PMA : enjeux, avis du CCNE et clefs pour comprendre

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Droit et socialPMA

Le 18 janvier dernier, les Etats généraux de la bioéthique ont été lancés. De nombreux sujets vont y être traités, dont celui de la procréation médicalement assistée (PMA). Il y a un an, des militantes et militants de AIDES ont construit le "programme de AIDES", un programme défendu durant la campagne REVEndiquons 2017, lors de la présidentielle. Ce programme que l’association porte toujours comprend, entre autres, l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Cette promesse — c’était celle de l’ancien gouvernement, puis d’Emmanuel Macron lors de sa campagne — est sans cesse repoussée et même piétinée au détriment des droits des femmes. Retour sur ce qui s’est passé et explications sur les enjeux actuels.

L’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, c’est l’histoire d’une promesse sans cesse repoussée parce que devenue la variable d’ajustement idéale, au détriment des droits des femmes, dans un rapport de force avec la Manif pour tous. Une situation que décrit et analyse très bien un article publié par le site Yagg en octobre 2015. François Hollande, alors président de la République, avait fini par conditionner son (in)action à la publication d’un avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Cette instance, alors présidée par Jean-Claude Ameisen, avait amusé le terrain et mis plusieurs années pour ne rien sortir. Finalement, l’avis du CCNE avait été publié en juin 2017, après l’arrivée de son nouveau président le professeur Jean-François Delfraissy (qui a succédé à Jean-Claude Ameisen).

Si le CCNE a rendu un avis favorable fin juin dernier, cet avis s’avère, néanmoins, très problématique sur plusieurs points : représentations très conservatrices de la famille, proposition de deux régimes de remboursement de la procréation selon l'orientation sexuelle et la manière de faire famille, etc. AIDES a décrypté cet avis, passé en revue ses avancées et ses limites. La publication de l’avis de la CCNE a suscité l’habituelle levée de la Manif pour tous et le renvoi de l’ouverture de la PMA à la révision de la loi de bioéthique prévue en 2018 et dans un processus consultatif et législatif qui ne devrait pas déboucher avant début 2019. C’est loin, très loin. 2018 est donc une année charnière dans le combat pour l’ouverture de la PMA à toutes. Alors qu’amorcent les débats ?

Procréation médicalement assistée ou PMA

La procréation médicalement assistée (PMA) ou assistance médicale à la procréation (AMP, terme utilisé par la profession médicale) regroupe "les pratiques cliniques et biologiques", encadrées par les lois du 6 août 2004 et du 7 juillet 2011 relatives à la bioéthique, qui permettent la procréation hors du cadre dit naturel. Deux procédés existent : l’insémination artificielle et la fécondation in vitro (FIV).

Qui peut, aujourd'hui, bénéficier d’une PMA ?

La PMA s’adresse aux couples hétérosexuels (en concubinage, mariés, pacsés) depuis au moins deux ans, en âge de procréer et qui font face à une des situations suivantes :

- Le couple ou l’une des personnes du couple présente une infertilité pathologique qui est médicalement constatée ;
- L’une des personnes du couple est porteuse d’une maladie grave susceptible d’être transmise au futur enfant ou au conjoint/à la conjointe.

Il n'y a pas d'âge limite strictement fixé pour bénéficier d'une PMA. Cependant, l'assurance maladie prend en charge la PMA à 100 % (pour au maximum quatre FIV/fécondation in vitro et six inséminations artificielles) à condition que la femme n'ait pas dépassé les 43 ans.

La PMA en chiffres

● En 2015, 24 839 enfants sont nés grâce à la procréation médicalement assistée ; en d’autres termes, un nouveau-né sur 32 est issu d’une PMA en 2015 (1).
● En cinq ans, le nombre de naissances par PMA a augmenté de 19,2 %. 
● 2 000 à 3 000 femmes se rendent chaque année en Belgique ou en Espagne pour recourir à une PMA.
● Il existe deux ans d’attente pour les couples hétérosexuels pour une insémination artificielle avec donneurs en France contre trois à quatre mois dans certains instituts espagnols. 
● 64 % des couples de lesbiennes avaient eu recours à une PMA en 2012 contre 30 % dans les années 2004.

Etapes du débat sur l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules ?

● Emergence dans les années 1990 de la question de l’ouverture de la PMA à toutes
● 2012 : l’ouverture de la PMA est un sujet clivant de l’élection présidentielle
● 2013 : François Hollande remet son action à l’avis du Comité consultatif national d’éthique
● 2014 : Publication dans "Libération" du manifeste des "343 fraudeuses" (2)
● 2015 : le Défenseur des Droits, le Haut Conseil à l’Egalité Femmes-Hommes rendent des avis favorables à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes.
● 2016 : "Le Monde" publie, sur l’initiative de René Frydman, le manifeste de 130 médecins favorables à "un assouplissement des lois qui encadrent la reproduction assistée" et qui reconnaissent avoir aidé des femmes à recourir à la PMA malgré le droit contre elles
● 2017 : Dans son programme présidentiel, Emmanuel Macron se déclare "favorable à l'ouverture de la PMA pour les femmes seules et les couples de femmes" tout en indiquant attendre l’avis du Comité consultatif national d’éthique, saisi par son prédécesseur
● 2017 : Le Comité consultatif national d’éthique rend son avis le 27 juin : avis favorable à l’ouverture de la PMA pour les couples de femmes et les femmes seules.
● 2017 : Un sondage réalisé par l’Ifop (3) souligne que 64 % des Français sont "tout à fait" ou "plutôt" favorables à l’ouverture de la PMA pour toutes les femmes et 56 % des Français seraient favorables au remboursement de la "PMA pour toutes" par l’Assurance maladie.

L'avis du CCNE à l’arrière-goût amer

Le "rien pour nous sans nous" à la trappe
Parmi les personnes et les structures auditionnées par le CCNE, les associations défendant les droits des lesbiennes brillent par leur absence. Les paroles des premières concernées ont encore une fois été écartées et tues. En revanche, le CCNE a donné la parole à des "expert-e-s" dont les prises de position sont connues pour leur conservatisme en matière de droits LGBT et leurs propos éminemment pathologisants et biologisants. Le comité a ainsi reçu le psychiatre Pierre Lévy-Soussan, le psychanalyste Jean-Pierre Winter ou bien la psychiatre Colette Chiland.

Un avis favorable à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, mais…
Le comité consultatif national d’éthique a été, plusieurs fois (1989, 2005, 2009), amené à se prononcer sur l’ouverture de la procréation médicalement assistée à toutes les femmes. Le Comité avait, jusqu’alors, toujours émis un avis défavorable à l’extension.

Dans son avis rendu public le 27 juin, le CCNE affirme une position favorable à l’ouverture de la PMA. Il reconnaît que "le fait de réserver l’Assistance médicale à la procréation (AMP) aux seuls cas d’infertilité de nature pathologique peut être considéré comme une rupture d’égalité entre les demandeurs d’accès aux techniques de procréation". Il poursuit son argumentation en présentant que "l'ouverture de l’AMP à des personnes sans stérilité pathologique peut se concevoir pour pallier une souffrance induite par une infécondité résultant d’orientations personnelles".

Un avis affaibli par l’affichage d’un clivage interne
Aux prises à des clivages internes, le CCNE a adopté une méthodologie qu’il a qualifiée de "méthodologie des points de butée". Ce procédé consiste à soulever et mettre en avant des points de divergences en affirmant qu’ils sont, en eux-mêmes, porteurs de réflexion et donc forgent l’avis. Ce choix du CCNE se ressent dans les termes, les concepts utilisés dans l’avis et le ton de celui-ci. L’avis fait la part belle à des saillies essentialistes, différentialistes et moralisatrices. Ainsi, 11 membres sur les 40, qui constituent le Comité, s’opposent, dans un texte publié en appendice, à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes en arguant de "la place essentiel du père" dans la construction de l’enfant et de la nécessité de "préserver l’altérité masculin-féminin". Ces mêmes personnes estiment que le rôle de la médecine est d’"être un remède à des pathologies" et ne doit, en ce sens, pas être mis au bénéfice de désirs individuels.

Un avis affaibli par la proposition d’une prise en charge financière différente
Le Comité réserve le remboursement total de la PMA aux stérilités d’origines pathologiques. En d’autres termes, il réaffirme la prise en charge financière totale d’une PMA pour les couples hétérosexuels, mais réintroduit une discrimination à l’encontre des couples de femmes et des femmes seules qui n’auraient pas accès à une prise en charge financière entière. En effet, il suggère l’instauration d’"une contribution partielle au coût du service public" pour les couples de femmes et les femmes seules qui auraient recours à la PMA.

Un avis affaibli par une vision étriquée des manières de faire famille
L’avis du CCNE n’aborde jamais la question de la filiation et de la reconnaissance des liens de filiation, la co-parentalité. Or, celle-ci est incontournable lorsqu’il s’agit d’ouvrir la PMA d’autant plus que cette question bute sur les manques de loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe. Le sujet des différents dispositifs d'aide à la procréation ne peut se faire sans une refonte de la reconnaissance de la filiation.

De fait, l’avis n’interroge pas la question de la reconnaissance de la mère sociale dans le lien de filiation lorsque deux femmes sont en concubinage ou pacsées. Il faudra qu’elles passent nécessairement par la case mariage et par une procédure d’adoption.

Enfin, pour le CCNE, les personnes trans n’existent pas. Aucune réflexion n’est menée ou proposée dans cet avis.

Un avis affaibli par un procès à charge contre la GPA
Dans la continuité de ses avis précédents, le CCNE écarte toute possibilité de GPA en arguant qu’"il ne peut y avoir de GPA éthique" du fait de l’impossibilité de dépasser "les violences juridiques, économiques, sanitaires et psychiques, qui s’exercent principalement sur les femmes recrutées comme gestatrices ou mères porteuses et sur les enfants qui naissent". Il suggère même la mise en place d’un cadre prohibitionniste à l’international.

Le CCNE écarte également toute possibilité d’autoconservation d’ovocytes pour les femmes en raison "des risques médicaux induits" et de l’absence de garantie de réussite. Il pointe également la crainte de "pressions sociales" pouvant s’exercer sur les femmes. In fine, c’est le droit à la libre disposition de son corps qui est écarté.

Pour le CCNE ouvrir la GPA, l’autoconservation d’ovocytes, une réflexion sur la rémunération des dons de gamètes, c’est ouvrir les voies vers "un marché de la procréation" qui serait dommageable. Toutefois, ce n’est pas en bâillonnant toute possibilité de débat, qu’il sera possible de débattre.

Révision de la loi de bioéthique : les étapes du calendrier 2018-2019

▪ D’ici à juin 2018 : Débats régionaux pour faire émerger des propositions

▪ Automne 2018 : Elaboration d’un projet de loi à partir des propositions

▪ Premier trimestre 2019 : Examen et vote du projet de loi.

(1) : Derniers chiffres disponibles auprès de l’Agence de la Biomédecine. NPO, les chiffres de l’Agence de la Biomédecine ne prennent pas en compte les PMA réalisées à l’étranger.
(2) : Manifeste des "343 fraudeuses", "Libération", juin 2014. Plus de 400 femmes ont signé un manifeste où elles déclarent avoir eu recours à la procréation médicalement assistée. Elles réclament son ouverture à toutes les femmes, hétéros et homos.
(3) : Sondage réalisé par l’Ifop pour my-pharma.com auprès d’un échantillon de 1 009 personnes représentatif de la population française par questionnaire auto-administré en ligne du 20 au 21 septembre 2017.