PMA : deux camps se constituent

Publié par jfl-seronet le 18.06.2018
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PolitiquePMAprocréation médicalement assistée

Le comité consultatif national d’éthique a publié son rapport de synthèse à la suite des états généraux de la bioéthique. Comme on pouvait s’y attendre, la PMA a été l'un des sujets très largement abordés sur lequel deux camps opposés se dessinent fortement. Où en sommes-nous aujourd’hui de cette opposition qui prend corps et éloigne le souhait présidentiel d’avoir un "débat apaisé" sur cette question.

Dans un article (6 juin) sur son blog sur le site Slate.fr, le journaliste Jean-Yves Nau pointe les difficultés qui s’annoncent dans le dossier sur la PMA et analysent les "limites de l’exercice présidentiel". Il explique bien que la stratégie présidentielle sur ce dossier destinée à assurer un "débat apaisé" ne fonctionne pas et qu’on semble se préparer à nouveau à une guerre de tranchées… dans l’hypothèse où le président déciderait de tenir sa promesse d’ouvrir la PMA à toutes les femmes. De fait, au sortir des États généraux de la bioéthique, on comprend bien que le sujet fait controverse entre les personnes qui demandent l’ouverture de la PMA à toutes les femmes et celles qui la contestent. Le rapport du Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) y consacre un important chapitre (page 105 et suivantes).

États généraux de bioéthique : les questions en débat

La demande d’AMP (ou PMA), en l’occurrence d’une insémination artificielle avec donneur (IAD), en dehors de toute infécondité pathologique, s’inscrit dans une revendication de liberté et d’égalité dans l’accès aux techniques d’AMP pour répondre à un désir d’enfant, explique le CCNE. Elle fait émerger plusieurs questions sociétales, telles que celle des conséquences sur la relation des enfants à leurs origines ou de la situation concrète de grandir sans père, ainsi que la souffrance ressentie du fait d’une infécondité d’ordre sociétal. La demande d’AMP pose question, notamment sur la rareté actuelle des dons de gamètes, un problème en soi qui peut induire des risques divers, tels que l’allongement des délais d’attente ou la rupture du principe de gratuité des dons, ouvrant des perspectives de marchandisation des produits du corps humain. Cette situation existe déjà, en particulier, pour les Françaises qui se rendent à l’étranger pour réaliser des AMP parfois dans des contextes de ressources commerciales. Par ailleurs, la thématique "procréation et société" invite également à s’interroger sur l’autoconservation ovocytaire de "précaution" et la gestation pour autrui.

Principaux enseignements des États généraux de bioéthique

Si des différences profondes s’expriment dans la société civile sur la question de l’ouverture de l’AMP (ou PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules, l’importance de certains éléments de la réflexion est partagée par tous, indépendamment de l’opinion sur la modification des indications de l’accès aux techniques de l’AMP : l’importance d’une structure familiale, la réalité du désir d’enfant, la conscience de la responsabilité parentale vis-à-vis de l’enfant, la reconnaissance de la diversité actuelle des structures familiales. La réaffirmation de la gratuité du don de gamètes, et plus largement le refus de la marchandisation du corps humain, sont également exprimés avec force. La réflexion sur l’accès aux origines des enfants nés par une procédure d’AMP avec tiers donneur est également considérée comme indispensable, indique le rapport.

Chacune des positions concernant l’ouverture de l’accès aux techniques d’AMP à toutes les femmes s’appuie sur des éléments de réflexion spécifiques :
● pour les uns, c’est le principe d’égalité qui est le plus important : égalité des droits entre les couples mariés indépendamment de l’orientation sexuelle, égalité financière pour l’accès à certaines techniques d’AMP à l’étranger, égalité dans la définition d’une infertilité pathologique ; le principe d’autonomie est également mis en avant.
● pour les autres, ce sont les droits de l’enfant qui priment, exprimé notamment comme celui d’avoir un père ; la mission de la médecine doit être restreinte au soin ; le principe d’égalité et d’autonomie ne peut être évoqué dans ce contexte où un recours à la technique est nécessaire pour procréer.
Il faut noter les réserves exprimées par les personnes favorables à cette ouverture en ce qui concerne son application aux femmes seules, essentiellement en raison d’une possible vulnérabilité sociale, économique, et psychologique, qui pourrait nuire à l’enfant.

La possibilité d’autoriser le recours à une gestation pour autrui (GPA) est rejetée de façon massive lorsqu’il s’agit d’une demande sociétale ; la crainte répétée est qu’une ouverture de l’AMP entraine inéluctablement l’autorisation de la GPA. La possibilité qu’une gestation pour autrui puisse offrir une réponse dans certaines indications médicales exceptionnelles a été soulevée. Le souhait qu’une réflexion collective sereine sur le sujet puisse être organisée était bien présent. Deux autres points indissociables de la discussion sur le périmètre des indications des techniques d’AMP ont été systématiquement abordés : la question des règles juridiques de la filiation, et celle du maintien ou non de l’anonymat du don de gamètes. Voilà, à l’issue des états généraux où en sont les réflexions. Ces points de vue sont déjà connus et doivent contribuer à la réflexion du gouvernement. Mais d’autres facteurs jouent également.

PMA : Peu de soutiens de personnalités !

A ce jour, très rares sont les personnalités qui se sont prononcées en faveur de la PMA. L’ex-championne de tennis, Amélie Mauresmo, s’est engagée sur le sujet lors d’une interview télé. "Cette loi, c’est permettre à toutes les femmes d’avoir le choix. On ne peut pas refuser ça, finalement, à une femme aujourd’hui. Je suis maman et c’est un tel bonheur qu’on ne peut refuser ça", a-t-elle expliqué le 10 juin dernier sur France 2 dans le journal de Laurent Delahousse. Le journaliste lui a demandé si elle s’engageait pour l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. "Oui, ce projet doit aboutir. Oui, bien sûr", a indiqué celle qui a fait son coming out quand elle avait 19 ans.

L’Ined sort ses données

Dans une récente publication, l’Institut national d’études démographiques (Ined) indique, qu’en 20418, un enfant sur trente devrait être conçu grâce à la procréation médicalement assistée, qu’il s’agisse d’une insémination artificielle ou d’une fécondation in vitro (FIV). L’Ined rappelle qu’en 2011, 2 % des enfants étaient conçus par FIV. Au rythme actuel, la proportion atteindra 2,5 % en 2018, soit 1 enfant sur 40. Selon l’Ined, 300 000 enfants ont été conçus par FIV entre 1981 et fin 2014. Le chiffre pourrait atteindre 400 000 enfants fin 2019. Rappelons qu’aujourd’hui la PMA est réservée aux couples mariés hétérosexuels en âge de procréer et dont au moins l’un des deux membres est stérile.

L’église catholique s’organise déjà contre la PMA

Pour avoir une bonne idée de la nature de l’opposition catholique à la PMA, il faut lire l’interview de Michel Aupetit, le nouvel archevêque de Paris, accordée au "Point" (10 juin). On y apprend notamment que le responsable catholique a été consulté sur le sujet lors d’un dîner à l’Elysée récemment. Pour Michel Aupetit, qui a été médecin avant d’être religieux, le débat actuel sur la PMA serait "à la croisée des chemins entre deux visions sociétales. D’un côté, une société fondée sur la fraternité où la personne est qualifiée par les relations qu’elle entretient avec autrui. Dans cette situation, la loi protège les plus vulnérables. D’un autre côté, une société individualiste où chacun revendique une autonomie. Dans ce cas, la loi s’ajuste au désir individuel avec le risque de revenir au droit du plus fort, du plus riche ou du plus puissant". Dans ce camp, se trouveraient celles et ceux qui défendent l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. Interrogé sur la volonté du gouvernement de s’engager en faveur de cette ouverture, l’archevêque de Paris avance que comme il n’existe pas de consensus sur le sujet (comprendre que les catholiques sont contre) qu’il faudrait, de son point de vue, adopter le principe de précaution. Ce qui revient à dire que l’on n’avancera pas sur ce sujet tant que tout le monde ne sera pas d’accord. Et le prélat d’ajouter : "Nous continuerons de faire entendre notre voix pour que notre société ne soit pas fondée sur la somme de désirs individuels, mais sur le bien commun. Et la question de la filiation est essentielle pour l’avenir de notre civilisation".

Les Poissons Roses appellent à ne rien faire

Une pierre de plus pour ne rien faire ! Le courant des Poissons roses est un mouvement politique de chrétiens engagés à gauche, fondé par des personnes ayant des engagements divers dans la société, et soucieux de promouvoir la justice sociale. Enfin, ils ont aussi leurs têtes puisque l’égalité ne se pose manifestement pas dans les mêmes termes pour tout le monde. Dans une récente tribune publiée sur le site Figarovox, ce groupe explique que ce "n'est pas le bon moment pour une nouvelle réforme de société !". L’argument n’est pas nouveau… il ressort à chaque fois qu’il s’agit d’égalité pour toutes et tous, de droits des personnes LGBT… ce n’est jamais le bon moment ! Dans cette tribune, les Poissons roses "alertent le Président [de la République] sur le caractère sensible des questions soulevées par les Etats généraux de la bioéthique". Ils l'appellent "à ne pas passer en force, en l'absence de consensus clair notamment dans le domaine de la procréation". Bref, le même argument servi par l’archevêque de Paris. On comprend tout avec le point de départ du texte qui demande : "Est-il vraiment opportun de rouvrir la fracture provoquée il y a à peine cinq ans par la loi Taubira ?". Pas de suspens, les Poissons roses répondent : non ! De son côté, Ludovine de la Rochère, la présidente de La Manif pour tous, décrète dans "Valeurs actuelles" (6 juin) : "Le sujet de l’évolution de la PMA ne saurait être d’actualité" et veut croire que les Français sont majoritairement opposés à toute évolution sur la PMA.

Un sondage encourageant pour la PMA (1)

Les trois quarts des Français sont avorables à l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, d'après une récente enquête Ipsos-Sopra Steria pour France Télévisions (13 juin). Toujours dans ce même sondage : un Français sur deux est partisan de l'autorisation de la gestation pour autrui. Les femmes (80 %) les plus jeunes (moins de 35 ans)  sont les plus favorables (78 %) à l'ouverture de la PMA à toutes. Les personnes sondées sont toutefois un peu plus partisanes de l'ouverture de la PMA aux femmes célibataires (72 %) qu'aux femmes homosexuelles en couple (66 %). Les plus âgés (60 ans et plus) sont aussi les plus réservés (59 %) en ce qui concerne ces dernières. Les femmes (52 %) et les moins de 35 ans (58 %) sont parmi les plus favorables à la GPA. Plus de quatre Français sur dix (44 %) sont pour la rémunération des mères porteuses si la GPA est autorisée. Et les moins de 35 ans en particulier sont majoritairement favorables (57 %) à une rémunération des mères porteuses.

PMA : Osez Le Féminisme a lancé sa pétition

Le mouvement Osez Le Féminisme a lancé sa pétition en faveur de la PMA pour toutes. Il s’en explique longuement sur son site. "Fortement impliquée dans la lutte contre les discriminations subies par les lesbiennes face à l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA), Osez le féminisme ! avait demandé à être auditionnée dans une contribution adressée aux Etats généraux de la bioéthique en mars 2018. Cette demande est restée sans réponse, alors même que de nombreuses organisations anti-PMA ont été auditionnées. Quelques jours avant la parution de la synthèse, un dîner portant sur le thème "procréation et génomique" a été organisé au Palais de l’Elysée à l’initiative du Président de la République. Il a notamment rassemblé des membres des cultes catholique, protestant et juif, un délégué d’une alliance connue pour être lesbophobe et anti-avortement… et deux femmes (sur les 17 noms connus), pourtant premières concernées par l’accès à la PMA. Osez le féminisme ! s’inquiète des conséquences de la sur-représentation des militants anti-PMA et lesbophobes lors de cette consultation citoyenne (…) Nous n’oublions pas d’ailleurs qu’Emmanuel Macron avait fait de la PMA un engagement de campagne. Osez le féminisme ! rappelle que trois instances appelées à se prononcer sur des questions éthiques et médicales ont déjà rendu des avis favorables sur l’extension de la PMA à toutes les femmes : le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes et le Défenseur des Droits en 2015, le CCNE en 2017. Une loi ouvrant l’accès à la PMA à toutes les femmes se fait attendre depuis maintenant trop longtemps, et ce, au détriment des réalités dans lesquelles se retrouvent de plus en plus de familles en France (…) Parce qu’il est temps de mettre fin à cette discrimination contre les couples de femmes et femmes seules, Osez le féminisme ! exige donc une action rapide du gouvernement et invite à signer notre pétition : "Stoppons les discriminations : PMA pour toutes les femmes !"

(1) : Sondage réalisé par internet auprès d'un échantillon représentatif de 1 017 personnes selon la méthode des quotas, du 7 au 11 juin pour L'émission "Questions directes" diffusée sur France 2 mercredi 13 juin, dont le thème était sur MPA et GPA.