Pas de signaux d'un lien entre Covid-19 et VIH

Publié par jfl-seronet le 25.05.2020
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InterviewCovid-19

Comme d'autres agences de recherche, l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) s'est mobilisée dans le contexte de l'infection à Covid-19. Ses experts-es ont été sollicités-es sur des recommandations spécifiques pour les personnes vivant avec le VIH, publiées dans un document de référence de la HAS. L'agence a, par ailleurs, lancé de nouvelles recherches liées au Covid-19, notamment dans les pays du sud. Les traitements anti-VIH peuvent-ils prémunir d'un infection par le Covid-19 ? Seronet fait le point avec François Dabis, directeur de l'ANRS, interviewé le 10 avril 2020.

Quels sont les traitements utilisés dans la prise en charge du VIH expérimentés dans celle du Covid-19 et avec quels résultats ?

François Dabis : Je voudrais d'abord vous donner quelques éléments de contexte. Il y a quelques semaines, l'ANRS et le Conseil national du sida et des hépatites virales ont été mandatées à la demande de la Haute autorité de santé (HAS) pour faire des préconisations sur la prise en charge du VIH dans le cadre du Covid-19, et y ont associé d'autres organisations comme la Société française de lutte contre le sida et la Société de pathologie infectieuse de langue française. Elles ont été publiées dans un document de référence, qui sera actualisé dans le contexte du déconfinement. Nous sommes partis du corpus de connaissances d'alors, en constante évolution, avons identifié et réuni les bons experts, travaillé dans un délai court, tout en nous assurant qu'aucune société savante ou population n'était exclue de la réflexion ou des préconisations. Cet ensemble a été publié début avril. Il comporte douze préconisations.

Pour répondre, plus précisément, deux traitements anti-VIH font l'objet d'études cliniques dans le cadre du Covid-19 : Kaletra et Leronlimab (1), un anti-CCR5. À ma connaissance, il n'y en a pas d'autres. Le réseau REACting, sous le pilotage de l’Inserm et l’égide d’Aviesan (2), auquel l'ANRS contribue et qui coordonne la recherche française contre le Covid-19, tient un tableau de bord de ce qui est expérimenté. Nous disposons, à ce jour, de peu de résultats. Nous avons des données chinoises sur Kaletra (essai Lotus China, publication dans le New England Journal of Medecine, ndlr) (4); d'autres essais sont en cours et nous attendons encore les résultats. Par exemple, dans l'essai européen Discovery (projet soutenu par REACting).

Que dites-vous à des personnes vivant avec le VIH sous traitements efficaces qui pensent que les antirétroviraux qu'elles prennent pourraient avoir un effet protecteur contre le Covid-19 ?

Il faut que les personnes qui prennent ces traitements les poursuivent, sans faire de switch ni de pauses. Très peu de molécules anti-VIH sont testées dans l'espoir d'un traitement anti-Covid et les résultats des études ne sont pas concluants. Pour être clair, les traitements anti-VIH ne protègent pas du Covid-19. D'ailleurs, dans le document de la HAS que j'ai mentionné, nous indiquons qu'il « n'est pas recommandé de modifier un traitement antirétroviral en cours dans le but d’utiliser en particulier un inhibiteur de la protéase du VIH contre le Sars-CoV-2. J'ajoute, cela fait partie de nos préconisations qu'il faut « éviter les changements de traitement antirétroviral durant la période de confinement, en dehors des situations d’échecs thérapeutiques, de la survenue d’effets indésirables, de la grossesse ou de co prescriptions indispensables à risque d’interactions médicamenteuses.

Que sait-on aujourd'hui de la situation des personnes vivant avec le VIH au regard du Covid-19 ? Sont-elles plus exposées ? Sont-elles plus fragiles si elles sont contaminées par le Covid-19 ?

Nous nous sommes posés ces questions dès le début de l'épidémie de Covid-19. Nous avons regardé si des cas individuels étaient signalés dans les services... Nous avons eu des notifications informelles, spontanées, signalant que des personnes vivant avec le VIH étaient atteintes par le Covid-19, mais sans que cela permette d'établir une différence entre les personnes vivant avec le VIH et le reste de la population, ni que la maladie Covid-19 soit plus sévère dans ce cas-là. À ce stade, nous n'avons pas de données sur le nombre de personnes vivant avec le VIH qui auraient été infectées par le Covid-19, pas de signalement qu'une infection par le Covid-19 aurait accéléré l'infection à VIH chez une personne vivant avec le VIH. Comme je l'expliquais, nous assurons une veille par les remontées des cliniciens, des biologistes, des virologues avec lesquels nous sommes en contact. J'ajoute qu'au niveau européen, nous n'avons pas de données ou de signaux spécifiques d'un lien particulier entre Covid-19 et VIH. Pour autant, cette question d'un lien entre les deux infections intéresse l'ANRS. L'AC 44 (action coordonnée de l'agence qui porte sur la recherche clinique sur le VIH, ndlr) y travaille. Elle va mandater des experts pour faire des propositions de recherche, travailler sur le recueil de données. De notre point de vue, il n'y a, au vu des éléments actuels, mais les connaissances changent vite, pas d'urgence sur ce sujet,. Enfin, s'il n'y a pas de données spécifiques concernant les personnes vivant avec le VIH, il est probable que nous aurons quelques données sur ce sujet avec la cohorte observationnelle French Covid-19 qui devrait comprendre des personnes vivant avec le VIH, puisque ce n'est pas un critère d'exclusion pour participer à cette cohorte.

Que pensez-vous de la façon dont la recherche sur le Covid-19 s'organise et se déroule aujourd'hui ?

Je me suis longuement exprimé sur ce sujet dans une interview à l'agence AEF info, le 10 avril dernier. J'y ai souligné que la France était « l’un des rares pays à avoir pu, en l’espace d’un mois, organiser, mettre en place et financer un dispositif de recherche » pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Ce qui a été fait est colossal et fait dans un temps record. Si je reviens sur le réseau REACTing, auquel nous participons, je note que toutes les dimensions de la recherche ont été prises en compte, même si la priorité est donnée au thérapeutique. Cette période a aussi été marquée par une tension entre le temps des politiques et celui de la recherche. Pour les premiers, cela ne va jamais aussi vite et ce d'autant que la période a vu nombre de décisions s'appuyer sur l'expertise scientifique. Selon moi, la coordination pourrait être améliorée entre les différents organismes et instances, sur le plan national, comme le plan européen et international. Dans l'interview au site AEF info, j'expliquais aussi que s'il est bien une question à se poser lorsqu’on sortira la tête de l’eau, c’est de savoir quelles leçons il faudra tirer de cette épidémie sur l’organisation de la recherche liée aux maladies émergentes.

La crise actuelle a-t-elle un impact sur la recherche sur le VIH et les hépatites ? Des projets sont-ils en suspens ? Craignez-vous un basculement des fonds de recherche VIH et hépatites virales au profit du Covid-19 et des virus émergents ?

Nous avons élaboré un plan de continuité de nos activités. Tout a été fait pour maintenir les services du mieux possible. La très grande majorité du personnel est en télétravail et peut assurer la continuité de l’activité scientifique et administrative. Aujourd’hui, nous avons un « stock » de projets de recherche qui sont en cours de réalisation, ainsi que des travaux doctoraux et post-doctoraux que nous finançons à travers des allocations. Il est hors de question d’arrêter tout ce vaisseau en vitesse de croisière. Nous avons prévu le ralentissement ou le report de certains projets, mais nous conservons un portefeuille non négligeable de projets dont l’activité se poursuit. Certains projets peuvent être ralentis parce que nos experts ne sont pas mobilisables dans l'immédiat, ce qui peut avoir un impact sur le coût des projets, mais nous mettons tout en œuvre pour une continuité de l'activité. Nous entendons respecter le calendrier d'appels à projets réguliers dans le futur et nous venons par ailleurs de lancer un appel à projets de recherche au Sud sur le Covid-19.

Sur la question du financement de la recherche à l'avenir, je retiens les annonces tant présidentielle que ministérielle d'un engagement financier en faveur de la recherche en santé. En tant que responsable d’une agence de financement et d’animation de la recherche, je ne peux que me réjouir de cette annonce. Nous avons la chance, à l’ANRS, d’évoluer dans un secteur qui a toujours été soutenu et a bénéficié de moyens. Ce qui m’importe surtout, c’est que le financement dans la durée soit maintenu à de bons niveaux et, si possible, qu’il soit étendu à d’autres secteurs de la recherche en santé, dont celle sur les virus émergents, mais je n'imagine pas un instant que cela se fasse au détriment du champ du VIH et des hépatites virales. J'ai confiance dans les annonces qui ont été faites. Mais comme je l'indiquais récemment la crise actuelle pose tout de même question. Il serait temps de réfléchir à une organisation un peu plus consolidée qui permettrait aux chercheurs de travailler dans la durée, et dans une certaine sérénité, sur les maladies émergentes et, plus généralement, sur les menaces globales de santé. Or aujourd’hui, nous ne disposons pas, en France, d’un dispositif de recherche adapté à de tels enjeux.

La chloroquine a ouvert de vives discussions qui interrogent sur le poids des personnalités politiques dans les choix thérapeutiques. Ainsi, un président de région a fait acheter ce traitement sans démonstration solide de son efficacité, des parlementaires prennent partie... Qu'est-ce que cela vous inspire ?

Nous n'avons jamais connu un tel contexte dans le champ du VIH. Les scientifiques ont tenu la barre. Pourtant, il y avait également des urgences : les gens mourraient. Il y avait aussi des ego, de fortes personnalités et des électrons libres. Il y a eu des moments durs au cours de ces décennies, mais jamais cela n'a atteint le niveau que nous connaissons aujourd'hui. La communauté scientifique s'est divisée en France, à l'international. Elle s'est divisée entre les scientifiques au Nord et au Sud. C'est inédit et regrettable bien sûr. Il faudra en tirer des leçons.

L'expérience de la lutte contre le sida peut-elle aider dans la crise sanitaire actuelle du Covid-19 ?

C'est un passé dont nous pouvons être fiers, mais je suis toujours prudent quant au risque qu'il y a à vouloir donner des leçons. La lutte contre le sida a été inédite. Elle a débouché, entre autres, sur un modèle d'organisation scientifique pertinent. Un modèle très robuste dont on peut s'inspirer, mais qui doit être adapté à la situation comme aux enjeux du moment. De ce point de vue, l'appel à projets Covid pour les pays du Sud que nous avons récemment lancé et bouclé en un mois est un bon exemple.

Propos recueillis par Jean-François Laforgerie

(1) : Leronlimab est un anti-CCR5. Fin avril, un essai aux Etats-Unis était en cours concernant près de 50 patients. Jusqu'à présent, cette molécule a fait l'objet d'études dans le cadre du cancer.
(2) : L'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé.

 

Qui est François Dabis ?
Le professeur François Dabis est le directeur de l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales. L'ANRS est une agence autonome de l’Inserm. Médecin, universitaire et chercheur de renommée internationale, François Dabis est spécialisé en épidémiologie et en santé publique. Il a dirigé de 2001 à 2015 l’équipe de recherche « VIH, cancer et santé globale » au sein du Centre Inserm U 897/1219, à l’Institut de santé publique (Isped) de l’Université de Bordeaux. C'est un expert du VIH reconnu au plan international pour ses nombreux travaux sur l’épidémiologie et les défis de santé publique posés par cette infection virale. Il s’est ainsi attaché, tout au long de son parcours d’enseignant-chercheur, à évaluer des stratégies tant dans la prévention de la transmission du VIH que dans la prise en charge des patients-es. La majorité de ses travaux concerne l’Afrique. François Dabis a d'ailleurs été président de l’Action coordonnée 12 de l’ANRS, chargée du programme scientifique de l’Agence dans les pays à ressources limitées, de 2002 à 2015. Il a été très régulièrement membre des comités d’experts de l’OMS et de l’Onusida chargés d’élaborer les directives internationales VIH.

 

French Covid-19 : c'est quoi ?
French Covid-19 est une cohorte observationnelle française lancée fin janvier 2020, au tout début de l’épidémie liée au Sars-CoV-2. Elle compte désormais 2 000 personnes hospitalisées (adultes et enfants, sans limite d’âge). Son objectif est d'étudier les formes de la maladie nécessitant une hospitalisation, de documenter ces cas et d’apprendre à prédire le risque d’aggravation, pour mieux armer les médecins face à cette maladie encore largement inconnue. Mieux connaître le Covid-19 et mieux préparer les médecins à la prise en charge des cas où l’hospitalisation s’impose : c’est l’objectif de l'Inserm avec ce projet coordonné par le professeur Yazdan Yazdanpanah, infectiologue à l’hôpital Bichat et directeur de l’institut thématique Immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie à l’Inserm. French Covid-19 repose sur le suivi observationnel d’une vaste cohorte de patients-es qui ont développé une forme clinique de la maladie nécessitant une hospitalisation. Quelque 150 centres participent en France à cette étude dont le recrutement se poursuivra jusqu’à la fin de l’épidémie.

 

L'appel à projets Covid Sud
Un appel à projets (AAP) « Flash » Covid Sud a été ouvert du 1er au 13 avril. Il permettait la soumission de projets conjointement portés par un-e chercheur-se basé-e dans un pays à ressources limitées et un-e chercheur-se basé-e en France, et destinés à être menés dans ce contexte géographique de la pandémie. Tous les champs de la recherche sur le Sars-COV-2, de la prévention, de la prise en charge et des conséquences du Covid-19 étaient éligibles, indépendamment du VIH/sida et des hépatites virales. « Cet appel a été décidé très rapidement, ce qui montre au passage la réactivité d’une organisation comme la nôtre (…) L’épidémie continue de s’étendre et gagne les pays à ressources limitées. Les solutions que nous expérimentons en France seront-elles adaptées à ces pays ? Ce n’est pas du tout évident et nous sommes arrivés, l’Agence nationale de recherche, l’Inserm, le ministère de la Recherche et l’ANRS, au constat collectif d’un besoin de recherches spécifiques pour combler ce « trou dans la raquette ». De par son action internationale, l’ANRS pouvait assez rapidement s’emparer du sujet et l’appel à projets a pu être organisé en l’espace d’une semaine (…) Cela a demandé un effort considérable pour y parvenir, mais compte tenu de la situation, soit on décide de faire quelque chose et alors on le met en œuvre au tempo de ce que nous vivons tous, soit ce n’est même pas la peine de le faire », expliquait François Dabis au site AEF info, le 10 avril dernier. Les résultats de cet appel à projets ont été publiés le 6 mai. « Sur les 92 projets soumis, une sélection de 32 projets a été réalisée par le comité international constitué par l’agence et sera financée », indique un communiqué de l'agence. « C’est une grande satisfaction de voir que cet appel à projets répond bien à un besoin réel de la communauté scientifique Sud, indique François Dabis. Je tiens à saluer les travaux du comité de sélection international et de mes équipes qui ont permis la réussite de cet appel d’offres aux modalités ultra réactives. L’agence montre une nouvelle fois son savoir-faire dans le paysage de la recherche française, sur une thématique de santé mondiale telle que le Covid-19. »

 

Qu’est-ce qu’une action coordonnée de l’ANRS ?
Les actions coordonnées (AC) sont le « fer de lance » de l'agence pour animer des domaines de recherches, chacune dans un domaine spécifique. Ces structures sont créées et arrêtées en fonction des orientations scientifiques jugées prioritaires par l'ANRS. Elles visent à, d’une part, « mobiliser les équipes et les chercheurs compétents déjà engagés ou non dans les recherches sur le VIH ou les hépatites virales » et d’autre part à « aider à la réflexion, la conception et à la rédaction de projets de recherche ». L’AC44 Recherche clinique VIH est présidée par les professeurs Olivier Lambotte et Serge Eholié.