Pénurie d’ARV : l'autre drame du Venezuela

Publié par Mathieu Brancourt le 05.08.2017
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Interviewaccès aux soinsARVIAS 2017

Le pays traverse une crise politique et économique sans précédent. Cette instabilité charrie avec elle pénuries et délabrement généralisé des structures de santé et de soins. Les médicaments les plus vitaux font défaut. Pour le VIH, plus aucune personne séropositive n’aurait accès à des antirétroviraux. Une situation dramatique sur laquelle des activistes vénézuéliens tentent de porter l’attention. Carlos Useches Gallegos, membre de l’organisation non gouvernementale humanitaire "Venezuela te necesita", est venu interpeller les participants de la Conférence IAS 2017 de Paris, fin juillet. Il décrit une situation d’urgence absolue devant l’inaction coupable du gouvernement de Nicolas Maduro. Interview.

Votre association indique qu’actuellement, une pénurie de traitement ARV sévit au Venezuela. Concrètement, que se passe-t-il pour les personnes vivant avec le VIH ?

Carlos Useches Gallegos : Depuis le 15 juillet dernier, plus aucun traitement antirétroviral n’est disponible. Il y a un manque général de médicament, que ce soit pour les adultes, les femmes enceintes ou les formulations pédiatriques pour les enfants nés séropositifs. La situation ne touche pas que les personnes vivant avec le VIH. Il y a un manque incroyable en matière de prévention. Les préservatifs sont hors de prix ou indisponibles, mais surtout les tests de dépistage sont en pénuries et ne sont plus assurés. Sauf par quelques organisations à Caracas, mais cela reste très rare. Au final, les traitements, les outils de prévention ou de dépistage ne sont plus accessibles au Venezuela. Je peux citer le cas d’une tribu indigène du sud du Pays, les Warao, ravagée par le VIH/sida, qui, du fait de leur éloignement des centres de santé, ne peuvent plus avoir accès à des traitements. Au sein de ces groupes, il n’est pas possible d’évaluer le nombre de personnes touchées par le virus. Les tribus représentent 1,2 % de la population générale au Venezuela, ce qui représente une grande menace pour la santé de ces populations autochtones. Une telle menace, pour une tribu indigène, peut mener à son extinction.

Avons-nous des chiffres précis concernant l’épidémie de VIH/sida au Venezuela et peut-on évaluer les conséquences de l’absence actuelle de traitement ?

Le gouvernement ne donne plus de chiffres là-dessus depuis trois ans. La dernière personne qui a tenté de le faire était une ministre de la Santé, notamment à propos de la mortalité infantile et des transmissions du VIH mère-enfant. Alors qu’elle s’apprêtait à le faire, elle a été virée de son poste. Même ceux qui travaillent avec le gouvernement, qui ont l’obligation légale de donner des chiffres sur la situation, ne peuvent le faire, sous peine de rétorsion. Après, des estimations avancent que le nombre de personnes vivant avec le VIH serait de 300 000, dont 77 000 seulement sont inscrites dans le programme gouvernemental de distribution d’antirétroviraux. Alors même la crise actuelle, les autorités étaient déjà incapables de fournir un traitement à l’ensemble des personnes séropositives au Venezuela. Celles qui avaient réussi à en obtenir (moins de 25 %, un taux inférieur à celui de certains pays d’Afrique), en sont désormais privées. Nous n’avons pas de chiffres à donner, on peut néanmoins affirmer qu’aujourd’hui des personnes meurent du sida, faute de traitements, dans l’indifférence générale.

Comment en est-on arrivé à cette situation ?

C’est évidemment antérieur à ce 15 juillet [date de la pénurie officielle concernant les ARV, ndlr], mais nous avons maintenant atteint le paroxysme de la crise au Venezuela. La situation de pénurie concernant les médicaments dans leur ensemble date de plusieurs années. De plus, leurs prix très élevés les rendaient inaccessibles pour beaucoup de citoyens. Le système de santé vénézuélien est public, mais dans un état déplorable. Les hôpitaux n’ont même plus de matériel médical, et sont obligés de demander aux patients et à leur famille d’apporter pansements ou médicaments. Environ 70 % des salles de chirurgie du pays sont fermées, faute de matériel pour opérer. On voit, dans certaines maternités, les bébés qui sont parfois plus de cinq dans une même couveuse… Des gens meurent aujourd’hui de maladies qu’on pourrait traiter facilement. Même les cliniques privées sont impactées. Faute d’accès aux devises pour importer du matériel, elles se retrouvent, elles aussi, en pénurie. Le gouvernement ne reconnait pas qu’il y a une vraie crise humanitaire, car cela serait admettre la mauvaise gestion politique du pays.


Notre association est apolitique, néanmoins il faut dire que cette crise humanitaire est la conséquence de mauvaises décisions publiques. Le manque d’antirétroviraux remonte à trois ans, mais on arrive à un point de non-retour gravissime pour les personnes. La crise politique touche l’ensemble de l’appareil de l’Etat. On parle de santé, mais c’est sans parler de l’accès à la nourriture ou simplement aux denrées de base. Les gens font la queue pendant des heures pour de la farine de maïs, du riz. Sans garantie d’en obtenir par la suite, mais en payant très cher. L’inflation, galopante, atteint 700 % alors que salaire minimum est de 27 euros. Près de 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et ce sont les classes les plus précaires de la société qui subissent cela de plein fouet. Pourtant, le pays est gorgé de richesses, mais la crise, économique, politique et sociale est tellement forte qu’il semble impossible de les exploiter, sauf le pétrole.

Le fait d’être présent à l’IAS permet de faire connaitre cette situation, mais aussi d’interpeller les acteurs publics de la lutte contre le VIH/sida à réagir à cette situation. Que demandez-vous en tant qu’association?

D’abord, nous faisons un travail de diffusion et d’information sur la crise que traverse le Venezuela. Nous voulons partager avec les participant-e-s, chercheur-e-s ou militant-e-s, cette urgence pour qu’ils puissent, eux aussi, parler autour d’eux de cette situation. Quand on parle de sida, on pense d’emblée à l’Afrique, sans imaginer ce qui peut se passer dans des pays comme le nôtre. Et quand on parle du Venezuela en ce moment, on ne pense au sida. Mais nous voulons aussi interpeller [Le président de "Venezuela te necesita", Jesus Aguais, a pris la parole en plénière le mardi 25 juillet, ndlr] les grands producteurs de médicaments, présents à la conférence. Nous avons besoin de l’aide des laboratoires, pour des dons et une action d’aide à l’accès aux antirétroviraux. Tous ont répondu, sauf Gilead. Les Vénézuéliens, au pays ou ailleurs, essayons de nous coordonner pour qu’une réponse internationale se fasse sur ce sujet.

La communauté internationale doit se manifester, parler et faire pression sur le gouvernement de Nicolas Maduro pour qu’il reconnaisse l’état de crise humanitaire, pour qu’un corridor puisse être ouvert et ainsi soulager la population. Pour l’instant, il refuse de le faire. La diaspora vénézuélienne se mobilise dans le monde, car sur place, il est dangereux de le faire. Il ne faut pas oublier que le gouvernement est autoritaire et réprime les manifestations [plus de 100 morts depuis le début de la contestation contre le vote de la Constituante voulue par Nicolas Maduro, ndlr]. Toute dissidence est passible d’arrestations, d’emprisonnement, voire d’assassinats.