Pénalisation : la Suisse rate le coche !

Publié par jfl-seronet le 27.12.2010
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justice et VIH
La Suisse révise complètement sa loi sur les épidémies. Les autorités tenaient là une excellente occasion de réformer les dispositions concernant la "punissabilité" de la transmission du VIH. C'est raté et le projet envisagé risque même d'aggraver la situation, ce que dénonce avec force le Groupe sida Genève. Explications.

Epidémies : pourquoi une nouvelle loi ?
La Suisse va procéder à "une révision totale de la loi sur les épidémies (dite aussi LEp). Comme l'indique le Conseil fédéral (3 décembre) : "L'adaptation de la législation sur les épidémies était nécessaire pour mieux répondre à la survenue de nouvelles épidémies et pour mieux coordonner les responsabilités entre la Confédération et les cantons." Le projet de loi entend donc combler les lacunes juridiques apparues notamment avec l'épidémie de grippe A H1N1 et surtout s'aligner sur les "critères du Règlement sanitaire international auquel la Suisse a adhéré." "La manière de lutter contre les maladies transmissibles, ainsi que les conditions de vie, en particulier l'augmentation de la mobilité des personnes et des marchandises, ont considérablement évolué au cours de ces dernières décennies, affirme le Conseil fédéral. Les bases légales ne suffisent plus pour appréhender à temps les risques de maladies transmissibles émergentes et de leur propagation et pour prendre les dispositions nécessaires pour réagir rapidement et efficacement contre les dangers pour la santé des maladies transmissibles." La nouvelle LEp vise donc à gagner "en efficience et en efficacité". Ça, c'est du côté des pouvoirs publics.

Qu'est-ce qui pose problème ?
Il s'agit très clairement de la proposition de modification de l'article 231 du Code pénal suisse contenu dans le projet de révision totale de la loi sur les épidémies (LEp) Comme le dénonce le Groupe sida Genève : "L'exposition et la transmission resteront punissables, et ceci en dépit de la constatation générale que la criminalisation est incompatible avec un programme de prévention efficace. " Le Conseil fédéral a donc envoyé son message concernant la révision totale de la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme (voir ci-dessus) aux chambres fédérales. Parmi les dispositions du projet, l'article 86 de la nouvelle loi prévoit une modification à l'article 231 du Code pénal incriminant la propagation d'une maladie de l'homme. Une modification qui ne prend aucun compte des avancées récentes de la science et qu ne tient pas ses promesses. Ainsi une version précédente mise en consultation établissait que l'article pénalisant la "propagation d'une maladie de l'homme" n'incriminerait plus que "l'intention malveillante", l'intention simple disparaissant du texte. Cette version proposait également de ne plus sanctionner la négligence. Or, comme le constate le Groupe sida Genève, le projet présenté par le Conseil aux chambres fédérales ne comporte aucune de ces modifications. "L'intention simple ainsi que la négligence comme formes punissables de l'infraction de propagation sont conservées en dépit de l'approbation générale qu'avait rencontré l'avant projet durant la consultation, critique le Groupe sida genève. De surcroît, le projet introduit un paragraphe libérant l'accusé de toute poursuite seulement si il ou elle a informé son partenaire au préalable sur les risques de transmission effectivement encourus."


Pour l'association, l'actuel projet est donc "aux antipodes de la position [de la Commission fédérale pour les problèmes liées au sida] dans sa Déclaration du 22 septembre dernier concernant la punissabilité de la transmission du VIH." "Non seulement la criminalisation de personnes séropositives est maintenue, mais, en sus, une obligation juridique de déclaration de sa séropositivité est créée qui ne fera qu'augmenter la stigmatisation et la discrimination dont sont victimes les personnes vivant avec le VIH", déplore le Groupe sida Genève.

Que dit la Déclaration de  la Commission fédérale pour les problèmes liées au sida (CFPS) sur la la punissabilité de la transmission du VIH ?
Le 22 septembre 2010, la CFPS publie une déclaration de trois pages très détaillée et très argumentée. Sans trop entrer dans la détail, le texte affirme que "l'application du droit pénal qui a été faite jusqu'à présent en Suisse pour sanctionner les rapports sexuels non protégés n'est pas judicieuse. L'organisme cite au moins sept raisons d'arrêter cette politique. Comme le rappelle le site Fil rouge du Groupe sida Genève qui a consacré un article (3 décembre) à cette Déclaration : "Retenir une tentative de transmission à l'encontre d'une personne séropositive, alors même que les risques seraient faibles voire inexistants n'a pas de sens selon la [CFPS]. La sanction prévue pour propagation d'une maladie de l'homme même dans les cas où le partenaire informé a donné son consentement ne contribue pas à réduire le nombre de nouvelles infections. [La CFPS] rappelle que la Suisse a choisi une stratégie de prévention, reconnue mondialement, fondée sur la responsabilisation personnelle de l'individu dans la lutte contre le VIH. La pénalisation affaiblit considérablement cette stratégie."

Que recommande la CFPS aux autorités suisses ?
C'est à la fois simple et radical. Pour la CFPS, la "pratique juridique actuelle va clairement à l'encontre de la politique VIH/sida suisse". Politique qui, selon l'organisme, a "déjà fait ses preuves et qui est portée par un large consensus au sein de la société. Conséquence, la Commission adresse trois demandes au législateur :
La première est que "les autorités de poursuite pénale et les tribunaux doivent prendre en compte les connaissances scientifiques concernant l'infectiosité des personnes séropositives qui suivent une thérapie efficace Les personnes qui ne sont pas considérées comme infectieuses selon les critères de la CFPS ne doivent pas être condamnées. Un non-lieu doit être rendu dans les procédures éventuellement en cours, et les jugements rendus jusqu'à présent doivent, le cas échéant, être revus" ;
La deuxième est que "souvent, le risque de transmission est également très faible chez les personnes séropositives dont la charge virale ne se situe pas encore en dessous du seuil de détection. Les tribunaux sont donc invités à ne pas conclure hâtivement à un dol [dommage] éventuel. La Cour suprême de justice des Pays-Bas a rendu en 2005 un jugement de principe exemplaire à ce point de vue" ;
La troisième est que "le législateur doit réviser l'art. 231 [du Code pénal] de sorte qu'un rapport sexuel non protégé faisant l'objet d'un consentement mutuel ne puisse plus relever de cette disposition. L'opportunité se présente avec l'actuelle révision (2010) de la loi sur les épidémies." C'est là que le bât blesse car, justement, le Conseil fédéral n'a pas saisi cette opportunité, d'où la colère du Groupe sida Genève.
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