Plaideurs du Sud : un "impératif de légitimité"

Publié par Mathieu Brancourt le 27.09.2015
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InterviewPlaidoyerSud

Depuis six mois, l’organisation internationale Coalition PLUS soutient la formation de chargé-e-s de plaidoyer décentralisés au sein des organisations qui la composent (1). Ces plaideurs, dits du Sud, mettent en œuvre les revendications dans leur pays tout comme dans leur région. Leur but ? Mieux défendre leurs objectifs spécifiques de lutte contre le VIH et les hépatites virales. Alexandra Phaéton, chargée de former ces plaideurs à Coalition PLUS, revient sur ce nouvel activisme multi-échelle. Interview.

Quelle est votre définition d’un plaideur ?

Alexandra Phaéton : Un plaideur, une plaideuse – ou encore chargé-e de plaidoyer – consacre son temps à la résolution des problèmes qui, dans les politiques publiques de lutte contre le VIH/sida et les hépatites, entravent l’accès à la prévention et aux soins. Le plaidoyer désigne plus concrètement l’action en direction des décideurs publics (et des relais d’opinion qui ont une influence sur ces décideurs), en vue d’obtenir des réponses et des avancées aux obstacles identifiés. Mais le plaideur ne fait pas cavalier seul, il met en œuvre un plan stratégique de plaidoyer qui a pour fonction de définir les objectifs jugés prioritaires et gagnables. Ce plan permet d’analyser les obstacles relevant des politiques publiques auxquelles se heurtent les programmes de lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales, d’identifier les solutions à ces problèmes, et de prendre en compte les contraintes pesant sur la réalisation des solutions et le contexte local. Finalement, le plaideur est un "pragmatique", qui propose aux décideurs des solutions pour promouvoir l’intérêt des personnes qu’il représente.

Quelles sont, s’il y en a, les différences entre un plaideur au Sud et un plaideur au Nord ? Autrement dit, auprès de qui, avec qui, et sur quoi les plaideurs des organisations non gouvernementales du Sud investies dans la lutte contre le VIH/sida, les hépatites virales, les droits humains et la santé travaillent-ils ?

Les plaideurs du sud travaillent principalement à l’amélioration de l’accès aux soins et aux médicaments pour la population générale et pour les populations les plus exposées, dans les contextes où les épidémies sont concentrées. Dans des contextes sociopolitiques souvent plus difficiles, les plaideurs du Sud focalisent leurs efforts sur la bonne gouvernance de la lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales, l’augmentation de financements nationaux dédiés et à la lutte contre la stigmatisation et les discriminations sérophobes et identitaires.

Au Nord comme au Sud, le plaidoyer se traduit par les activités suivantes : la collecte des renseignements nécessaires au diagnostic des obstacles et aux moyens de les surmonter ; la production d’analyses et d’argumentaires sur les obstacles et les contraintes ; le dialogue avec les décideurs et la participation aux instances nationales et internationales de lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales ; la construction d’alliances avec d’autres organisations de la société civile nationale ; Le travail avec les médias, c’est-à-dire la médiatisation des revendications ; l’organisation d’événementiels d’influence, ou toute autre action jugée opportune.

Compte tenu des difficultés et obstacles locaux qui peuvent, selon les pays, être importants, comment est organisé le plaidoyer au Sud et avec quels objectifs ? Autrement dit, les plaideurs du Sud ont-ils comme priorité de plaider d’abord dans leur propre pays ou de le faire à une autre échelle ?

Les plaideuses et plaideurs de Coalition PLUS décentralisés ont une double feuille de route, 50 % nationale et 50 % internationale. Ils sont à la fois plaideurs nationaux, mettant en œuvre le plan de plaidoyer de leur association et participant au dialogue de la société civile locale avec les pouvoirs publics ; et en tant que membres actifs de l’équipe du programme plaidoyer de Coalition PLUS, ils assurent une part du plan de plaidoyer international. Il s’agit à tous les niveaux de concilier différentes perspectives : agir pour régler des dysfonctionnements afin d’améliorer la qualité de l’accès aux soins, mais également porter une vision plus prospective pour viser la fin de l’épidémie de sida. Concernant les risques liés au travail de plaidoyer, c’est à travers un diagnostic externe sur le contexte sociopolitique dans lequel le plaidoyer va se dérouler, et lors de la construction du plan d’action que les associations établissent leurs stratégies : du dialogue avec les décideurs à l’action publique. Un mot d’ordre, décrocher des victoires de plaidoyer dans leur périmètre d’action, en fonction de ce que le contexte national permet.

Quels sont aujourd’hui les axes de plaidoyer prioritaires ?

Les objectifs globaux de plaidoyer visent à réduire la mortalité et les nouvelles infections par l’accès aux traitements partout et pour tous. Aujourd’hui, le programme plaidoyer de Coalition PLUS se consacre spécifiquement à quatre grands dossiers : l’augmentation des financements internationaux de la lutte mondiale contre le VIH/sida et les hépatites virales ; l’amélioration du fonctionnement du Fonds mondial, notamment en faveur des populations clés les plus vulnérables ; la baisse des prix des médicaments et l’accès aux génériques ; la réforme des politiques des drogues.

En quoi, aujourd’hui, est-il indispensable de développer un plaidoyer pour le Sud, mené par des plaideurs du Sud ?

Les associations membres de Coalition PLUS ont toujours mené des actions de plaidoyer, via leurs leaders qui sont des personnalités de la lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales. L’enjeu est maintenant de développer une approche professionnelle du plaidoyer avec des moyens humains et financiers entièrement consacrés à cette activité qui accapare beaucoup.

Jusque là, le plaidoyer national était mené le plus souvent de manière réactive afin de colmater des maux criants et le plaidoyer international très peu porté par les acteurs africains francophones. C’est pourquoi quatre des membres africains de Coalition PLUS ont décidé de salarier des chargés de plaidoyer décentralisés. La création de postes de plaideur au Sud permet non seulement une plus grande capacité de travail de la part de salariés bien armés, mais répond surtout à un impératif de légitimité.

En développant une équipe de plaidoyer multi-pays, dynamique et solidaire, Coalition PLUS engage son fondement communautaire au cœur de son action de plaidoyer : ce sont les plaideurs du Sud avec toute la crédibilité de leur expérience nationale, qui peuvent enfin directement, faire entendre leur voix au niveau international. Par exemple, le plaideur décentralisé à l’ANSS au Burundi est devenu, début 2015, membre de la délégation des organisations non-gouvernementales du Sud au Conseil d’administration du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

Un des axes du plaidoyer aujourd’hui est de faire comprendre aux Etats que le respect des droits humains, a fortiori, celui des minorités sexuelles, est indispensable pour une lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales efficace. Quelle peut être la stratégie des plaideurs du Sud face à une homophobie d'Etat ou sociale forte ?

Concernant les minorités sexuelles, les plaideurs de Coalition PLUS décentralisés font face, en effet, à des situations sociopolitiques souvent très compliquées. Forts d’une approche de santé publique, et grâce au fonctionnement des instances nationales du Fonds mondial qui oblige la représentation des populations clés, des avancées sont néanmoins possibles. Mais il faut faire face tant sur le front de la prévention et de l’accès aux soins, que sur celui de la pénalisation, par exemple en menant des actions de sensibilisation des policiers et les magistrats. Dans la même dynamique, AIDES est aujourd’hui engagée dans un projet spécifiquement consacré au plaidoyer pour l’amélioration de la lutte contre le sida, à travers la défense des droits humains des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, des travailleur-se-s du sexe et des usagers de drogues.

Propos recueillis par Mathieu Brancourt

(1) : AIDES (France),  ALCS (Maroc), ANSS (Burundi), Aras (Roumanie), Arcad-sida (Mali), Cocq-sida (Québec), Gat (Portugal), Groupe sida Genève (Suisse), IDH (Bolivie), Kimirina (Equateur), Pils (Maurice), Revs+ (Burkina Faso).