes de ces luttes. Ceux que l’on voit, ce sont des blancs qui, en dehors du fait d’être homosexuel, bénéficient du privilège de leur couleur : homo, mais blanc. Nous, nous observons cela en tant que compagnons de lutte, mais nous avons également nos besoins revendicatifs propres. En tant que noirs, nous sommes beaucoup plus exposés au racisme et à tous les systèmes d’exclusion systémique, "invisibles" mais pourtant bien réels. Beaucoup de personnes en sont écrasées. C’est aussi le propos de Paris black pride, nous sommes là contre l’homophobie, mais aussi contre le racisme quel qu’il soit. C’est un sujet dont on parle peu, la France aimant se vivre dans sa dimension universelle, uniforme à travers une formule où on "verrait plus les couleurs", où nous serions "tous pareils". Pourtant, il y a des communautés qui sont là, avec des parcours de vie difficiles et dépendant de leur origine ethnique et de leur orientation sexuelle. Ce n’est absolument pas une concurrence aux sujets LGBTQ, au contraire, cela en fait partie ! Il faut savoir que la lutte pour l’émancipation, la libération des homosexuel-le-s aux Etats-Unis s’est beaucoup inspirée des luttes pour les droits civiques des Afro-américains. Quand on mentionne les événements de Stonewall [bar gay de New York où, après une énième descente de police, se sont révoltés des gays, des drag-queen et des personnes trans contre l’homophobie, ndlr] qui ont lancé en 1969 le mouvement de libération LGBTQ aux Etats-Unis, beaucoup de drag-queen noires, de LGBTQ noirs, étaient aux avant postes des émeutes, qui sonnaient la révolte. Nous nous inscrivons véritablement dans cet héritage-là. Ce sont des choses qui sont tues, en oubliant de mettre en avant ces personnages historiques et racisés. On a réécrit, plus tard, l’Histoire des luttes LGBTQ en la blanchissant.

On parle beaucoup de l'homophobie, moins du racisme ou de la xénophobie au sein de la communauté LGBTQ envers les LGBTQ racisés. Quelles difficultés spécifiques rencontre-t-on quand on est gay ou lesbienne et noir ou personne trans racisée dans le milieu LGBTQ ?

JA : Nous avons déjà les retours d’expériences de militants LGBTQ racisés dans des structures existantes. Il n’y a pas d’espaces véritablement pensés pour accueillir des personnes ayant des parcours de vie différents ou pour leur permettre de discuter. Nous devons réfléchir aujourd’hui en termes d’espaces. Nous sommes une nouvelle génération d’activistes, voulant avoir la parole et être entendus. C’est pour cela que nous devons créer nos propres canaux, nos propres moyens d’expression et de diffusion de nos messages. Nous sommes là pour les luttes de convergences avec d’autres associations, mais nous voulons être force de proposition et contrôler nos messages. Nous voulons dire les choses telles qu’elles sont. Paris black pride entend se poser là ! Nous avons prouvé la pertinence de l’existence d’un mouvement LGBTQ inclusif des personnes noires, mais aussi racisées. Nous avons constaté l’écho d’un tel mouvement auprès de personnes qui, jusque là, ne se sentaient pas représentées.

FD : Nous avons subi des retours hostiles à notre création. On nous faisait le reproche du fameux communautarisme. Ce qui est frappant, c’est que ce reproche, c’est celui qu’on faisait il n’y a pas si longtemps au mouvement gay dans son ensemble. "Pourquoi vous vous rassemblez ?" "Pourquoi ne vous mélangez-vous pas ?". Les mêmes reproches, d’être entre nous, sont faits aujourd’hui. La réponse est pour se protéger, comme pour les gays précédemment. Se protéger de l’homophobie, mais aussi du racisme à la fois. Car le racisme se rencontre dans l’ensemble de la société, mais aussi dans les milieux LGBT. Il y a d’abord l’exotisation du corps noir, avec des représentations caricaturales, les images qu’on peut retrouver dans la pornographie, par exemple. Des gays noirs, musclés, possédant un sexe hypertrophié, érotisé dans leur "bestialité". Et puis il y a l’hostilité que l’on rencontre dans les espaces de sociabilité, comme les applications mobiles de rencontre. Des personnes qui indiquent ostensiblement "No black", "No asian" dans leurs critères de recherche. Je me suis personnellement engagé dans Paris black pride pour lutter contre ce racisme qui existe dans la communauté gay. Ce n’est pas acceptable que des gens expriment publiquement un rejet à toute une partie d’une population qui aurait tel ou tel trait qui ne serait pas à leur goût. Ce n’est pas une question de "préférence", c’est du racisme.

Lors de la table ronde, les intervenant-e-s ont bien montré les vulnérabilités spécifiques des HSH noirs ou afro-descendants en matière de santé et de VIH. Exposé en tant que gay, mais aussi en tant que noirs et racisés. Comment expliquez-vous cette "double peine" ?

FD : La table ronde a permis de poser un constat général et simple, malgré l’absence de données spécifiques concernant les hommes gays noirs ou afro-descendants. Nous savons qu’aujourd’hui il y a parmi les personnes séropositives, une surreprésentation des homosexuels masculins. Et que, parmi eux, il y a une surreprésentation des personnes d’origine étrangère. Pourtant, dans les campagnes de prévention, il n’y a quasiment que des hétérosexuels blancs. Déjà, dans la prise en compte du problème, il y a un biais énorme. Les affiches ne concernent pas tous les gens qui les regardent. Ou alors les hommes noirs sont systématiquement représentés comme hétérosexuels. Ce schéma de pensée, qui présuppose qu’un gay est blanc et qu’un noir est hétéro reste très ancré, notamment dans le monde médical. Je ne suis pas étonné de nous voir rétorquer qu’à défaut de chiffres, "on ne sait pas" ! Ce colloque était là aussi pour secouer les choses et faire prendre conscience de ces enjeux. Dans certains CeGIDD, en région parisienne, des acteurs du dépistage rapportent ne pas rencontrer de HSH en leurs murs. D’un point de vue statistique et épidémiologique, cela parait pourtant assez improbable. Dans ces lieux, où l’enjeu des IST est prégnant, où l’homosexualité et VIH sont souvent amalgamés, il n’y a même pas l’idée de penser la structure accueillante pour l’ensemble des HSH pouvant potentiellement fréquenter le centre. C’est une violence, de voir que d’un côté, nous sommes très stigmatisés vis-à-vis du VIH en tant que gay, alors que dans la réponse, certains gays disparaissent aux yeux de ces acteurs médicaux. Je trouve cela fou ! Les gays et les hétéros ne sont pas traités de la même manière dans ces lieux, c’est aussi le cas entre les gays blancs et les gays noirs ou racisés, ces derniers étant moins respectés.

JA : Dans les associations qui œuvrent sur ces sujets de santé et de prévention, AIDES notamment, il y a cette volonté de ne pas participer à la stigmatisation, en pointant la communauté LGBT noire. Cela part d’un bon sentiment, mais cela n’améliore pas la situation. Louis-Georges Tin (3) l’expliquait dans son intervention : cette posture a laissé beaucoup de personnes mourir, parce que les politiques publiques tombaient à côté de la plaque. Alors, qu’au risque de choquer, mieux vaut attaquer le problème de front, avec des mesures efficaces et des politiques efficaces. Accompagner des gens, donner accès à l’information. Nous avons le témoignage de personnes, qui, travaillant au sein de ces organisations, expliquent que malgré leur interpellation sur ces enjeux, elles ne sont pas toujours écoutées. C’est un préalable fondamental, surtout quand on parle de santé publique. Même pour l’organisation de ce colloque sur la santé des HSH noirs ou afro-descendants, nous nous sommes heurtés à des freins. On nous a rétorqués que lier VIH et couleur de peau n’était pas "éthique". Que faire alors ? Il faut que les associations, comme AIDES ou Sidaction, écoutent les personnes noires en leur sein et entendent leur retour d’expériences des Outre-mers ou d’Afrique, et même d’ici.

Paris black pride célèbre la fierté d'être noir et LGBT. Les notions d'identité, de "race" et de communautaires sont explosives en France. A l'aune de cela, comment arrivez-vous (ou pas) à faire convergence avec d'autres groupes, et lesquels, qui rejoignent ces deux enjeux ?

FD : Très concrètement, nous sommes déjà alliés avec d’autres collectifs. Il y a des groupes féministes avec lesquels nous organisons des rencontres et des débats. Nous sommes alliés avec des Afro-féministes, à des groupes qui pensent qu’il y a une spécificité sociale à vivre plusieurs oppressions qui coexistent.

JA : Les précédentes générations ont mené le combat comme elles le pouvaient. Aujourd’hui, nous en sommes une nouvelle. Je ne sais pas s’il faut parler de radicalité dans les formes de luttes, mais, à Paris Black Pride, nous sommes une association qui s’adresse aux personnes LGBT afro-descendantes et aux personnes racisées. Nous sommes ouverts à des personnes LGBT friendly, blanches, qui partagent un certain nombre de combats et qui souhaitent nous soutenir. Nous avons des espaces qui sont pensés pour accueillir ces personnes, mais en termes de leadership, PBP se construit en non-mixité. C’est clairement des personnes concernées par l’homophobie et le racisme qui assurent le fonctionnement exécutif de Paris black pride.

Que faudrait-il changer pour que le mouvement LGBT prenne véritablement en compte la diversité de ses propres communautés ?

JA : Déjà, apprendre à nous respecter. C’est un préalable fondamental. Cela signifie apprendre à nous écouter et surtout nous entendre. C’est vraiment - au-delà d’être pénible - douloureux de voir que lorsque l’on évoque nos expériences de vie dans le milieu LGBT, on insinue que l’on "exagère" ou que nous voyons "le racisme partout". C’est déjà une violence qui nous est faite. Car tout le monde n’est pas également outillé pour combattre le racisme. Il est difficile pour les blancs de comprendre, ils ne sont pas confrontés au contrôle au faciès, à la difficulté spécifique de trouver un logement, un travail en tant que noir. Ce n’est de l’empathie dont nous avons besoin, mais du respect de notre parole, sans remise en cause ou euphémisation.

FD : Il devrait y avoir une forme d’introspection des militants LGBT blancs à partir du moment où ils nous voient, LGBT noirs ou racisés, nous rassembler et nous mettre ensemble. Cela signifie qu’il y a un problème de fond dans la représentativité du mouvement LGBT. Et c’est à eux de se remettre en cause et pas à nous, à chaque fois, de nous justifier. Sans cesse, nous subissons un procès en communautarisme, nous devons expliquer pourquoi nous existons, alors qu’on pourrait enfin poser les choses en commun, discuter et avancer ensemble. Les groupes non-mixtes sont d’ailleurs nés de l’injonction permanente à la pédagogie sur des choses qui nous concernent en premier lieu. La non-mixité, c’est l’efficacité, réfléchir entre nous sur des expériences communes et collectives et trouver des moyens et des solutions. Cette non-mixité est essentielle, comme elle l’a été pour le féminisme.

Propos recueillis par Mathieu Brancourt

(1) : Louis-Georges Tin est universitaire, président du Cran (Conseil représentatif des associations noires de France) et fondateur de la Journée Idahot (Journée mondiale contre l'homophobie et la transphobie).

Derrière les mots
Afro-descendantes : fait références aux personnes ayant des ancêtres nés en Afrique subsaharienne en nombre suffisamment important pour que cela ait une incidence sur l’apparence ou la culture de ces personnes.
Racisés : "Une communauté d’expériences de la domination raciste, quelles que soient les formes qu’elle prend selon notre appartenance de genre ou de classe", une définition de la militante antiraciste Mélusine sur Médiapart.

Deux tables rondes
Le 20 mai dernier, le collectif Paris black pride et AIDES organisaient à Paris un colloque sur la santé sexuelle des HSH noirs en France avec deux tables ronde réunissant des expert-e-s du VIH. Cet événement, animé par des représentants des deux organisations visait à faire émerger les enjeux spécifiques des minorités noires et racisées en matière de santé sexuelle et d'exposition au VIH. Premier constat, au delà de l'impact du racisme et de l'homophobie, l'absence de données spécifiques à ce sous-groupe est frappante. Pourtant, les recoupements possibles, avec les quelques chiffres disponibles, mettent en exergue une vulnérabilité encore plus forte des hommes gays noirs au VIH. Ainsi 19 % de découvertes de séropositivité chez les HSH concernent des personnes nées à l'étranger en 2015. Sachant que les HSH représentent au global presque la moitié des contaminations annuelles. Et cela ne prenant pas en compte les HSH afro-descendants, nés en France, notamment dans les Outre-mer, départements très touchés par l'épidémie. Ces hommes noirs homosexuels, très touchés ou très exposés au virus, font pourtant partie des "invisibles" des données officielles. L'interdiction des statistiques dites "ethnique" reste aux yeux des activistes comme des acteurs du champ de la santé présents, un frein majeur à la mise en place d'une réponse efficace de santé publique concernant ces communautés, mais pas seulement. Sans parler d'un accès complexe à la PrEP, du racisme présent dans la communauté LGBT, ou encore des représentations encore très ancrées sur la sexualité des hommes noirs.